L'Europe militaire sans illusion

19 décembre 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Les chefs d'État ou de gouvernement de l'Union européenne se penchent sur la défense. Sans doute nous promettront-ils encore monts et merveilles, à défaut de construire une Europe militaire véritablement tangible.

François Hollande croit-il au Père Noël ? L'opération Sangaris lancée en Centrafrique « ne devrait rien coûter à la France », a-t-il assuré à l'antenne de France 24, RFI et TV5 Monde. Les 19 et 20 décembre 2013, le Conseil européen se réunira à Bruxelles. À l'ordre du jour de ce sommet figure la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) – une première depuis 2008. À cette occasion, donc, le chef de l'État proposera que soit créé un fonds susceptible de financer pareille intervention. « Ce sont toujours les mêmes qui assurent la défense des autres mais, contrairement aux mercenaires classiques, rémunérés pour leurs services, ils le font en assumant tous les coûts, y compris humains », proteste Arnaud Danjean, président de la sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen. Ses jérémiades n'y changeront rien. Au contraire : elle participent d'une arrogance française susceptible d'exaspérer nos partenaires, déjà indisposés par le fantasme hexagonal d'une "Europe puissance".

Européisme ingénu

Mme Maria Eleni Koppa, député grec au Parlement européen, cultive, ingénument, l'européisme inhérent à sa fonction. « Malheureusement », observe-t-elle avec dépit, « le manque de confiance et les égoïsmes nationaux continuent à peser sur l'avenir de la PSDC, et finalement sur la construction européenne elle-même ». Comment pourrait-il en être autrement ? Les intérêts des États – ou ceux de leurs dirigeants – demeurent les moteurs les plus puissants de la politique internationale – y compris en Europe. De fait, aux yeux de Paris, les "progrès" de l'Europe militaire se justifient par la nécessité de « pallier l'insuffisance de certaines capacités nationales », selon les termes employés à l'automne dernier par l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées (CEMA). « Au Mali, nous aurions pu agir seuls, mais pas aussi vite », a-t-il souligné ; « le concours de moyens de renseignement britanniques et américains a été précieux, et 30 % de nos besoins de transport ont été assurés par nos partenaires nord-américains et européens ». De son point de vue, « les initiatives de type European Air Transport Command (EATC) pour l'aviation de transport doivent être soutenues dans les domaines où nos insuffisances sont les plus criantes ». Son fonctionnement « peut être comparé à un covoiturage », explique l'Hôtel de Brienne : « Par exemple, lorsqu'un avion français se rend en Afghanistan, il peut revenir avec des soldats allemands, ce qui évite un voyage à vide. »

Outre la France, quatre États ont intégré le Commandement européen du transport aérien (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg), créé en marge de l'Union européenne. Tout comme la Force de gendarmerie européenne (Eurogendfor) ou l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (Occar). D'autres projets devraient voir le jour prochainement sans requérir l'aval de Bruxelles. Par exemple, un rapprochement est envisagé entre Paris, Londres, Rome et Amsterdam, dont les armées mettront chacune en œuvre des drones Reaper d'origine américaine. La formation des pilotes, voire le "maintien en condition opérationnelle" (MCO) des appareils, pourraient faire l'objet d'une mutualisation. À plus long terme, Dassault, EADS et Finmeccanica  pourraient produire un drone en commun. Comme le rapportent Les Échos, les industriels s'y engageraient « à la condition non négociable qu'un des trois pays potentiellement intéressés - Allemagne, France et Italie - assume le rôle de contractant unique au profit des deux autres, histoire d'éviter les foires d'empoigne de la plupart des projets européens d'armement précédents ». Allusion, notamment, aux déboires du programme A400M.

L'union fait la faiblesse

Selon notre confrère Jean-Dominique Merchet, auteur d'un petit livre dénonçant « la grande illusion » de la défense européenne, l'industrie d'armement serait « victime de l'idée que plus on embarque de partenaires [...], mieux c'est » - idée dont le seul mérite serait d'être "européenne"... « On peut faire, demain, des Airbus de la défense dans d'autres domaines », tempère Christian Mons, président du Conseil des industries de défense françaises, cité par Nicolas Gros-Verheyde, animateur du blog Bruxelles 2. « Mais encore faut-il avoir un marché commun et non des marchés fragmentés », poursuit-il. « Aujourd'hui, il n'y a pas une demande unique. Chaque état-major conçoit son besoin, en fonction de ses impératifs. » Aussi les échafaudages juridiques seront-ils sans grande incidence sur les coopérations à venir. « Depuis l'adoption du traité de Lisbonne », se désole Arnaud Danjean, « nous nous battons pour que les instruments qui y sont prévus soient mis en œuvre, avant de passer à une nouvelle étape. Ainsi la façon dont pourrait se concrétiser la coopération structurée permanente, prévue par le traité, ne fait même pas l'objet d'une réflexion ; quant aux groupements tactiques (battlegroups) qui, eux, existent maintenant physiquement, ils ne sont jamais utilisés. » L'"Europe de la défense", dans son acception la plus stricte (la PSDC), peut certes s'enorgueillir de quelques succès, à commencer par l'opération Atalante luttant contre la piraterie au large de la Somalie. La France vient d'en reprendre le commandement, confié le 6 décembre au contre-amiral Bléjean, dont l'état-major navigue ces jours-ci à bord du Siroco. À l'origine, cependant, Paris et Madrid ont dû batailler pour convaincre leurs partenaires européens de l'opportunité d'un tel engagement. « La prise de conscience au niveau européen est toujours lente », observe Nicolas Gros-Verheyde. « Car il y a toujours des pays concernés au premier chef et d'autres qui le sont moins. Mais la pression des événements joue souvent en faveur de la mobilisation. »

