De Cayenne à Bruxelles

7 mars 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

L'adoption d'un nouveau cadre financier pluriannuel pour l'Union européenne pourrait affecter la Guyane française, « en quête de singularité » vis-à-vis de Bruxelles, selon l'intitulé d'un rapport parlementaire.

Couramment vilipendée en raison du libéralisme censé l'inspirer, l'Union européenne n'en pratique pas moins la redistribution à l'échelle du Vieux-Continent, voire au-delà, dans ses régions ultrapériphériques (RUP), parmi lesquelles figure la Guyane française. Entre 2007 et 2013, plus de 500 millions d'euros de subventions lui auront été attribués par Bruxelles. Une somme investie, entre autres, dans la réfection d'un aérodrome et l'extension du réseau d'eau potable. Toutefois, « malgré les progrès réalisés durant les dernières décennies, la Guyane manque encore de certains équipements structurants », selon les sénateurs PS Georges Patient et Simon Sutour, auteurs d'un rapport d'information déposé le 20 février 2013. D'autant que « la vulnérabilité des infrastructures au climat tropical rend les projets d'investissements particulièrement coûteux et peu rentables ».

Au regard du PIB par habitant (53 % de la "base européenne" en 2009, selon les données d'Eurostat), la Guyane compte, sans surprise, parmi les territoires les moins favorisés de l'Union. De fait, soulignent les rapporteurs, « elle se retrouve en-deçà des performances des autres départements d'outre-mer français (67 % pour la Réunion, 66 % pour la Guadeloupe et 73 % pour la Martinique) et bien loin derrière les autres régions ultrapériphériques que sont les Açores avec 75 % du PIB communautaire, Madère avec 105 % et les Canaries avec 87 % ». De ce point de vue, la situation de la Guyane est comparable à celle des régions de Roumanie, de Bulgarie et de Pologne. Mais ses perspectives de développement sont tout autres.

Un budget en baisse

En effet, « la préfecture de Guyane fait le constat d'un territoire triplement enclavé : une région européenne participant au marché commun, mais handicapée par les surcoûts liés à l'éloignement ; un territoire recouvert à plus de 90 % par la forêt, rendant l'accès aux communes de l'intérieur difficile et les besoins en infrastructures de transport énormes ; l'unique territoire européen sur le continent sud-américain, mais séparé de lui par deux fleuves et sur lequel s'applique une réglementation plus contraignante que celle de ses voisins ». De quoi justifier, aux yeux de Cayenne, la pérennité du soutien communautaire.

En dépit de l'élargissement de l'Union européenne à l'Est, « un financement satisfaisant » avait été maintenu jusqu'à présent, estiment les rapporteurs. À l'avenir, cependant, les régions ultrapériphériques pourraient faire les frais de l'accord survenu lors du dernier Conseil européen, où fut adopté un projet de budget pour les six prochaines années. « Alors que le montant de l'aide spécifique pour les RUP était de 35 euros par habitant et par an lors de l'exercice précédent, celui-ci serait de 30 euros pour la période 2014-2020. Cela représente une diminution de 15 % de cette aide, alors que le budget total de l'Union ne subirait qu'une baisse limitée à 3,5 % », déplorent MM. Patient et Sutour. L'annonce « d'une nouvelle initiative pour lutter contre le chômage des jeunes » ne compenserait qu'en partie cette « déception ».

Multiples aberrations

Cependant, l'ampleur de la manne financière est loin d'être seule en jeu. La Guyane, comme les autres régions ultrapériphériques de l'Union, réclame l'assouplissement des critères auxquels doivent satisfaire ses projets pour être éligibles aux fonds européens. L'un d'entre eux, le Feder, privilégie les investissements portant sur la recherche et l'innovation, la compétitivité des PME, les émissions de CO2, l'accès aux technologies de l'information et de la communication. « Or, comme le rappelle Rodolphe Alexandre, président du Conseil régional de Guyane, comment demander à notre région de prioriser l'utilisation des crédits Feder sur ces quatre thèmes, alors que dans le même temps une proportion non négligeable d'habitants de notre territoire n'a pas encore accès à l'eau et à l'électricité ? » Au final, préviennent les rapporteurs, « la future politique de cohésion pourrait avoir l'effet inverse de ce pour quoi elle a été conçue. Avec un budget en baisse et des objectifs toujours plus éloignés d'une région en rattrapage, le risque est grand de voir diminuer la consommation des crédits et par là-même de voir l'écart entre les régions se creuser toujours plus ! »

Bien d'autres aberrations émanent de la technocratie bruxelloise. « Il est des cas précis et concrets où des aménagements des normes européennes sont nécessaires et parfois vitaux », soulignent les rapporteurs, qui mentionnent quelques exemples. « Comment comprendre l'application sans aménagement d'une politique de gestion des déchets prévue pour des communes européennes sur un territoire aussi particulier que la jungle amazonienne ? », s'interrogent-ils. Dans la Communauté de communes de l'ouest guyanais (CCOG), « la mise en œuvre des directives européennes demanderait un investissement de 27 millions d'euros en infrastructures, mais entraînerait le doublement du budget de fonctionnement. Or, il est impossible de prévoir de nouvelles ressources à la hauteur des dépenses. [...] Certes les investissements seraient en partie financés par l'Union européenne et par l'État, et la CCOG pourrait bénéficier de matériels performants et efficaces, mais elle n'aurait pas les moyens de les gérer ! » Autrement dit, « parce qu'elle refuse de prendre en compte la spécificité d'un territoire unique en son sein, l'Union européenne est prête à dépenser à perte des sommes importantes en investissement pour mette en œuvre une politique qui va conduire une collectivité publique dans l'impasse financière ».

La Marine démunie

Les restrictions d'usage des pesticides affectent la culture du riz, alors que « la pression parasitaire, propre au climat d'une région équatoriale, est beaucoup plus importante qu'en Europe ». Par ailleurs, la Guyane « gère depuis longtemps ses ressources halieutiques selon les normes européennes de conservation et d'exploitation durables, contrairement à ses voisins, le Brésil et le Suriname ». Comme le précise Georges Patient, « alors que les pêcheurs guyanais, en application des règles européennes, emploient des filets à grandes mailles pour préserver les espèces, les pêcheurs brésiliens utilisent des filets avec de petites mailles qui épuisent la ressource ».

Or, poursuivent les rapporteurs, « face à l'épuisement de leurs stocks en raison de la surpêche qu'ils ont pratiquée, les pêcheurs surinamais et surtout brésiliens viennent depuis plusieurs années piller les eaux guyanaises ». À tel point que, selon l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), « la ressource serait davantage exploitée par les navires étrangers [...] que par les embarcations locales ». Pourtant, la Marine nationale ne disposerait que de navires hauturiers inadaptés à la poursuite des embarcations clandestines au faible tirant d'eau... En la matière, cela va sans dire, il n'y a rien à attendre de Bruxelles.

Un commentaire pour "De Cayenne à Bruxelles"

  1. Loretta Cline

    Le 16 mai 2013 à 11 h 24 min

    Outre cela, les eurodéputés appellent à élargir le champ d’action de la politique de cohésion. Elle doit être plus liée à la stratégie de développement globale de l’Union européenne (Europe 2020). Concernant l’efficacité de la politique régionale, les socialistes appellent à la prise en compte de nouveaux indicateurs en plus des références actuels comme le PIB, « des indicateurs de développement territoriaux, sociaux et environnementaux ».

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