Pacte budgétaire : un traité pour quoi faire ?

4 octobre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l'Union économique et monétaire (TSCG), dont le Parlement français débat ces jours-ci, est censé "sauver l'euro". Vaste programme.

Quelques milliers de personnes ont battu le pavé parisien, dimanche dernier, 30 septembre, à l'appel du Front de gauche, pour réclamer que soit soumise à référendum la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l'Union économique et monétaire (TSCG), ou "Pacte budgétaire". Le cas échéant, toutefois, les manifestants devraient batailler pour faire mentir les sondages : selon une enquête BVA, dont les conclusions ont été publiées lundi par Le Parisien, 64 % des Français voteraient en faveur du traité.

Une fois n'est pas coutume, ils pourraient (presque) le faire en connaissance de cause. À la différence des traités communautaires, en effet, le TSCG, long de vingt-cinq pages seulement, s'avère relativement facile à lire. Contrairement au traité de Lisbonne, par exemple, il ne constitue pas une révision du droit primaire de l'Union européenne. D'ailleurs, seuls vingt-cinq des vingt-sept États membres de l'UE y ont apposé leur signature, le Royaume-Uni et la République tchèque s'y étant refusés. Les parties contractantes s'appuieront néanmoins sur les institutions de l'Union pour mettre en œuvre des engagements souscrits à sa marge, dans un cadre intergouvernemental. Cela ne recèlerait-il pas quelque fragilité juridique ? En tout cas, il est envisagé d'intégrer les innovations du TSCG au cadre juridique de l'Union européenne dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur (comme on le fit des accords de Schengen).

Imboglio juridique

Le droit communautaire s'en trouverait-il bouleversé ? Loin s'en faut. Le TSCG contient moult références au « Pacte de stabilité et de croissance révisé » adopté à l'automne 2011. Le renforcement de la discipline budgétaire, sous la surveillance accrue de la Commission européenne, est acquis de longue date ! Le Pacte budgétaire se distingue par l'introduction « d'objectifs à moyen terme » portant sur la réduction du déficit structurel – un déficit « corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires », selon les termes du TSCG, dont l'ampleur ne devrait pas dépasser 0,5 %, voire 1 % du PIB.

Était-il nécessaire de négocier un nouveau traité à cet effet ? Un texte d'une telle nature solennise l'engagement des responsables politiques en faveur d'un assainissement des finances publiques. En dépit des lourdeurs inhérentes au processus de ratification, c'est, vraisemblablement, tout l'intérêt qu'il présente aux yeux du chancelier allemand, confronté à la défiance d'une opinion publique où l'euroscepticisme va croissant. Au cœur de cette opération de communication, orchestrée par Angela Merkel, donc, figure l'introduction d'une "règle d'or" budgétaire, ou la promesse que sera garantie l'exportation de la rigueur germanique – la contrepartie de la "solidarité budgétaire" consentie par Berlin. De fait, les signataires du TSCG s'engagent à équilibrer leurs comptes « au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ».

En négociant un tel engagement, les exécutifs ont délibérément court-circuité leur parlement... Dans le cas de la France, cela se traduira non par une révision constitutionnelle, mais par l'adoption d'une loi organique et, selon le projet du gouvernement, la création d'un Haut Conseil des finances publiques dirigé par le premier président de la Cour des comptes. Cela « va profondément modifier la préparation et le suivi des lois de Finances », analyse, dans Les Échos, notre confrère Étienne Lefebvre. À l'avenir, par exemple, la prévision de croissance sur laquelle se fonde le budget « devra être validée en amont par le Haut Conseil, dont l'avis sera rendu public au moment de la présentation du budget, fin septembre. Un avis négatif ne sera pas suspensif, mais son poids politique sera déterminant. Plus question de s'appuyer sur une prévision trop volontariste. » Un objectif à moyen terme sera désormais fixé dans les lois de programmation des finances publiques, et une trajectoire pluriannuelle définie en conséquence. En cas d'écart, le gouvernement proposera des mesures en application d'un "mécanisme de correction". Il appartiendra au Haut Conseil de donner l'alerte, « en tenant compte », précise le gouvernement, « le cas échéant, de circonstances exceptionnelles ».

Politique d'abord

Les "circonstances exceptionnelles", telles qu'elles sont définies par le TSCG, « font référence à des faits inhabituels indépendants de la volonté de la partie contractante concernée et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou à des périodes de grave récession économique telles que visées dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, pour autant que l'écart temporaire de la partie contractante concernée ne mette pas en péril sa soutenabilité budgétaire à moyen terme ». Cela ne pourrait-il pas donner lieu à diverses interprétations, selon que l'on statue à Paris, Berlin, Bruxelles ou Luxembourg ? Telle est l'inquiétude exprimée par Marc Clément, magistrat administratif, dans un article publié par Telos. En définitive, résume-t-il, « le Traité de stabilité instaure à côté des mécanismes européens centrés sur les objectifs maximum de déficit de 3 % et de dette de 60 %, un autre ensemble de contraintes visant à l'équilibre structurel des budgets. Mais ces règles sont des règles nationales dont l'application sera contrôlée nationalement. » D'un côté, « la Commission et le Conseil sanctionnent sous le contrôle de la Cour de Justice » ; de l'autre, celui du TSCG, « ce sont les juges nationaux ». « Qu'est-ce qui garantit que les décisions des juges ne seront pas contradictoires d'un État membre à l'autre ? Rien, car pour le Traité de stabilité, le juge de Luxembourg n'intervient que marginalement. » Du moins est-il censé vérifier qu'une "règle d'or" budgétaire a bien été introduite dans le droit national, sans participer directement à son application.

Le moment venu, n'en doutons pas, les politiciens sauront s'engouffrer dans cet imbroglio juridique, sous la pression d'un corps électoral avide de promesses dont il faudra bien financer la réalisation, au moins en partie... Vingt ans après la ratification du traité de Maastricht, le TSCG est censé en corriger les insuffisances, en restaurant la discipline budgétaire dont l'Union européenne s'était affranchie à la demande de Paris et Berlin. Quoique "renforcé" tout récemment, le Pacte de stabilité avait volé en éclats à leur instigation, après avoir été jugé « stupide » par Romano Prodi, alors président... de la Commission européenne. Pourquoi le Pacte budgétaire serait-il promis à un avenir différent ? On finira bien par s'en extirper. D'aucuns s'y essaient d'ores et déjà. Jugeant « intenable » la réduction du déficit public poursuivie à court terme, Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale, souhaiterait que Paris s'en affranchisse. « Mais je ne souhaite pas que ce soit la France qui donne l'impression de ne pas tenir ses engagements et sa parole parce que nous aurions à le payer cher au niveau de la gestion de notre dette et de l'effort financier », a-t-il expliqué le 23 septembre, comme le rapportent Les Échos. D'où son espoir de faire peser la responsabilité sur Bruxelles, qui aurait bon dos ! À supposer qu'il faille effectivement "sauver l'euro" et, plus généralement, ramener les finances publiques à l'équilibre sans faire tourner la planche à billets - ce dont la rédaction de L'Action Française 2000 est loin d'être convaincue, ses lecteurs le savent bien ! - on le voit, le carcan du droit ne saurait y suffire. C'est pourquoi, de notre point de vue, cette affaire n'est qu'une nouvelle illustration de la prégnance du "politique d'abord" cher à Maurras : en pratique, « dans l'ordre du temps », la politique demeure bel et bien « la première ». 

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