Changer de perspective

Conscient de ces difficultés, François de Rugy, député Vert de Loire-Atlantique, se dit « malheureusement assez sceptique sur la capacité de l'Union européenne à mettre en œuvre une politique de défense ». En effet, a-t-il expliqué lors d'une discussion en commission, « la défense pose la question du commandement, donc de la décision politique, et donc des institutions politiques qui permettent de prendre des décisions, que ce soit en urgence ou à plus long terme ». Nous partageons son scepticisme, mais sans en être malheureux. De notre point de vue, son affliction procède d'une erreur de perspective. L'"Europe" n'est jamais qu'un instrument parmi d'autres, ici au service de la sécurité nationale. Si, à titre personnel, à la différence de souverainistes plus radicaux, nous lui reconnaissons quelque mérite, c'est sans illusion sur sa portée. Le 16 décembre dernier, alors que les ministres des Affaires étrangères se réunissaient au siège du Conseil de l'Union européenne, les militaires travaillant dans le bâtiment auraient été priés de laisser leur uniforme au vestiaire. C'est dire la considération de l'UE pour le métier des armes !

Eurogendfor attaque la Grèce

31 octobre 2013

Des conspirationnistes prêtent à Paris et à quelques-uns de ses partenaires la volonté d'envahir la Grèce.

Voilà que l'Union européenne prépare, paraît-il, l'invasion de la Grèce ! Cette annonce circule sur la Toile francophone, apparemment à l'initiative du Comité Valmy, relayé par quelques souverainistes à la crédulité confondante.

Dans ce tissu d'âneries, il est question de la Force de gendarmerie européenne (FGE). Également dénommée Eurogendfor, celle-ci nous est présentée comme « l'armée privée de l'UE ». Double méprise : d'une part, les effectifs qui lui sont rattachés ne sont pas des mercenaires, mais des militaires ; d'autre part, elle a été créée en marge de l'Union européenne, ce que Mme Élisabeth Guigou avait d'ailleurs regretté lors d'un débat à l'Assemblée nationale.

« On prépare [...] pour la première fois » son engagement, rapportent les imbéciles du Comité Valmy. Or, la FGE a déjà été déployée à trois reprises, en Bosnie-Herzégovine, en Afghanistan ainsi qu'en Haïti. Au regard de ses missions, force est de constater qu'elle n'a pas été créé dans le seul but de mater « des adolescents musulmans immigrés en France », n'en déplaise à ces ignares ! Ceux-ci évoquent une « unité d'intervention spéciale de trois mille hommes », alors qu'elle ne compte, en réalité, qu'une trentaine de permanents. « La FGE [...] possède une capacité initiale de réaction rapide d'environ huit cents personnels sous un délai de trente jours », précise l'Hôtel de Brienne. En fait, chaque opération donne lieu à une "génération de force", sur la base d'un catalogue recensant des capacités déclarées par les États.

Soucieux de nous révéler le dessous des cartes, nos conspirationnistes en herbe soutiennent que la Force de gendarmerie européenne a été « fondée en secret – ni vu, ni connu ». Dans les colonnes de L'Action Française 2000, nous l'avons pourtant déjà évoquée au moins à trois reprises (en février 2010, juillet 2010 et mars 2011)... et toujours sur la base de documents officiels.

Les armées à l'épreuve de l'État-providence

18 octobre 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Un nouveau manifeste dénonce le désintérêt de la France pour ses armées. Il faudra faire avec, estime, en substance, leur chef d'état-major.

Tandis que le Parlement examine une nouvelle loi de programmation militaire, un manifeste, largement diffusé à l'initiative du général de corps d'armée (2S) Jean-Claude Thomann, brosse le tableau d'une armée française réduite « à l'état d'échantillon ». S'ils ne versent pas dans la nuance, ses auteurs se gardent d'incriminer la seule « disette budgétaire » : selon eux, « la fin de la Guerre froide, les impératifs de l'État-providence et la volonté des "post-modernes" d'en finir avec le "fracas des armes" ont été les abrasifs les plus puissants » à l'origine de cette décadence. Mais les plus hautes autorités du pays n'en ont-elles pas conscience ?

L'ennemi invisible

« En l'absence d'ennemi visible aux frontières, les opinions publiques sont de plus en plus sceptiques vis-à-vis des expéditions lointaines, surtout lorsque les enjeux et les résultats sont indirects », observe l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées (CEMA). Devant la nouvelle promotion de l'École de guerre, il s'est essayé à un exercice prospective. Aujourd'hui, « certaines opérations durent quelques jours, comme l'évacuation de ressortissants conduite à Beyrouth en 2006 », a-t-il souligné. « D'autres durent quelques mois, comme la Libye, en 2011. La plupart durent plusieurs années, et parfois bien davantage : nous sommes au Liban depuis 1978, soit trente-cinq ans, au Tchad depuis 1986, en Afghanistan depuis 2001. » Or, prévient le CEMA, « cette caractéristique est, pour les années qui viennent, celle qui sera le plus souvent remise en cause ». En effet, explique-t-il, « tant les gouvernements que les opinions publiques font preuve d'impatience, aussi bien dans la vie de tous les jours que dans leur évaluation stratégique. [...] Si l'intérêt d'un outil militaire en complément de la diplomatie est correctement perçu par l'autorité politique, il n'en demeure pas moins que son emploi reste conditionné par le temps médiatique et les contraintes de la politique intérieure. C'est une difficulté supplémentaire pour le commandement militaire, que d'appliquer ce vieux principe de la guerre de l'économie des moyens à un champ médiatique, voire politicien ! »

Le ministère de la Défense britannique se demande, quant à lui, « comment réduire l'opposition croissante de l'opinion publique [...] envers les opérations de combat », rapporte notre confrère Philippe Chapleau, animateur du blog Lignes de défense. Entre autres propositions, il préconise un déploiement accru des drones, des forces spéciales, des sociétés militaires privées et des supplétifs locaux. Appliquées en France, ces mesures ne suffiraient pas à rassurer les "Sentinelles de l'agora" représentées par le général Thomann. De leur point de vue, « l'absence actuelle de menace militaire majeure n'est qu'un simple moment de l'Histoire. [...] C'est une faute vis-à-vis de la sécurité des Français de faire ainsi disparaître un pilier majeur de la capacité de résilience du pays face à une éventuelle situation de chaos, dont nul ne peut préjuger le lieu, l'heure et la nature. » Il serait donc « plus que temps [...] de permettre à la France de se remettre à penser en termes de risques et de puissance stratégique ». Mais dans quelle mesure en serait-elle capable ? C'est la société tout entière qui semble s'y refuser !

