Espace Schengen vs Europe des nations : le grand malentendu

17 septembre 2015

A priori, Schengen, c'est fini... Vraiment ?

« A priori, Schengen, c'est fini. » Cette annonce circule sur la Toile, avec la photo d'Angela Merkel, s'inscrivant dans une série d'images plus ou moins parodiques. Sur les réseaux sociaux apparaît également ce commentaire : « À bas l'Union européenne. Vive l'Europe des nations libres et indépendantes ! »

Voilà qui participe d'un double malentendu.

En effet, le rétablissement de contrôles aux frontières des États membres de l'Union européenne participe du fonctionnement normal de l'espace Schengen. Si Paris y trouve son compte d'une façon ou d'une autre, il ne fait aucun doute qu'il emboîtera le pas à Berlin. Le Premier ministre, Manuel Valls, vient de le rappeler devant les députés : « Nous avons déjà rétabli ce printemps des contrôles temporaires à cette frontière (franco-italienne). Et nous n'hésiterons pas à le faire de nouveau comme les règles de Schengen le permettent à chaque fois que les circonstances l'imposent, si c'est nécessaire dans les prochains jours ou prochaines semaines. » Il y a d'autres précédents... Comme l'expliquait Serge Weber, dans une contribution au Dictionnaire critique de l'Union européenne (Armand Colin, 2008), « la liberté de circulation est en réalité toute relative ».

D'aucuns s'imaginent qu'elle résulterait de décisions inspirées par la seule idéologie : des élites apatrides œuvreraient sincèrement (quoique sournoisement) à la constitution d'un État européen puis mondial, convaincues que celui-ci serait le gage d'une paix perpétuelle... Du conspirationnisme soft, en quelque sorte ! La réalité s'avère plus prosaïque, comme l'illustre l'article de Wikipédia consacré à l'accord de Schengen : « Souvent présenté comme un "laboratoire de l'Europe", cet accord fait suite, notamment, à une grève du zèle des douaniers italiens, puis des douaniers français, en janvier 1984, confrontés à l'intensification de leur travail à la suite de l'augmentation des passages de frontières, à laquelle fait réponse une grève des camionneurs qui paralyse le territoire français en février 1984. »

Autrement dit, des considérations économiques et sociales ont vraisemblablement présidé aux négociations de cet accord, signé le 14 juin 1985 par la France, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Cinq États, donc, alors enclins à souscrire un engagement multilatéral en marge des institutions communautaires.

L'espace Schengen n'a été intégré à l'Union européenne qu'une dizaine d'années plus tard, avec le traité d'Amsterdam. Aujourd'hui, cependant, tous les États membres de l'UE n'en font pas partie : l'Irlande et le Royaume-Uni se maintiennent à distance ; la Bulgarie, la Croatie et la Roumanie frappent à la porte (le cas de Chypre est un peu spécial). À l'inverse, l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse y participent... sans être membres de l'UE.

Bref, l'espace Schengen, c'est l'Europe à la carte.

Son histoire comme sa réalité présente en témoignent : "l'Europe des États libres et indépendants" existe ; elle est là, sous nos yeux, dans nos vies... Pour le meilleur ou pour le pire.

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