Mensonge volontariste, tentation populiste

27 septembre 2011

Chronique enregistrée pour RFR le vendredi 29 juillet 2011.

Une fois n'est pas coutume, l'assainissement budgétaire s'annonce comme un thème majeur de la campagne présidentielle. Cela suscite d'ailleurs un certain malaise à gauche. En revanche, les souverainistes s'en donnent à cœur joie. Tandis que les gouvernements semblent impuissants à résoudre la crise des dettes souveraines, ils agitent une solution miracle, le retour aux monnaies nationales, et proclament que l'histoire leur a donné raison – ce qui n'est pas impossible.

« Sans doute eût-il mieux valu que la Grèce ne rentre pas dans l'euro », reconnaît, par exemple, Alain Madelin. « En conservant son drachme », explique-t-il, « elle n'aurait pu s'endetter inconsidérément comme elle l'a fait sous le parapluie de l'euro et la sous-compétitivité de son économie aurait pu être corrigée par une dévaluation ». Oui mais voilà : abandonner la monnaie unique, c'est autre chose que de ne pas l'avoir adoptée. Aux yeux de l'ancien ministre de l'Économie, il apparaît « impossible d'organiser une conversion forcée de l'ancienne monnaie quand celle-ci continue d'avoir cours comme ce serait le cas avec l'euro ». Pour s'imposer, en effet, « le nouveau drachme [...] se devrait d'être plus attractif que l'euro ». Concrètement, comment voudriez-vous convaincre tout un chacun d'échanger ses euros contre des drachmes ou des francs dont la valeur serait appelée à fondre sur le marché des devises ? Toujours selon Alain Madelin, « le seul exemple connu de sortie d'une zone monétaire par la dévaluation » serait celui du Mali en 1962, « dont l'échec fut piteux ». Voilà un précédent qui mériterait d'être étudié avec la plus grande attention.

Outre la monnaie unique, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan pointent une réforme intervenue en 1973, qu'ils dénoncent sous le nom de « loi Rotschild ». C'est une allusion à la banque éponyme, qui fut l'employeur éphémère de Georges Pompidou, dont celui-ci est accusé d'avoir servi les intérêts alors qu'il était devenu président de la République. Par cette loi, l'État avait renoncé à se financer directement auprès de la Banque de France ; depuis lors, il doit compter avec les taux fixés par les marchés. C'était une façon de lutter contre les dérives inflationnistes.

Mais selon ses détracteurs, tel Aristide Leucate s'exprimant dans L'Action Française 2000 du 17 mars dernier, « on ne mesure pas à quel point l'impuissance publique ayant résulté de cette funeste décision allait conduire à la privatisation progressive de la chose publique ». Jacques Bainville aurait-il partagé cette analyse ? Il n'y a « rien de plus terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie », écrivait-il dans L'Action Française du 2 novembre 1925. À ses yeux, l'indépendance de la Banque de France constituait un « garde-fou » grâce auquel avait été contenu «  le gaspillage financier, inhérent aux démocraties ».

Bien que les circonstances aient changé, cela donne à réfléchir et pose, à nouveau, la question du rapport du politique à l'économique. Schématiquement, deux conceptions s'opposent : l'une respecte l'indépendance de chacun des ordres, quand l'autre croit pouvoir placer le second sous la tutelle du premier. On l'observe à travers les réactions suscitées par la crise de la dette : tandis que les uns appellent l'État à réduire ses besoins de financement, les autres prônent la censure des agences de notation – autrement dit, ils s'attaquent au thermomètre plutôt que de soigner la fièvre... « Quand on n'a pas assez de bonne monnaie, et qu'on est bien résolu à ne pas recourir à la fausse, quand on veut se contenter de ce peu de bonne monnaie plutôt que d'aller à la ruine par une richesse fictive, que faut-il faire ? » se demandait Jacques Bainville, quelques mois plus tard, toujours dans les colonnes du quotidien royaliste. « Se restreindre », répondait-il. Selon lui, « il n'y a pas d'autre système que les économies ».

Certains s'y refusent néanmoins. Ce faisant, ils se fourvoient dans le volontarisme. Par ce terme, je ne désigne pas le dirigisme, mais un certain rationalisme : d'aucuns fantasment sur l'économie comme d'autres planifiaient jadis le découpage administratif de la France suivant des formes géométriques. Dans un article publié par Causeur en mai dernier, Georges Kaplan raconte comment s'est développé un véritable système monétaire dans la cour d'école qu'il fréquentait à l'âge de dix ans, où il échangeait des billes avec ses camarades. Preuve que l'organisation économique revêt un caractère en partie spontané. Et qu'à l'inverse, la volonté pure ne suffit pas à la transformer. La plupart des royalistes n'étant pas abusés par le mythe du contrat social, ils devraient pourtant l'admettre sans difficulté !

Selon la formule popularisée par Milton Friedman, « il n'y a pas de repas gratuit ». Autrement dit, il y a toujours un prix à payer. Peut-être la monétisation de la dette présente-t-elle quelque vertu. Je ne me risquerai pas à en débattre, mais je tiens à mettre en garde nos auditeurs contre l'illusion selon laquelle l'ardoise pourrait être effacée d'un coup de baguette magique.

Hélas, le mensonge volontariste se trouve nourri par la tentation populiste. De fait, on se targue de prendre le parti du « peuple » contre l'« oligarchie » ou quelque « super-classe mondiale ». Autant revendiquer l'espoir de provoquer un sursaut en précipitant la République vers l'abîme. Car galvaniser le mécontentement populaire, c'est bien choisir la politique du pire. Le constat établi en 1926 par Jacques Bainville demeure d'actualité : « Les neuf dixièmes de la France ne comprennent rien à ce qui se passe. D'où la difficulté de demander à la masse, représentée par ses élus, des sacrifices dont la portée et la destination lui échappent. »

Selon l'historien d'AF, « dans toute la mesure où elle était indépendante de l'élection, la Restauration a été économe. Dans toute la mesure où elle dépendait de l'opinion publique, elle a suscité un mécontentement et des rancunes que ne désarmait pas le retour de la prospérité. "Grande et importante leçon", eussent dit nos pères. Elle explique la lâche paresse avec laquelle nos gouvernements démocratiques se sont laissé aller, comme la Révolution elle-même, sur la pente facile des assignats et de l'inflation. »

Or, comme l'écrivait encore Jacques Bainville, en 1933 cette fois-ci, « la foule comprend à la lueur des éclairs dans le ciel, quand l'orage des changes commence à gronder. [...] Après quoi, de nouveau, elle oublie tout. » Sous la Ve République, la construction européenne et le carcan du droit ont tempéré l'incurie monétaire, mais non le laxisme budgétaire. L'opinion publique semble disposée à l'entendre plus qu'elle ne l'a jamais été.  C'est une opportunité à saisir.

Les citations de Jacques Bainville sont tirées de La Fortune de la France, un recueil d'articles paru en 1937 et disponible gratuitement dans la bibliothèque numérique des "Classiques des sciences sociales".

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