Politique d'abord

Cela étant, les institutions ne sont pas sans incidence sur la donne. L'amiral Guillaud se félicite d'ailleurs d'une « singularité » française héritée, dirons-nous, d'une certaine tradition monarchique : « un lien direct dans le domaine des opérations entre le CEMA et le président de la République ». Cela « garantit l'adéquation entre les objectifs politiques et leur traduction en effets militaires, et ce avec une réactivité que beaucoup nous envient », martèle l'amiral, qui cite deux exemples récents : « l'intervention de notre aviation au-dessus de Benghazi, en Libye, le 19 mars 2011 ; et celle de nos forces spéciales, de nos hélicoptères de combat et de nos chasseurs pour bloquer la progression des groupes terroristes vers le Sud malien, le 11 janvier 2013. À chaque fois, l'effet militaire a été appliqué quelques heures seulement après la décision politique. À chaque fois, cette réactivité a été décisive. » Répétons-le encore une fois : c'est un atout à préserver – politique d'abord !

À l'ouest du cyberespace

23 avril 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que l'Union européenne s'immisce dans la sécurité des réseaux informatiques, les services secrets français se prennent les pieds dans le tapis en tentant de censurer la Toile.

Les attentats de Boston ont ravivé le spectre d'un terrorisme sanglant, éminemment visible. Mais d'autres menaces, plus insidieuses, planent sur la sécurité des sociétés occidentales. Notamment dans le cyberespace - un milieu que les stratégistes commencent seulement à appréhender. L'année dernière, le Sénat a d'ailleurs invité l'État à se doter d'une "doctrine de lutte informatique offensive" – comme il l'avait fait, dans les années soixante, en matière de dissuasion nucléaire. Le 7 février dernier, Bruxelles a proposé, plus modestement, une « stratégie de cybersécurité » pour l'Union européenne.

Prise de conscience

Cette initiative « témoigne d'une véritable prise de conscience de ces enjeux de la part de la Commission européenne », selon les sénateurs Jacques Berthou (PS) et Jean-Marie Bockel (UDI). Dans une proposition de résolution, ils se félicitent « de l'accent mis sur les aspects industriels ». « Afin de garantir la souveraineté des opérations stratégiques ou la sécurité de nos infrastructures vitales », expliquent-ils, « il est, en effet, crucial de s'assurer de la maîtrise de certaines technologies fondamentales, dans des domaines comme la cryptologie, l'architecture matérielle et logicielle et la production de certains équipements de sécurité ou de détection. Garder cette maîtrise, c'est protéger nos entreprises, notamment face au risque d'espionnage informatique. » De concert avec Bruxelles, les sénateurs prônent « l'instauration d'une obligation de déclaration des incidents informatiques significatifs à l'autorité nationale compétente qui serait applicable aux administrations publiques et aux opérateurs critiques, tels que les entreprises de certains secteurs jugés stratégiques, comme les banques, la santé, l'énergie et les transports ». Cependant, préviennent les parlementaires, c'est aux États, et non à la Commission, qu'il appartient d'en définir les modalités d'application. Par ailleurs, on ne saurait exiger des autorités nationales qu'elles notifient à Bruxelles les incidents dont elles ont connaissance. « Outre sa lourdeur bureaucratique, une telle mesure paraît susceptible de soulever des difficultés au regard de la sécurité nationale, notamment dans le cas d'attaques informatiques à des fins d'espionnage », plaident MM. Berthou et Bockel. « Il faut savoir que, si les soupçons se portent le plus souvent sur la Chine ou la Russie, d'autres pays, y compris parmi nos proches alliés, sont aussi soupçonnés d'être à l'origine de telles attaques. Or, informer la Commission européenne et l'ensemble des États membres de l'Union européenne de l'attaque informatique dont on fait l'objet risquerait d'alerter également - directement ou indirectement - l'auteur de cette attaque. Celui-ci pourrait alors prendre des mesures afin de se dissimuler davantage ou augmenter encore le niveau de son attaque. »

Nouveaux acteurs

En tout cas, s'il est nécessaire de prévenir les piratages et autres tentatives d'espionnage, voire d'y répliquer, il convient aussi de s'acclimater à la nouvelle donne sociale et politique. Des acteurs jusqu'alors inconnus se dressent face aux États, à commencer par les cyberactivistes – voire cyberterroristes - d'Anonymous. Dernièrement, ils ont interféré dans la crise coréenne, révélant les noms de quelque quinze mille ressortissants du Sud habitués à consulter les informatisations mises en ligne par le Nord... Autant de traitres potentiels aux yeux de Séoul ! Quant aux banque centrales, elles voient leur monopole monétaire con-testé à la marge : jeudi dernier, 11 avril, sur BFM TV, notre con-frère Nicolas Doze s'est interrogé sur la flambée erratique du Bitcoin, un substitut aux monnaies traditionnelles créé par un programmeur anonyme.

