Sémantique européiste

3 décembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Les commentaires vont bon train depuis la désignation du premier président "stable" du Conseil européen. On en fait volontiers le président « de l'Union européenne ». Un simple abus de langage ?

Les Vingt-Sept se sont accordés pour désigner le Belge Herman Van Rompuy à la tête du Conseil européen. « Cela s'est passé relativement facilement, en tout cas rapidement », selon le témoignage du président de la République. Rappelons que le Conseil européen réunit les chefs d'État ou de gouvernement des États membres de l'UE. Selon les traités, il « donne à l'Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales ». Il en est devenu une institution à part entière avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre. Cette consécration nourrit d'ailleurs quelque inquiétude en l'exposant au contrôle de la Cour de Justice de Luxembourg.

Quels pouvoirs ?

Évoquant le Premier ministre belge sortant, nombre de nos confrères se sont empressés d'en faire le président non pas du Conseil européen, mais de « l'Union européenne » tout entière. C'est méconnaître ses responsabilités. Officiellement, il « préside et anime les travaux du Conseil européen ; assure la préparation et la continuité des travaux du Conseil européen en coopération avec le président de la Commission, et sur la base des travaux du Conseil des Affaires générales ; œuvre pour faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen ; présente au Parlement européen un rapport à la suite de chacune des réunions du Conseil européen ».

Le 12 novembre, Herman Van Rompuy se serait paraît-il prononcé « lors de la réunion du groupe Bilderberg, à Bruxelles, pour un fédéralisme européen sur le modèle de celui des États-Unis » ; il aurait « plaidé en faveur d'un financement direct du budget européen par l'impôt, en l'occurrence une taxe environnementale » (Coulisses de Bruxelles, 29/11/2009). Tout juste désigné à la tête du Conseil européen, il a prononcé une déclaration bien plus consensuelle : « Je veillerai à respecter les sensibilités et les intérêts de tout un chacun. [...] Chaque pays a son histoire, sa culture et sa façon de faire. Sans respect pour notre diversité, nous ne constituerons jamais notre unité. Ce principe sera toujours présent dans mon esprit. »

Son influence dépendra de l'habileté avec laquelle il dessinera les contours de sa fonction. Mais il ne saurait convoiter un pouvoir exécutif. « Il ne s'agissait pas d'élire George Washington à la tête des États-Unis d'Amérique », proclame Pierre Lellouche, le secrétaire d'État en charge des Affaires européennes : « Son rôle sera non pas de faire de la représentation et de donner des conférences de presse, mais d'être capable de poser les bonnes questions au Conseil européen, puis, une fois qu'un accord aura été dégagé, d'en assurer le suivi. » Jacques Delors balaie lui aussi les utopies giscardiennes : « Il n'a jamais été question [...] d'avoir une personne qui serait président de l'Europe, les États ne l'auraient pas supporté. [...] Au bout de six mois, les tensions entre les différentes institutions auraient été telles que tout aurait été paralysé. » (Le Monde, 30/11/2009)

Un vrai ministre

Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, la Britannique Catherine Ashton est quant à elle promue « ministre des Affaires étrangères » par certains journalistes, qui empruntent l'expression au défunt traité établissant une constitution pour l'Europe. Ce titre apparaît moins usurpé que le précédent : Mme Ashton présidera le Conseil des ministres des Affaires étrangères ; elle s'appuiera à terme sur le Service européen pour l'Action extérieure qu'il lui appartient de mettre en place. Aussi Paul-Marie Coûteaux annonce-t-il d'ores et déjà la « suppression » des ambassades nationales. Avant d'en arriver là, l'UE devra unifier son embryon de diplomatie, scindée entre ses piliers communautaire et intergouvernementaux. À titre d'exemple, elle a entrepris il y a seulement quelques mois d'unifier sa représentation en Afghanistan, où le délégué du Conseil cohabitait avec celui de la Commission ; ainsi, bien sûr, qu'avec les représentants des États membres maintenus à leur poste.

Cristal opaque

La nationalité du Haut Représentant pourrait en outre tempérer l'inquiétude des souverainistes. « C'est assez intéressant de prendre [...] une femme qui vient d'un pays qui a parfois plus de difficultés avec l'Europe », souligne Nicolas Sarkozy. Sans doute sera-t-elle confrontée à quelques tiraillements. Parmi les premiers dossiers qu'elle aura à traiter figure ainsi le déploiement, en Ouganda, d'un dispositif européen de formation des soldats somaliens ; une opération dont les préparatifs sont accueillis avec réticence par le Royaume-Uni.

Les approximations sémantiques observées dans la presse s'expliquent par des motifs idéologiques. Elles illustrent également ce travers par lequel des schémas institutionnels nationaux sont calqués sur la réalité européenne, où ils s'avèrent inopérants. La mise en œuvre du traité de Lisbonne rendra-t-elle le fonctionnement de l'UE plus intelligible aux yeux des profanes ? La présidence de la Commission n'est pas subordonnée à celle du Conseil européen, et celle, tournante, du Conseil des ministres est maintenue... Tandis qu'on lui demandait quel était désormais le visage de l'"Europe", le président de la République lâcha cet aveu : « Tout n'est pas d'une pureté de cristal. »

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