Enquête sur le créationnisme

19 avril 2007
Article publié dans L'Action Française 2000

Un frère dominicain veut réconcilier foi et raison.

Le créationnisme est en vedette dans les librairies. Selon les cas, l'ouvrage que lui a consacré Jacques Arnould (1) – un frère dominicain – est classé en science ou en religion. Cette ambiguïté est à l'image d'un objet d'étude dont M. Glauzy affirme qu'il est une « science biblique ».

Les créationnistes « refusent la vision évolutionniste [...] selon laquelle les espèces vivantes et, plus largement, l'ensemble de la réalité seraient le résultat du lent travail des forces naturelles » ; pour eux, « au contraire, Dieu en est le seul auteur, d'une manière directe et indépendante des lois de la nature ».

Parmi les créationnistes stricts, certains observent un rejet catégorique du discours scientifique, mais d'autres ne le condamnent pas dans tous les cas. Ces derniers se divisent en deux écoles, selon leur appréciation de l'âge de la Terre : les young-earth creationists « pratiquent une lecture littérale des onze premiers chapitres du livre de la Genèse », tandis que l'old-earth creationism s'accommode de quelques exégèses. Moins radicaux, les partisans du créationnisme progressif « acceptent l'existence de différences, voire  d'incohérences, entre le texte de la Bible et les données de la science », tout en prétendant que « l'évolution ne permet pas d'expliquer les événements de l'histoire de la vie ». Considéré parfois comme un néocréationnisme, le courant du dessein intelligent s'appuie sur l'« irréductible complexité » du vivant pour récuser la responsabilité du hasard dans sa constitution.

Un lobby influent

La majorité des scientifiques se montrent sévères à l'égard du mouvement créationniste. Citons par exemple Jean Chaline, directeur de recherche émérite au CNRS (2) – qui condamne parallèlement le néoscientisme : « Pour les créationnistes, la méthode consiste à découvrir les failles scientifiques potentielles dans les hypothèses, de façon à les couvrir de ridicule, ou à montrer leurs incertitudes. Ils recourent sans état d'âme à la falsification, à la manipulation des données scientifiques et de certains principes de la physique... » Passant en revue quelques sujets de controverse, il s'indigne notamment de cette réponse faite aux évolutionnistes, selon laquelle « Dieu pourrait avoir donné une apparence de vieillesse à l'univers qui tromperait les astronomes ». Une hypothèse évidemment irréfutable, qui transgresse en cela les principes élémentaires de la science.

En France, bien qu'elles comptent quelques défenseurs, ces thèses se heurtent à une société fortement laïcisée, ainsi qu'à la prédominance historique de l'Église catholique. La situation est tout autre aux États-Unis, où le créationnisme est né dans des milieux presbytériens et évangélistes pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Jacques Arnould rend compte de son immixtion dans les programmes scolaires et des batailles judiciaires qui l'ont accompagnée. Outre-Atlantique, le créationnisme s'attire les sympathies des plus hautes personnalités politiques, tel le président Bush qui déclara en août 2005 : « Ces deux théories [l'évolution et l'intelligent design] doivent être correctement enseignées de manière que les gens saisissent la nature du débat. »

Est-il légitime de traiter les deux approches sur un pied d'égalité ? « Le concept de théorie prend en compte les faits, les hypothèses et les lois pour tenter d'expliquer la réalité », rappelle Jacques Arnould ; par conséquent, « une théorie ne peut pas être testée en dehors de la science ». Or, celle-ci est « athée a priori et par méthode ». Bien que croyant, l'auteur ne s'en offusque pas, car il a conscience « qu'il ne faut pas confondre origine ultime et origine immédiate », Cause première et causes secondaires.

« L'œuvre du démon »

Il entend cantonner la science à son domaine. Et aussi sa foi : « Je dois rassurer ceux qui se demandent si je crois [...] en Darwin. Je réserve la croyance à la religion, aux relations humaines, voire à l'intelligence, mais pas à la science. » Jacques Arnould constate que « les théories héritées de Darwin sont celles sur lesquelles une majorité de biologistes se fondent pour travailler » ; comme nous, il reconnaît n'avoir « ni la compétence ni l'autorité pour les critiquer ».

S'il ne leur accorde aucune caution scientifique, le frère Arnould ne traite pas les créationnistes avec mépris : « Il existe sans aucun doute de la bonne foi [...] de part et d'autre. » On perçoit le désarroi que lui inspire une foi fondée sur une lecture littérale de la Bible... Sans doute a-t-il à l'esprit l'enseignement de Saint Paul : « La lettre tue et l'esprit vivifie. »

Bien des auteurs abordant le sujet auraient versé dans l'anticléricalisme. On tremble à la lecture d'un sermon prononcé jadis dans le Tennessee par un prédicateur assimilant la découverte des dinosaures à « l'œuvre du démon ». Jacques Arnould tient son propos à l'écart des polémiques, mais nous observerons que les dépositaires de cet héritage fanatique, trop prompts à tout analyser à travers le prisme de la christianophobie, dénoncent volontiers l'évolution comme un « montage » contre la foi, au mépris des travaux scientifiques. L'auteur reste conscient, néanmoins, que ces théories « ne sont pas exemptes d'idéologies a priori, ni d'ailleurs de récupérations a posteriori ». Par sa mesure, il redore un peu l'image de la religion, dévalorisée par des "champions" déniant la rationalité.

Il apporte sa pierre au débat entre foi et raison. De son point de vue, « s'il convient de ne pas confondre ces deux sphères, il ne faudrait pas non plus les maintenir totalement séparées ». Ainsi souligne-t-il que « la quête obstinée du commencement et de l'origine se trouve au fondement même de notre conscience d'être humain ».

Dans une société laïcisée, largement dominée par la technologie, les croyants pourront difficilement esquiver ce débat, à moins de se replier dans leurs communautés. Quant aux politiques, peut-être y seront-ils bientôt régulièrement confrontés ? On se souvient qu'en début d'année, un "atlas de la création" avait été massivement envoyé dans les établissements de l'Éducation nationale afin de réfuter l'évolution au nom du Coran. En réaction, le ministère avait diffusé un « message de vigilance » auprès des recteurs.

(1) Jacques Arnould : Dieu versus Darwin ; Albin Michel, 317 p., janvier 2007, 20 euros.

(2) Jean Chaline : Quoi de neuf depuis Darwin ? Ellipses, 479 p., novembre 2006, 26,50 euros.

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