Maladresse sidérante

Apparemment, les autorités sont loin d'avoir tiré toutes les conséquences des bouleversements en cours. Les déboires de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) viennent d'en témoigner. Jugeant sensible le contenu d'un article publié sur Wikipedia  présentant la station militaire hertzienne de Pierre-sur-Haute, ses services auraient sommé ses collaborateurs de le retirer. Cela avec une maladresse sidérante. Si bien que les 6 et 7 avril, le texte incriminé aurait été le plus consulté de tous les articles francophones de Wikipedia. Chapeau ! Dans la foulée, il a fait l'objet de quelques traductions. En outre, il figure désormais parmi les « exemples majeurs » de "l'effet Streisand" : « un phénomène Internet qui se manifeste par l'augmentation considérable de la diffusion d'informations ou de documents par le simple fait d'avoir été l'objet d'une tentative de retrait ou de censure ». Dans ces conditions, l'État est-il condamné à l'impuissance ? Loin s'en faut. Qu'on songe seulement aux "printemps arabes", sur lesquelles l'influence américaine s'est précisément exercée par l'entremise des réseaux sociaux en ligne...

La Défense nationale, une école féministe

23 avril 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Les résidus du service national profitent désormais à la propagande en faveur de l'égalité hommes-femmes.

Qu'est-ce que la "journée défense et citoyenneté" ? Un « rendez-vous essentiel de la promotion de l'esprit de défense et des valeurs républicaines », selon la Direction du service national. Le 8 mars dernier, elle a pris une coloration féministe. Notamment en Bretagne, où est intervenue Mme Françoise Kieffer, délégué régional aux droits des femmes et à l'égalité. Après avoir rendu compte du « long cheminement vers l'égalité » qui aurait été entamé au XIXe siècle, celle-ci a soumis son jeune public à un "quiz"  censé « faire tomber les préjugés », comme le rapporte l'Hôtel de Brienne.

Un quiz caricatural

Rédigées dans un français approximatif, les questions exploitaient les clichés de l'égalitarisme en vogue. On frisait la caricature, comme en témoignent ces quelques exemples : « À votre avis, d'être une fille ou un garçon a une influence sur les choix d'orientation ? » « Pensez-vous personnellement que les femmes sont plus aptes à certains métiers ou fonctions, et que les hommes plus aptes à d'autres ? » « Dans un couple avec enfant-s, le père a le statut de chef de famille ? » Naturellement, les réponses attendues ne versaient pas dans la nuance... Les participants ont été invités, par ailleurs, à féminiser les noms de fonctions. Aux yeux de l'État et de ses délégués, en dépit des recommandations de l'Académie française, c'est une priorité. De quoi justifier, vraisemblablement, que la syntaxe soit reléguée au second plan...

Livre blanc : les armées en sursis

4 avril 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

La publication du nouveau livre blanc sur la défense est imminente. Dans la foulée sera adoptée une loi de programmation militaire, dont le président de la République a promis qu'elle ne déshériterait pas les armées.

À l'approche de la publication du nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, parlementaires et industriels sont montés au créneau, appelant le chef de l'État à "limiter la casse". Sans doute ont-ils été rassurés par son intervention télévisée du 28 mars : au profit de la Défense, « nous dépenserons en 2014 le même montant qu'en 2013 », a-t-il promis ce soir-là. Auparavant, le Premier ministre avait tempéré les inquiétudes dont Jean-Pierre Raffarin s'était fait l'écho au Sénat : « si le président de la République a pris la décision d'engager nos forces au Mali, ce n'est pas pour, demain, entraver les capacités de notre armée », avait-il déclaré.

Incertitudes budgétaires

Qu'en sera-t-il au juste ? Bien qu'il ait exclu les "scénarios catastrophe" détaillés par nos confrères, François Hollande est demeuré évasif quant à l'ampleur du budget pris en référence. Selon que l'on considère le budget annoncé ou celui effectivement exécuté, que l'on y inclue ou non des recettes exceptionnelles (des ventes de fréquences ou des cessions immobilières, par exemple), les chiffres ne sont pas les mêmes... En outre, selon la formule du général Georgelin, ancien chef d'état-major des armées, cité par notre confrère Jean-Dominique Merchet, animateur du blog Secret Défense, « la Défense gagne en général les batailles stratégiques contre Bercy, mais elle perd ensuite tous les combats tactiques ».

Alors que l'adoption d'une loi de programmation militaire (LPM) a été reportée à l'automne, rien ne permet d'assurer qu'elle sera durablement respectée. C'est même le contraire qui serait étonnant. Fin janvier, La Tribune signalait déjà une « première encoche » au budget annuel de la Défense, priée de contribuer au financement des surcoûts éventuels de la politique de l'emploi. Alors qu'il était encore ministre délégué au Budget, Jérôme Cahuzac avait toutefois promis « de piocher dans la réserve de précaution si la facture des opérations extérieures (Opex) était supérieure aux 630 millions d'euros déjà budgétés », précise notre confrère Michel Cabirol.

Quelles nouveautés ?

Ces aléas budgétaires nourrissent l'indécision chronique de l'État, contre laquelle s'élèvent les industriels, à l'image du missilier MBDA. Paris n'en finit pas de différer ses arbitrages portant sur deux programmes phare, « l'un très important pour toute la filière industrielle missilier française » (le missile moyenne portée, appelé à succéder au missile Milan), et l'autre « crucial pour la coopération britannique » (l'anti-navire léger), rapporte encore La Tribune. Or, sous la pression de ses actionnaires, l'entreprise pourrait stopper certains développements, prévient son P-DG Antoine Bouvier.

La publication d'un nouveau livre blanc confirmera vraisemblablement la nécessaire montée en puissance de la cyberdéfense. « Depuis 2008, la France a commencé à combler son retard » en la matière, selon Jean-Louis Carrère, le président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat. « Une agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (l'ANSSI) a été créée en 2009 et notre pays s'est doté en 2011 d'une stratégie dans ce domaine. Pourtant, en dépit de ces progrès, le sentiment qui prédomine aujourd'hui est que la menace a été largement sous-estimée et que notre dispositif connaît encore d'importantes lacunes. » Par ailleurs, comparé au précédent, le prochain livre blanc devrait accorder une attention renouvelée à l'Afrique - Mali oblige -ainsi qu'aux enjeux maritimes - « une des données majeures de l'évolution du contexte stratégique depuis dix ans », soutient M. Carrère.

