La Banque de France, le Front populaire et l'Action française

18 mars 2017

Comment la réforme de la Banque de France fut traitée en 1936 dans l'organe du nationalisme intégral.

Début 1936, alors que le Front populaire n'est pas encore au pouvoir, L'Action Française en annonce le programme. Dans un numéro paru le 12 janvier, Perspicio évoque, entre autres, sa volonté de « faire de la Banque de France, aujourd'hui banque privée, la banque de la France » ; cela afin de « soustraire le crédit et l'épargne à la domination de l'oligarchie économique ».

Le spectre des assignats

Quelques mois plus tard, alors qu'une loi sera bientôt votée à cet effet, Le Petit Journal s'en réjouit, comme le rapporte l'« organe du nationalisme intégral » dans son numéro du 18 juillet : « Un privilège disparaît. Un grand espoir apparaît. La République entre à la Banque de France. Il faut l'y installer. Cette banque peut, si nos gouvernants persévèrent – et nous faisons confiance à leur fidélité – devenir, enfin, non plus la chose de deux cents féodaux, mais la banque des Français. » Signant  la revue de presse du quotidien royaliste, Pierre Tuc se montre critique : de son point de vue, « la "réforme" de la Banque de France apparaît en effet comme une belle duperie ». Et de citer L'Ère nouvelle, « fort inquiète » : « On ne résoudra pas la question en faisant clamer par les haut-parleurs que la Banque de France va devenir la banque de la France. Car, si l'on veut faire courir à notre institut d'émission tous les risques que supportent, plus ou moins bien – ou mal – toutes les antres banques, on ne fera que doubler la fonction de celles-ci sans profit avouable pour personne et sans raison. Et si, dans le même temps, on entend demander à la Banque de Fiance d'apparaître comme un instrument docile à satisfaire à toutes les demandes de l'État et des collectivités, solvables ou non, on aura tôt fait de détruire la garantie de la monnaie et d'avilir celle-ci. Jusqu'à quel point ? »

Le même jour, dans la foulée d'une diatribe antisémite, Charles Maurras dénonce les « innovations dangereuses apportées à la Banque de France » ; « les fondateurs de notre institut d'émission y avaient accumulé les forces de résistance destinées à donner confiance, c'est-à-dire à constituer du crédit », rappelle-t-il notamment, craignant manifestement que cet héritage soit dilapidé. Le lendemain, Marie de Roux affirme que « l'étatisation de la Banque est un immense danger économique ». « Nous allons droit à l'assignat, plus ou moins masqué », surenchérit Léon Daudet dans le même numéro ; « la nationalisation de la Banque de France », c'est « la planche à assignats fonctionnant a tour de bras », avait-il annoncé deux jours plus tôt, le 17 juillet.

La monnaie à la botte des partis

« Le plus important, les questions de crédit et d'escompte, sera désormais soumis aux volontés de gouvernements de passage », déplore encore L'Action Française dans son édition du 16 juillet 1936. Et d'enfoncer le clou trois jours plus tard : « Le nouveau statut de la Banque de France met le crédit du pays à la disposition et au service des partis au pouvoir. Et quand on connaît ces partis et leur émanation, on ne peut s'empêcher d'être justement alarmé. Aussi bien la Bourse, par sa mise volontaire en sommeil, reflète-t-elle exactement l'angoisse grandissante du pays réel qui ne peut être dupe des manifestations d'allure impressionnante de l'équipe judéo-maçonnique [sic] en place. »

« Pierre Gaxotte caractérise admirablement […] l'opération du gouvernement Blum et de la majorité contre la Banque de France », résume Pierre Tuc, dans sa revue de presse du 24 juillet 1936. « La Banque de France est désormais une banque d'État », regrette celui-là. Et celui-ci de rapporter son commentaire paru dans Candide : « La Banque de France, la vraie, celle qui est morte cette semaine, avait été établie pour défendre la stabilité de la monnaie, pour garantir au franc, mesure de toutes choses, une valeur constante et sincère. La nouvelle Banque, celle du Front populaire, est organisée pour fournir à la coalition socialo-communiste la quantité de billets dont elle a besoin. Les opérations de l'ancienne banque (escompte, crédit, etc.), étaient subordonnées au maintien du franc à sa parité or. Pour la nouvelle, la défense du franc n'est qu'une tâche accessoire, secondaire, sacrifiée. La besogne primordiale est d'imprimer des billets et de les répandre là où la majorité parlementaire veut qu'ils aillent. »

Empirisme organisateur

Quelques mois plus tôt, le 21 mai, Pierre Tuc avait cité Claude Barjac rappelant dans L'Ordre que la Banque de France avait toujours été « dans toutes les grandes crises, l'auxiliaire indispensable et toujours présente de l'État » : « Sans elle, le gouvernement aurait fait faillite en 1830. Sans elle, le Trésor aurait dû fermer ses guichets en 1870 et en 1871, Sans elle on ne sait comment aurait pu être menée la dernière guerre. Dans ces grandes circonstances, elle a vraiment joué le rôle de banque d'État, par toutes les avances qu'elle a faites au Trésor ; mais précisément elle l'a fait parce qu'elle n'était pas banque d'État, et parce qu'ainsi elle avait conservé intact un crédit que n'avait plus le gouvernement. Que le gouvernement absorbe la Banque, la Banque fera défaut à l'État le jour où celui-ci aura besoin de ressources que les circonstances ne lui permettront pas de se procurer directement. Ce qui est exact, c'est que Banque et État sont étroitement solidaires l'un de l'autre. Aussi est-il tout naturel que l'État veuille avoir droit de regard sur la Banque, mais ce ne signifie pas qu'il doive lui enlever son caractère essentiel qui est d'être indépendante. On peut tout obtenir de la Banque de France quand son intervention est indispensable, on l'a vu dans le passé, encore y a-t-il la manière. » Une fois n'est pas coutume, les royalistes s'en remettent à la sagesse de l'Empereur : « Je veux, disait Napoléon en 1806, que la Banque soit assez dans les mains du gouvernement et n'y soit pas trop. »

Les débats d'hier sont-ils susceptibles d'éclairer ceux d'aujourd'hui ? Force est de constater que les inquiétudes exprimées jadis sont ravivées aujourd'hui, tandis qu'on parle d'une hypothétique sortie de l'Union économique et monétaire. Dans cette perspective, il est assurément saisissant, voire piquant, de constater le renversement des forces en présence. Cela étant, il serait bien hasardeux d'en tirer quelque conclusion. Tout au plus s'agit-il d'une petite porte entrouverte sur l'histoire.

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