Le rosé noyé dans l'imbroglio européen

21 mai 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'Union européenne doit produire du vin rosé par mélange de blanc et de rouge ; tel est le vœu de la Commission de Bruxelles. Un rapport parlementaire lève une partie du voile sur un "scandale" se révélant beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Explications.

Nouveau symbole des méfaits de la technocratie bruxelloise, le projet de règlement européen levant l'interdiction de produire le rosé de table par coupage de blanc et de rouge est une bénédiction pour les souverainistes en campagne : 87 % des Français y seraient hostiles (1). Poursuivant le décryptage de cette affaire, nous nous appuyons cette fois-ci sur le rapport (2) de Gérard César, sénateur UMP de la Gironde. Pour lui, il est essentiel « de soutenir le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, qui négocie ce dossier à Bruxelles [...] afin de faire entendre la voix particulière de notre pays et de tenter d'y rallier certains de nos partenaires européens lors du vote du texte le 19 juin prochain ».

OCM vin

En avril 2008, un règlement avait lancé la réforme de l'Organisation commune du marché vitivinicole (OCM vin). En conséquence, à l'automne dernier, la Commission européenne a proposé deux textes d'application, sur les règles d'étiquetage et les pratiques œnologiques, discutés, respectivement, au sein d'un comité de gestion et d'un comité de réglementation. Dans ce cadre, le 27 janvier, lors d'un vote indicatif autorisant la consultation de l'OMC, « compte tenu des réponses positives apportées à ses autres demandes » selon Gérard César, la France s'est prononcée en faveur d'un "paquet" incluant la mesure controversée.

Introduite en 1999, l'interdiction de produire du rosé par coupage s'appliquait seulement aux vins de table. Cela « se justifiait par l'existence de régimes d'aides distincts pour la distillation de crise des vins de table rouges et des vins de table blancs. Le silence des textes communautaires sur les vins autres que ceux de table signifiait qu'il était licite d'utiliser la technique du coupage pour les vins d'appellation, afin notamment de prendre en compte les spécificités d'élaboration du champagne rosé et de certains vins rouges. »

Un train de retard

La Commission avait-elle caché son jeu ? « Dès les premières discussions préparatoires », elle avait « fait part de ses doutes sur la justification du maintien de l'interdiction du coupage ». Celui-ci devenait à ses yeux « une "discrimination négative" à l'encontre des producteurs communautaires [...] alors que la pratique du mélange rouge-blanc est utilisée aux États-Unis ou en Australie et que ces produits sont déjà sur le marché européen, sans indication sur les étiquettes ». Autrement dit, ce n'est pas la commercialisation – déjà autorisée ! - du rosé coupé qui est en cause, mais sa fabrication sur le territoire des vingt-sept États membres de l'Union européenne.

Ces restrictions étaient-elles préjudiciables aux viticulteurs français ? La faiblesse des échanges internationaux sur le marché des vins rosés relativise cette crainte : « Environ 10 % seulement de la production est commercialisée entre pays. L'absence de normalisation internationale du produit pourrait l'expliquer. Contrairement aux vins rouge ou blanc, le rosé est largement consommé dans son pays ou sa région de production. La concurrence se fait donc, pour l'instant du moins, davantage au sein des pays producteurs qu'entre ceux-ci. » Dès lors, faut-il s'attendre à ce que la demande en rosé coupé soit stimulée par l'émergence d'une offre française ?

Quoi qu'il en soit, le recours au coupage présenterait trois inconvénients selon le sénateur de la Gironde : un risque de standardisation, les producteurs étant susceptibles de recourir aux cépages blancs les plus répandus ; un risque d'édulcoration, avec la tentation de corriger des excès de dureté par l'ajout de sucre ; un risque de confusion dans l'esprit des consommateurs, confrontés à des produits impossibles à différencier à l'œil nu. Gérard César imagine la réaction d'un acheteur déçu par un rosé coupé : la crainte d'un déficit d'image se dessine, affectant les producteurs de rosé traditionnel, voire l'ensemble de la filière vitivinicole.

L'impasse multilatérale

Dans son ultime numéro, La Lettre de l'indépendance annonce carrément « l'agonie des AOC ». Le rapport se veut plus nuancé : « Nul ne peut anticiper aujourd'hui les conséquences économiques de l'autorisation du vin rosé coupé sur la filière vitivinicole française, mais ce sont peut-être les producteurs de vin rosé de table qui ont le plus à craindre. [...] Les producteurs de vins rosés d'appellation avaient la faculté [...] de recourir à la technique du coupage, mais ils l'ont refusée dans leur cahier des charges. Compte tenu de la forte fragmentation du marché du vin, certains observateurs optimistes estiment que les vins rosés haut de gamme seront très faiblement concurrencés par les vins rosés coupés à faible prix. »

Pressé par le temps, Bruxelles ne semble pas disposé à retirer son texte. Or, « l'opposition au règlement sur les pratiques œnologiques repose sur une alliance hétéroclite d'États membres que la Commission européenne pourrait aisément briser en donnant satisfaction aux revendications de certains pays pour isoler la France » (3). Et « si d'aventure une minorité de blocage était réunie [...], il faudrait être vigilant pour que les avancées qu'a obtenues le gouvernement lors des négociations sur le nouveau règlement ne soient pas remises en cause ». « Quant à une réglementation nouvelle au sein de l'OIV (4) (qui autorise le coupage pour les vins) ou de l'OMC (qui interdit d'obliger les pays tiers à indiquer sur leurs étiquettes si le vin rosé est issu de coupage), elle est pour l'heure hors de portée. D'une part, la modification des règles au sein de l'OIV nécessite le consensus des États. D'autre part, les accords relatifs à la politique commerciale communautaire doivent être conclus à la majorité qualifiée par le Conseil "Affaires générales et Relations extérieures" (CAGRE). »

On le voit, « les marges de manœuvre du gouvernement sont très faibles, tant au niveau communautaire qu'au niveau international ». D'où l'intérêt des subtilités exposées ci-dessus : elles illustrent la complexité des pratiques multilatérales, par ailleurs inintelligibles pour le grand public. Voilà une affaire typiquement européenne.

(1) Selon un sondage Ifop pour Sud-Ouest Dimanche et Midi Libre.

(2) N° 392, "annexe au procès-verbal de la séance du 6 mai 2009". Rapport de 32 pages disponible sur le site Internet du Sénat.

(3) Avis aux connaisseurs : l'Allemagne et la Hongrie n'apprécient pas la baisse du plafond autorisé de sulfites ; l'Italie et la Grèce sont hostiles aux mesures relatives à la désalcoolisation.

(4) Organisation internationale de la vigne et du vin.

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