Océan Pacifique

D'ores et déjà, « 41 % du trafic maritime de biens de consommation à destination de la métropole passe en mer de Chine du Sud. Par conséquent, nos intérêts économiques quotidiens sont directement tributaires de la sécurité de ces eaux », a souligné le vice-amiral Jean-Louis Vichot, lors d'un colloque au Sénat consacré au Pacifique. De plus, « c'est outre-mer que nous allons trouver les ressources minérales, alimentaires, biologiques qui vont nous permettre de développer la recherche et l'industrie en France, outre-mer et en métropole », a-t-il plaidé. « À Wallis et Futuna, ont été découverts des encroûtements minéraux d'une rare qualité. En Polynésie française, on espère une forte croissance de la pêche avec le réchauffement climatique. Celui-ci n'apporte pas que des catastrophes puisqu'il va déplacer la ceinture du thon vers le Sud, vers la ZEE [zone économique exclusive] de la Polynésie française. » De quoi susciter des convoitises...

Aussi la présence française dans le Pacifique requiert-elle des patrouilleurs - « suffisamment gros pour affronter la houle du Pacifique » -, des frégates - « les seules à avoir assez d'autonomie et de moyens militaires pour maintenir une présence dans l'ensemble du Pacifique, sur les côtes d'Asie et d'Amérique », mais aussi des avions et des satellites d'observation. Or, comme l'a rappelé l'amiral Vichot, « les conclusions du livre blanc de 2008 [avaient] préconisé de réduire de moitié les capacités militaires françaises dans le Pacifique, y laissant des forces à peine suffisantes pour exprimer la souveraineté de notre pays sur ces territoires ». À l'époque, on avait considéré « que les îles du Pacifique étaient suffisamment protégées par les étendues océaniques qui les entouraient, à une nuance près pour la Nouvelle-Calédonie ». Le tir sera-t-il rectifié ? Réponse courant avril.

Livre blanc : « La patrie est en danger »

21 mars 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

François Hollande sera-t-il le fossoyeur des armées françaises ? Dans l'attente de ses arbitrages, préalables à la publication d'un nouveau livre blanc, les inquiétudes vont croissant.

La publication d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale semble imminente. Dans la foulée, une loi de programmation militaire devrait être adoptée d'ici l'été. Dans l'attente des ultimes arbitrages du chef de l'État, alors qu'un bras de fer serait engagé entre Bercy et l'Hôtel de Brienne, les spéculations vont bon train. Jean-Louis Carrère, le président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, a exprimé des inquiétudes largement partagées. « La patrie est en danger », a-t-il déclaré le 13 mars 2013, paraphrasant explicitement Danton. « Le passage d'un effort de défense de 1,56 % en 2011 à 1,1 % en 2025, tel qu'il est envisagé, ne permettrait plus aux autorités de notre pays de maintenir le rôle de la France au niveau qui est le sien aujourd'hui », a-t-il prévenu.

Quelles économies ?

Une fois n'est pas coutume, son discours pourrait bénéficier des faveurs de l'opinion. « Deux Français sur trois pensent que le budget de la défense doit être maintenu, voire augmenté », signale notre confrère Jean-Dominique Merchet, animateur du blog Secret Défense, citant les conclusions d'un sondage Ipsos. Faut-il, dés lors, alarmer nos compatriotes jusqu'à leur promettre l'Apocalypse ? Gardons-nous de crier au loup : préparés au pire, les esprits consentiront d'autant plus facilement les sacrifices imposés prochainement à nos armées... D'aucuns s'imaginent que le porte-avions Charles-de-Gaulle pourraient être mis sous cloche ! D'autres envisagent, sans doute plus sérieusement, d'abandonner la composante aérienne de la dissuasion nucléaire, dont les sous-marins deviendraient alors les seuls vecteurs. C'est une proposition récurrente, dont les promoteurs prétendent appliquer le principe de "stricte suffisance" cher à la France. Le plateau d'Albion n'a-t-il pas déjà été démantelé dans les années quatre-vingt-dix ?

Bénéfique dissuasion

Ce projet relèverait toutefois d'un mauvais calcul, selon l'analyse de Philippe Wodka-Gallien, chercheur associé à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS). Lors d'une conférence prononcée le 14 mars à l'invitation de l'Alliance géostratégique, il a estimé à cinquante millions d'euros le coût de la composante aérienne de la dissuasion. Un investissement somme toute modeste de son point de vue. D'autant qu'il permettrait de palier la perte potentielle d'un sous-marin, contribuant à dissiper la hantise d'un « Mers el-Kébir nucléaire ». Par ailleurs, étant donné les exigences qu'elle requiert, la dissuasion bénéficierait continûment aux forces conventionnelles. « Si le Rafale est le meilleur avion du monde », c'est parce qu'il a été conçu pour délivrer le feu nucléaire, nous a expliqué Philippe Wodka-Gallien. Quant aux équipages formés à ces missions, ils bénéficient simplement d'une qualification supplémentaire. En Libye, par exemple, des missiles ont été tirés par les Forces aériennes stratégiques, dont on voit qu'elles ne sont pas cantonnées au tir improbable d'une charge nucléaire.

L'heure des choix

Dans son ensemble, la dissuasion nucléaire française représenterait 10 % du budget de la Défense... soit 0,15 % du budget national. Un coût équivalent aux recettes fiscales perdues après la baisse du taux de TVA dans la restauration, selon une comparaison proposée par  Philippe Wodka-Gallien. De quoi éclairer les arbitrages à venir... « Le spectre de la guerre ne peut être écarté », martèle l'amiral Guillaud, chef d'état major des armées. En dépit de l'actualité, la nation semble réticente à l'admettre. En témoigne le scandale déclenché par un légionnaire arborant quelque symbole guerrier tandis qu'il risquait sa vie au Mali. Ou l'avertissement que le Conseil supérieur de l'audiovisuel a adressé à France 2, après que la chaîne eut diffusé, le 7 février, des images illustrant l'horreur des exactions commises dans ce pays. « La guerre du Mali n'a pas eu lieu », lisait-on, le mois dernier, à la une de L'Action Française 2000. Peut-être n'a-t-on pas voulu la voir ? Dans l'"affrontement des volontés" que constitue chaque conflit armé, la France se trouve confrontée à ses propres faiblesses, qui sont loin d'être seulement matérielles, à l'image d'une certaine irrésolution propre aux démocraties occidentales... Alors, "politique d'abord" ?

