Une finance halal à Paris

3 décembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le gouvernement et les parlementaires de la majorité promeuvent le développement de la finance islamique sur la place de Paris. Aperçu des enjeux économiques et sociaux.

Le mois dernier, Bercy accueillit un colloque présentant les « opportunités pour les entreprises françaises » offertes par la finance islamique. Christine Lagarde a confirmé qu'elle menait un « combat » en faveur de son développement sur le territoire national. Par ce biais, le ministre de l'Économie entend renforcer l'attractivité de la place de Paris et capter des liquidités au volume croissant, issues de rentes pétrolières et gazières.

Cinq principes

La finance islamique recouvre les activités censées respecter les prescriptions du Coran. Elle repose sur cinq principes : interdiction de l'intérêt versé selon le seul écoulement du temps ; prohibition de la spéculation et de l'incertitude ; exclusion des secteurs haram (vente d'armes, d'alcool ou de porc, pornographie) ; partage des profits et des pertes ; adossement à des actifs tangibles. Des exigences mises en valeur par la Crise... Évalué à 700 milliards de dollars, ce marché devrait représenter 1 000 milliards d'euros à l'horizon 2020, selon Elyès Jouini et Olivier Pastré, auteurs d'un rapport pour Paris Europlace. « Soit [...] l'équivalent du tiers des fonds propres de l'ensemble des banques mondiales en 2007 ou l'équivalent de la moitié de la capitalisation boursière de la place financière de Paris aujourd'hui. »

Les banques françaises n'ont pas manqué d'investir ce marché. BNP-Paribas s'y emploie depuis les années quatre-vingt, principalement dans le Golfe persique et en Asie du Sud-Est. Depuis 2003, le groupe s'appuie sur une filiale basée à Bahrein. « Cette entité est soumise aux mêmes contraintes et dispositions légales que BNP-Paribas, notamment en matière de connaissance des clients, de lutte contre le blanchiment d'argent, etc. Néanmoins, [...] elle dispose d'un comité de charia composé de docteurs en théologie [...] chargés d'approuver toutes les opérations mises en place », expliqua Maya Boureghda lors d'une table ronde organisée au Sénat au printemps 2008.

Immigrations

Sur le territoire européen, le Royaume-Uni fait figure de pionnier. Par rapport à lui, « la France a pris beaucoup de retard dans le développement de son industrie financière islamique », observe Zoubeir Ben Terdeyet, directeur d'Isla-Invest. Peut-être parce que « en Grande-Bretagne, les populations musulmanes sont constituées surtout de personnes originaires du Pakistan, de l'Inde et du Golfe persique, soit des régions où les banques islamiques sont très présentes. En France, en revanche, la communauté musulmane est composée, en majorité, de gens issus d'Afrique du Nord où la finance islamique est assez inexistante. » Jean Arthuis, qui préside la commission des Finances de la chambre haute, déplore l'« inertie nationale », tout en martelant que peu d'aménagements légaux seraient nécessaires pour y remédier. D'ailleurs, l'Autorité des marchés financiers a déjà approuvé des OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières) compatibles avec la charia. Outre-Rhin, le land de Saxe a émis une obligation islamique – ou sukuk – qui lui a rapporté 100 millions d'euros.

Un exemple à suivre ? Probablement aux yeux du sénateur UMP Philippe Marini, auteur d'un amendement à la proposition de loi « tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises ». Adopté définitivement par le Parlement, après avis favorable du gouvernement, son texte prévoyait la modification du Code civil sur la fiducie (transfert temporaire de propriété), afin que le détenteur de sukuk puisse se prévaloir d'un droit de propriété des actifs supports. Saisi par l'opposition, le Conseil constitutionnel a censuré cet amendement le 14 octobre dernier, pour un motif de forme. Scandalisé, le député PS Henri Emmanuelli avait dénoncé une atteinte à la laïcité par « l'introduction de la charia dans le droit français ». Une accusation récusée par sa collègue UMP Chantal Brunéi : « Nous n'ajoutons ici qu'un instrument d'investissement supplémentaire dans la boîte à outils – un parmi beaucoup d'autres, et que personne n'est obligé d'utiliser ! »

Communautarisme

Sans doute eût-il été plus opportun d'agiter l'épouvantail du communautarisme. L'année dernière, Jean Arthuis avait regretté que « la réflexion présentement engagée soit essentiellement tournée vers la banque d'investissement et de financement au détriment de la banque de détail ». La demande des particuliers n'apparaît pas manifeste, mais Zoubeir Ben Terdeyet veut croire en son émergence : « Lorsque la viande halal est apparue en France, presque personne n'en achetait. [...] Beaucoup de musulmans qui ne consommaient pas de viande halal, par effet de mimétisme, font maintenant comme leurs voisins en s'en procurant. Le même phénomène pourrait avoir lieu concernant les produits de finance islamique. » Leur développement s'accompagnerait d'un  « effet intégrateur potentiel » selon Jean Arthuis ; ce serait un signal positif envoyé à la communauté musulmane nationale, une sorte de reconnaissance.... Dans le débat qui anime la rédaction de L'Action Française 2000 et qui oppose, plus ou moins, les partisans de l'assimilation à ceux de l'intégration communautaire, l'ancien ministre de l'Économie soutiendrait vraisemblablement les seconds.

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