Et si Londres lâchait Bruxelles ?

6 mai 2015
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Royaume-Uni semble envisager de quitter l'Union européenne. Mais non de rompre avec toute forme d'engagement multilatéral. Aperçu des perspectives qui s'offrent à lui.

Sortira, sortira pas ? La question se pose à propos de la Grèce, susceptible de quitter l'Union économique et monétaire (la zone euro). Mais aussi à propos du Royaume-Uni, dont le Premier ministre sortant, David Cameron, s'est engagé à soumettre à référendum le maintien de son pays dans l'Union européenne (UE). À condition, bien sûr, que les conservateurs soient reconduits au pouvoir à l'issue des élections organisées ce jeudi 7 mai 2015. L'histoire se répétera-t-elle ? En 1975, déjà, en application d'une promesse de campagne, alors que le Royaume-Uni venait d'y adhérer deux ans plus tôt, sa participation à la Communauté économique européenne (CEE) avait fait l'objet d'une consultation populaire ; 67 % des voix s'étaient protées sur le "oui".

Scénario catastrophe

En 2017, en revanche, une victoire du "non" serait vraisemblable, au grand dam de la majorité des chefs d'entreprise britanniques, hantés par les scénarios catastrophistes échafaudés dans la perspective d'un "Brexit". Dans le pire des cas, rapporte La Tribune, selon le think tank allemand Bertelsmann Stiftung, « la perte du PIB par habitant du Royaume-Uni pourrait atteindre 14 %, soit 313 milliards d'euros [...], en 2030, comparé au scénario où il serait resté dans l'Europe ». Cependant, le libre-échangisme a toujours la cote outre-Manche, y compris chez les eurosceptiques : « le Royaume-Uni doit être plus mondial et moins régional », proclame ainsi David Campbell Bannerman, un député conservateur, cité par Euractiv ; « nous avons une alternative claire à l'UE », explique son collègue Christopher Cope : « l'adhésion à l'OMC ».

S'il quittait effectivement l'UE, peut-être Londres envisagerait-il également son retour dans l'Association européenne de libre-échange (AELE), créée en 1960 sous son impulsion. À l'époque, c'était une alternative à "l'Europe des Six"... « L'AELE constitue une "autre Europe" non négligeable », comme le souligne Philippe Chassaigne, dans une contribution au Dictionnaire critique de l'Union européenne (Armand Colin, 2008). Elle compte aujourd'hui quatre États membres : l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. Trois d'entre eux sont associés à l'Union européenne via l'Espace économique européen (EEE) – la Suisse fait exception, ses rapports avec l'UE étant gouvernés par des accords bilatéraux. Or, cela les expose à l'influence de Bruxelles, dont les Britanniques s'indignent précisément des oukases...

L'exemple de l'AELE

Il y a deux ans, par exemple, comme le rappelle Euractiv, la Commission européenne s'était « plainte de la Norvège, car elle imposait des taxes supplémentaires sur les biens importés de l'UE et que plus de quatre cents  directives n'avaient pas été mises en place dans le pays, entravant ainsi le marché unique de l'UE ». « C'est ainsi que les directives de la Commission européenne qui concernent le marché de l'EEE sont aussi valables en Norvège », comme l'explique Hans Otto Froland, dans un autre article du Dictionnaire critique de l'Union européenne. Cela représente « un défi indéniable à l'idée même de souveraineté », quoique les États membres de l'AELE disposent « du droit formel de leur opposer un veto ». Oslo ne se serait-il tenu en marge de l'UE que pour mieux s'y soumettre à travers l'AELE et l'EEE ? En partie seulement : pour la Norvège, il s'agissait de conserver un certain contrôle sur la pêche, qui occupe une place singulière dans sa tradition nationale.

À vrai dire, nul État ne saurait s'affranchir raisonnablement du moindre engagement multilatéral. Souvent montrée en exemple par les souverainistes, la Russie de Vladimir Poutine n'a-t-elle pas créé cette année l'Union économique eurasiatique (où elle occupe certes un poids prépondérant) ? Il appartient à chaque État de piocher les bonnes cartes au regard de ses intérêts. Dans cette perspective, même le carcan de l'Union européenne se prête parfois à quelque souplesse : par exemple, tous ses membres ne participent pas à l'Espace Schengen (Irlande et Royaume-Uni), par ailleurs ouvert à des pays tiers (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse – encore eux). En son sein, deux États ont manifesté dernièrement quelque velléité de rébellion. Athènes entend, entre autres, préserver sa relation avec Moscou. Quant à Budapest, il envisage de rétablir la peine de mort. Au risque de se voir privé de voix au Conseil des ministres ? On n'en est pas encore là. Mais peut-être Viktor Orban peut-il s'enorgueillir d'avoir assaini les finances de son pays tout en se montrant réfractaire à suivre les conseils de l'UE ou du FMI. Preuve que des marges de manœuvre subsistent au sein même de "l'Europe". Reste à les mettre à profit... sans parler d'en créer de nouvelles !

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