Mali : l'Europe au pied du mur

21 février 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Moult commentateurs ont pointé l'inconséquence de l'Europe dans le dossier malien. Peut-être sont-ils coupables d'avoir placé en elle trop d'espoirs.

Dans l'affaire malienne, « l'Europe a été nulle », selon les déclarations d'Alain Juppé au micro d'Europe 1. Fidèle à son tropisme néo-gaullien, l'ancien Premier ministre continue manifestement de projeter ses rêves de grandeur à l'échelle du Vieux-Continent. Peut-être serait-il temps de l'admettre : l'"Europe puissance" n'est rien d 'autre qu'un fantasme hexagonal. Au moins Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, semble-t-il l'avoir compris : « Quand l'Europe de la Défense aura la capacité d'intervenir immédiatement, ce sera dans cent cinquante ans ! », a-t-il déclaré à La Voix du Nord. « Le président du Mali nous a appelé à l'aide le 10 », a-t-il précisé. « La décision d'intervenir a été prise par le président le 11 à 12 h 30, j'y étais. Et nos forces ont commencé à arriver à 17 heures. Que vouliez-vous faire ? Consulter les Vingt-Sept ? [...] La vérité, c'est que nous avons la réactivité militaire et le pouvoir de décision. » La capacité "d'entrer en premier" est d'ailleurs une spécificité de l'armée française, qui profite du primat accordé à l'exécutif, habilité à placer le Parlement devant le fait accompli... Preuve que la nature des institutions s'avère toujours décisive : « politique d'abord », disait Maurras !

Heureuse solitude de la France

Apte à réagir dans l'urgence, la France doit toutefois s'accommoder d'une relative solitude dans l'action. L'opposition n'a pas manqué de s'en inquiéter, par la voix de Jean-François Copé, non sans quelque légèreté. En effet, « pour la guerre, être seul est parfois plus efficace », comme le souligne le géopolitologue Olivier Kempf, animateur du blog Egea. « C'est d'ailleurs ce qu'ont beaucoup ressenti les Américains lors de la guerre d'Afghanistan, lorsqu'ils voyaient tout un tas d'alliés européens se défiler dans des zones peu dangereuses. » La France vient de le vérifier à ses dépens. Les Pays-Bas ont certes mis un avion ravitailleur à sa disposition, mais en en restreignant l'emploi, de telle sorte qu'il lui était interdit d'atterrir à Bamako. Quant au C-17 britannique qui s'est posé à Évreux, son équipage a d'abord refusé d'embarquer les rations des soldats, au motif qu'elles comprenaient des allumettes : dans la Royal Air Force, en effet, « on ne mélange pas munitions et dispositif d'allumage dans le même appareil », explique notre confrère Nicolas Gros-Verheyde. « Il a fallu quelques heures de patience et un coup de fil entre les deux chefs d'état-major pour régler la question », a-t-il rapporté sur le blog Bruxelles 2.

À ses yeux, cependant, « sans l'apport précieux et coûteux des alliés, c'est bien simple, l'opération Serval n'aurait pas duré plus de soixante-douze heures ». Selon ses estimations, ce soutien aurait représenté 60 à 100 millions d'euros au cours du premier mois d'intervention. « Soit tout autant que l'engagement français annoncé par le ministre Jean-Yves Le Drian (70 millions d'euros). » Cela étant, cette aide n'émane pas de l'Union européenne en tant que telle. D'ailleurs, parmi les alliés engagés derrière la France figurent le Royaume-Uni et le Danemark, dont Olivier Kempf rappelle qu'ils sont « les plus hostiles à tous nos baratins sur l'Europe de la Défense ».

Mission formation

L'opération Serval en sanctionnerait-elle alors l'échec ? « Pour moi, l'Europe de la Défense, c'est la mise en commun de certains moyens de défense, c'est l'industrie de défense, un certain nombre d'actions communes », plaide Jean-Yves Le Drian, qui cite en exemple l'opération Atalante, luttant contre la piraterie dans l'océan Indien. « L'Europe de la Défense, ce n'est pas l'Europe militaire », explique-t-il encore. Le cas échéant, peut-être pourra-t-elle contribuer à la reconstruction de l'État malien et plus particulièrement de ses forces armées. D'autant qu'en la matière, l'Europe peut légitimement revendiquer une certaine compétence, illustrée notamment par le précédent somalien. Laborieusement, l'Union européenne prépare donc une mission de formation à cet effet. D'ores et déjà connue sous le nom EUTM Mali, elle sera placée sous le commandement d'un officier français, le général Lecointre. « C'est, en fait, le logiciel de l'armée malienne que nous voulons reconstruire », a-t-il confié à Nicolas Gros-Verheyde. Par conséquent, a-t-il prévenu « il faut [...] considérer les choses sur le temps long, au moins le temps moyen, et non sur le court terme ».

Défi américain

Reste un autre défi qui se présente à l'Europe : celui d'une moindre protection américaine. Comparant l'intervention au Mali à celle survenue en Libye deux ans plus tôt, le politologue Zaki Laïdi relève un élément nouveau, Washington ayant envisagé « de faire littéralement payer à la France la location d'avions de transport de troupes ». « C'est un fait tout à fait inédit dans l'histoire des relations transatlantiques », souligne-t-il sur Telos. « Car même si en définitive cette option a été écartée, elle révèle à la fois l'érosion du soutien américain et la détermination de Washington à envoyer des signaux de non-assistance à Européens en danger. » Ceux-ci sauront-ils en tirer les conséquences ?

