L'histoire en otage

2 avril 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Retour sur l'histoire du négationnisme en France.

Le négationnisme s'est immiscé dans l'actualité ces derniers mois. Nos lecteurs intéressés par cette "école" pseudo-historique pourront consulter l'étude que Valérie Igounet a consacrée à ses représentants français (1). L'auteur considère Maurice Bardèche comme l'« initiateur » de la contestation des crimes nazis. Ouvertement fasciste, le beau-frère de Robert Brasillach devint l'éditeur d'un transfuge de la gauche pacifiste, député SFIO puis militant actif de la Fédération anarchiste : Paul Rassinier. Revenu de déportation à Buchenwald et Dora, celui-ci entreprit de relativiser la responsabilité des SS dans les camps, incriminant plutôt les communistes. Ces "précurseurs" ouvrirent la voie à Robert Faurisson, un professeur de lettres amoureux de la vérité selon ses dires, sans aucun doute avide de provocation.

Signe des insuffisances de la recherche historique, il fut, dans les années soixante-dix, l'« un des premiers Français à fouiller dans les archives d'Auschwitz, à comparer des documents et à mettre en évidence des contradictions entre [...] les plans et [...] le terrain ». Se rendant sur place, un pharmacien qui préparait un roman observa moult incohérences, au point de douter à son tour de l'existence des chambres à gaz homicides. Aussi Jean-Claude Pressac travailla-t-il aux côtés de Robert Faurisson pendant quelque temps. La rupture fut consommée après qu'il eut décelé les « traces d'aménagement criminelles » d'un camp qui, en réalité, n'avait pas été conçu dès l'origine à des fins d'extermination. Une découverte fondamentale. Non sans hésitation, Pierre Vidal-Naquet introduisit cet "amateur" dans les milieux universitaires. Ses conclusions, publiées aux États-Unis en 1989 sous le titre Auschwitz - Technique and operation of the gas chambers, devinrent « une des références bibliographiques dans l'histoire du génocide ». Dans un entretien accordé au Spiegel du 9 février dernier, Mgr Williamson s'est engagé à étudier l'ouvrage de ce "négationniste repenti". Celui-ci n'en reste pas moins une personnalité controversée, étant donné son choix de ne considérer que les « données et documents techniques » ; d'autant qu'il révise à la baisse le nombre de victimes.

Valérie Igounet rend compte de la pénétration du négationnisme dans l'idéologie et le discours du Front national, ainsi que des collusions de l'extrême droite avec des courants pro-arabes, voire islamistes. Les sympathies que s'attire aujourd'hui Dieudonné sont à ce titre significatives. L'auteur souligne également le soutien décisif apporté au négationnisme par un microcosme d'extrême gauche mené par Pierre Guillaume, animateur de La Vieille Taupe, une librairie "révolutionnaire". Influencé par Amadeo Bordiga, il a vu dans les horreurs du nazisme « un alibi, utile au capitalisme, pour justifier son exploitation de la classe prolétarienne ».

Fallait-il condamner lourdement les adeptes de cette « métamorphose moderne de l'antisémitisme » ? « Ceux qui sont contre [...] ne vivent pas au milieu des survivants et n'entendent pas leurs cris », déplora Serge Klarsfeld, qui défendait la loi Gayssot en 1990 : « Les poursuites s'imposent dans la période actuelle. Après, une fois que tous les témoins seront morts, ce ne sera plus nécessaire. » Selon Pierre Vidal-Naquet, en revanche, « il n'appartient pas aux tribunaux de définir la vérité historique » : « Faire de la vérité sur la Shoah une vérité légale [...] paraît une absurdité. Le fait de punir l'expression du révisionnisme ne fera que transformer ces gens-là en martyrs. » Un point de vue partagé par Valérie Igounet, qui s'est exprimée à ce sujet le 26 janvier 2004 sur un forum en ligne du Nouvel Observateur. Fort heureusement, le discours des historiens ne se réduit pas à l'écho qu'en renvoie la sphère politico-médiatique. Ne l'oublions pas.

(1) Valérie Igounet : Histoire du négationnisme en France. Éd. du Seuil, mars 2000, 692 p., 28 euros.

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