Fabius dans les pas de Védrine

20 décembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Dans la continuité du rapport Védrine, Laurent Fabius entend préserver le statut de la France dans l'Otan, tout en construisant l'"Europe de la Défense".

La France continuera de jouer les empêcheurs de tourner en rond : telle est, en substance, la promesse formulée par Laurent Fabius dans l'International Herald Tribune du 5 décembre 2012. Évoquant les relations de Paris avec l'Alliance atlantique, le ministre des Affaires étrangères martèle que « la France est un allié exerçant sa responsabilité de membre fondateur, engagé au service de valeurs communes, mais qui n'hésite pas, si nécessaire, à faire valoir loyalement ses différence ». Autrement dit : « allié oui, aligné non ». La France n'en demeurera pas moins au sein du commandement intégré de l'Otan : « il n'est pas question d'organiser un va et vient permanent », prévient M. Fabius.

Chantre de « l'Europe de la défense », qu'il juge « indissociable du projet d'Union politique » - et donc tout aussi vaine selon nous -, le ministre des Affaires étrangères soutient que « c'est l'Union européenne, en tant que telle, qui devrait agir lorsque les intérêts de sécurité des Européens sont d'abord en jeu ». Dès à présent, il nous faudrait « agir en ce sens, alors que notre pays, mobilisé ces dernières années par son retour dans le commandement intégré de l'Otan, s'est montré plutôt parcimonieux dans les moyens consacrés à l'Europe de la défense. Nous allons poursuivre le travail de conviction auprès des institutions et de l'ensemble de nos partenaires européens, y compris britanniques. »

Ceux-ci se sont farouchement opposés à toute revalorisation du budget de l'Agence européenne de défense, fût-ce pour compenser l'inflation. C'est dire l'ampleur de la tâche que prétend s'assigner le gouvernement français. En revanche, Londres demeure ouvert aux coopérations bilatérales. À ce titre, un niveau d'intégration inédit a été atteint avec l'embarquement pour plusieurs mois d'un détachement aéronautique britannique à bord d'une frégate de la Marine française. Ironie de l'histoire, c'est depuis le Surcouf qu'opère, ces jours-ci, un hélicoptère Lynx de Sa Majesté.

L'atlantisme en nuances gaulliennes

6 décembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Un commentaire du rapport Védrine écrit pour L'Action Française 2000, où il ne s'agissait pas de faire l'apologie de lAlliance Atlantique !

Au cours de la campagne électorale, prenant le contre-pied de son rival, François Hollande avait annoncé qu'il évaluerait les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan, décidé par Nicolas Sarkozy, s'il lui succédait à l'Élysée. Devenu président de la République, il a confié à Hubert Védrine la mission de solder l'affaire. Dans son rapport, remis le mois dernier, celui-ci exclut tout retour en arrière : « une (re)sortie française du commandement intégré n'est pas une option », écrit-il. « Elle ne serait comprise par personne ni aux États-Unis ni en Europe, et ne donnerait à la France aucun nouveau levier d'influence. [...] Au contraire cela ruinerait toute possibilité d'action ou d'influence pour elle, avec tout autre partenaire européen, dans quelque domaine que ce soit. » D'ailleurs, observe-t-il, « de 1966 à 2008, soit en plus de quarante ans, aucun pays européen n'a rejoint la ligne d'autonomie française ».

Un bilan provisoire

De toute façon, trois ans après la réintégration, il est trop tôt pour en dresser le bilan, proclame, en substance, l'ancien ministre des Affaires étrangères. Son évaluation, qui se veut « provisoire », mentionne « une influence réelle ou faible, variable selon les sujets ; un surcoût, plus faible que prévu ; des opportunités économiques ou industrielles, liées ou non à ce retour, mais aussi beaucoup de risques potentiels ». Plus concrètement, Hubert Védrine rappelle qu'un Français a pris la tête du Commandement allié pour la Transformation (ACT). En conséquence, la France a pu « participer aux réflexions prospectives sur l'Alliance, et à la définition du nouveau concept stratégique de 2010 », soutient le rapporteur. Selon lui, Paris « a joué un rôle moteur depuis 2009 pour hiérarchiser les priorités, refondre les procédures, ramener le nombre des agences de quatorze à trois (en en espérant une économie de 20 %), réduire la structure de commandement (réduction des personnels de - 35 % en 2013), diminuer de onze à sept les états-majors et donc faire faire des économies ».

En revanche, déplore-t-il, la France a donné son aval au développement d'une défense antimissile territoriale « sans influencer, ralentir ou modifier » ce projet « qui comporte un potentiel de bouleversement stratégique ». À la suite d'Hubert Védrine, « il faut le dire clairement : l'Otan restera une alliance autour de la première puissance militaire du monde, les États-Unis ». Selon que l'on ait eu ou non la naïveté de croire au Père Noël, le verre apparaîtra à moitié vide ou à moitié plein : « Le retour de la France dans le commandement intégré [...] a élargi l'opportunité de marchés pour l'industrie française mais ne s'est pas traduit à ce stade par un accroissement marqué des contrats obtenus. » Hubert Védrine appelle à définir « une stratégie industrielle [...] avec un repérage précoce des perspectives de contrat [...] sur la base d'une répartition préalable claire des programmes entre l'Otan et l'Agence européenne de défense » (AED). Il propose de « consolider le mécanisme informel mais essentiel de consultation entre le commandant suprême chargé de la transformation, SACT, et la directrice exécutive de l'AED » - en l'occurrence deux Français, le général Paloméros et Mme Claude-France Arnould. « Bien évidemment, aucun allié ne marchera dans cette proposition », commente le géopolitologue Olivier Kempf, sur son blog Egea. Paris n'en aurait pas moins une carte à jouer selon lui : « s'associer avec des petits ou moyens sur tel ou tel projet, de façon à développer une influence politique et des projets industriels, labellisés Otan, qui auront du coup des perspectives ailleurs ». Une piste à explorer ?

Appel à la vigilance

Appelant à la « vigilance », Hubert Védrine pointe « le risque de "phagocytage" conceptuel et théorique ». « Il faudra que notre armée préserve sa capacité propre d'analyse des menaces, de réflexion et de prévision sur les scénarios et même de planification », prévient-il. À l'inverse, l'intégration recèle un potentiel d'émulation souligné par Catoneo sur le blog Royal Artillerie : « Le travail en Afghanistan [...] mené en coalition [...] ne souffrait pas d'excuses ou le camouflage des insuffisances car il n'y avait rien à "expliquer" à quelque supérieur hiérarchique ayant la main sur la carrière. Tout se sait, immédiatement, à haut niveau, se corrige immédiatement (en théorie). Le résultat obtenu est un rehaussement qualitatif sensible des aptitudes au combat. »

Par ailleurs, poursuit Védrine, « nous devrons veiller » à ce que l'Otan « reste une alliance militaire, recentrée sur la défense collective, et le moins possible politico-militaire dans son action ». Il y a deux ans, l'amiral Giampaolo di Paola, président du Comité militaire de l'Otan, n'avait-il pas déclaré que « la dimension de genre devrait faire partie intégrante des activités de chaque division, de chaque opération » ? Cela dit, Hubert Védrine s'inquiète plutôt d'une immixtion de l'Otan dans le domaine "civilo-militaire", là où l'Union européenne « a potentiellement une vraie capacité globale de traitement des crises : économique, civile et militaire ».

De fait, selon Védrine, UE et Otan sont « les deux faces d'une même médaille ». On peine toutefois à les distinguer clairement l'une de l'autre. « Dans le domaine politique, pour autant que nos partenaires européens se prêtent à une concertation en amont sur les questions relatives à l'Otan, il pourrait être envisagé en parallèle que les États-Unis soient consultés, voire associés, à certaines délibérations européennes par exemple celle du COPS » (le Comité politique et de sécurité). Peut-être cela supposerait-il de régler au préalable le différend chyprio-turque.... Vaste programme ! « Par ailleurs, il pourrait être mis un terme à l'opération Ocean Shield de l'Otan contre la piraterie au large de la Somalie (à l'issue de son mandat fin 2014), qui fait double emploi » avec l'opération européenne Atalante. « La logique opérationnelle et rationnelle commanderait de fermer cette opération », confirme notre confrère Nicolas Gros-Verheyde, animateur du blog Bruxelles 2. « Mais il faudrait trouver une solution pour associer les marines turque et danoise, ou canadienne, à l'opération européenne, par exemple. Ce qui n'est pas évident – le processus d'association de partenaires extérieurs à des opérations de l'UE est plutôt lourd. Et il se heurte à deux obstacles politiques de taille : l'opt-out danois en matière de défense d'une part ; le blocage turco-chypriote qui trouble les relations Otan-UE de l'autre. [...] Pour un pays, comme la Turquie, cette opération [...] permet aussi de continuer à faire croiser des navires dans une zone régionale qu'il considère stratégique. »

Europe puissance

Toujours circonspect quant aux perspectives ouvertes par "l'Europe de la défense", Hubert Védrine se garde toutefois de la définir, cultivant l'ambiguïté à son propos : s'il semble en exclure les coopérations bilatérales, il y inclut apparemment les initiatives mulilatérales lancées en marge de l'UE, tel le Commandement européen du transport aérien (EATC). Pourtant, souligne-t-il, « les mots doivent être employés à bon escient. "Europe de la défense" et encore moins "défense européenne" ne signifient [...] la défense militaire de l'Europe contre des menaces militaires, ce dont seule l'Alliance, avec les moyens américains, serait capable, si par malheur, l'Europe était attaquée. [...] Pour ne pas alimenter des espérances chimériques et donc des déceptions, ou des craintes hors de propos chez nos Alliés, il faut réserver ce terme à des initiatives ou à des actions extérieures de l'Union en matière militaire ou civilo-militaire, ou à des coopérations en matière d'industrie de défense. »

Dissipant des illusions, Hubert Védrine entretient néanmoins le mythe de l'Europe puissance. Un vieux tropisme gaullien ? Peut-être bien. À l'image du Général, quoique sur un mode beaucoup plus modéré, Hubert Védrine maintient la distance à l'égard de l'oncle Sam sans envisager la rupture. Loin s'en faut. D'autant que « les Américains voient [...] la France comme un partenaire européen sûr du fait de la réduction visible des capacités militaires du Royaume-Uni, des inhibitions politiques de l'Allemagne, et du décrochage de capacités chez les autres Alliés. Ils espèrent donc vivement que la France ne va pas réduire davantage ses capacités. Cette "disponibilité" américaine, réelle à la Maison-Blanche [...] sera quand même fonction des capacités militaires des Européens, et de leur volonté politique. » Autrement dit : la balle est dans notre camp. Saurons-nous la saisir ? « Depuis la fin de l'URSS [...], ce sont les "dividendes de la paix", "du social" et de l'augmentation de pouvoir d'achat ou de l'affirmation de droits individuels qu'attendent les Européens. On est très loin de la dialectique menaces sécuritaires-réponses militaires, même dans le domaine du terrorisme, ou de la vision américaine des risques et des menaces stratégiques. » Quoi qu'on pense de l'intervention française en Libye, il n'est pas inutile de rappeler que celle-ci n'aurait pu s'effectuer sans le soutien américain, faute de moyens suffisants pour ravitailler les avions de combat. C'est dire l'ampleur de la tâche qu'il faudrait accomplir pour s'émanciper de l'Alliance Atlantique.