Les chiffres de l'immigration

4 mars 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Aperçu des statistiques officielles.

La Documentation française a publié le 18 février le sixième rapport du Secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration. Dans sa préface, Éric Besson observe que « la France ne peut accueillir indistinctement tous ceux qui souhaitent s'y établir, précisément parce qu'elle doit bien accueillir et bien intégrer ceux auxquels elle a donné droit de séjour ». La France n'en demeure pas moins, selon le souhait du ministre, « une nation généreuse » : « elle est le pays d'Europe qui accueille et naturalise le plus grand nombre de ressortissants étrangers », souligne-t-il avec satisfaction ; elle est aussi « le deuxième pays du monde, derrière les États-Unis, pour la demande d'asile ».

Encourager les flux professionnels

Si l'on en croit la synthèse du rapport, 2008 a été marquée « par la poursuite de la diminution de certains flux migratoires, au premier rang desquels le regroupement familial ». La délivrance des visas a peu fluctué au cours des dernières années, mais le nombre de titres de séjour délivrés pour motifs professionnels est en forte augmentation. Cela illustrerait « la volonté du gouvernement de promouvoir les flux professionnels » jugés « favorables à l'économie nationale » : les pouvoirs publics chercheraient à faciliter « l'entrée et les séjours en France des hommes d'affaires et de toutes les personnes qui contribuent de manière significative aux relations bilatérales entre leur pays et le nôtre, notamment en matière économique, politique ou culturelle » ; ils favoriseraient également « la délivrance de visas aux étudiants étrangers dont le potentiel et la maîtrise du français leur permettront d'acquérir une réelle qualification et de trouver un emploi, en France ou dans leur pays d'origine ». Quant au nombre d'étrangers quittant le territoire, en exécution d'une mesure d'éloignement ou, de plus en plus, dans le cadre d'un programme d'aide au retour, il aurait progressé « de manière très sensible ».

Citons quelques chiffres : 2 069 531 visas ont été délivrés en 2008, contre 2 070 705 en 2007 ; 19 835 visas de long séjour ont été accordés pour l'exercice d'une activité professionnelle, soit une hausse de 18,2 % ; le nombre de titres délivrés à des étudiants ou stagiaires a progressé de 11,6 % ; les demandes d'asile ont augmenté de presque 20 % ; sur 42 600 demandes environ, 11 484 ont fait l'objet d'une décision favorable – un chiffre en hausse de 30,3 % par rapport à 2007.

À l'approche des régionales, il n'est pas certain que ces statistiques officielles soient de nature à rassurer les électeurs potentiels du Front national.

Le retour de la parité

17 décembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'institution de la "parité" dans les conseils d'administration est un vieux serpent de mer. Forte d'un soutien inédit, une nouvelle proposition de loi plébiscitant les quotas a été déposée à l'Assemblée nationale.

Les conseils d'administration des cinq cents premières entreprises françaises compteraient 8 % de femmes. Situation inacceptable aux yeux des élites féministes. Le mois dernier, le ministre du Travail Xavier Darcos s'était autorisé à « poser la question des quotas ». Dans la foulée, une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale le 3 décembre afin d'instituer en cinq ans la composition à parité des conseils d'administration des sociétés cotées. Les entreprises récalcitrantes s'exposeraient à des difficultés administratives, mais non à des sanctions financières – à moins qu'un amendement soit adopté en ce sens.

Récidives

En 2006, déjà, le Parlement avait exigé que la proportion de représentants de chaque sexe ne dépasse pas 80 %. Il s'était heurté à l'opposition du Conseil constitutionnel, selon lequel on « ne saurait [...] faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l'utilité commune ». Mais la Constitution a depuis été révisée, stipulant désormais que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes [...] aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Tandis que la crainte d'une nouvelle censure semble écartée, « un consensus se dégage aujourd'hui sur la nécessité d'agir de façon contraignante », observe Marie-Jo Zimmermann, le président de la délégation de l'Assemblée nationale aux Droits des femmes. En mars dernier, avec seize autres députés, elle avait proposé, en vain, de fixer des quotas à 40 %. Quelques mois plus tard, plus d'une centaine de collègues lui apportent leur soutien. Parmi les signataires figurent Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l'Assemblée, mais aussi Hervé Gaymard, que l'on imaginait plus réactionnaire.

« Sensibiliser »

« La loi ne peut tout résoudre », reconnaissent les auteurs de cette proposition, « mais elle peut induire un changement dans les mentalités et les pratiques. [...] On peut espérer que des conseils d'administration exemplaires insuffleront une nouvelle sensibilité face aux questions d'égalité salariale ou d'accès à la formation et que notre modèle social et culturel permettra aux femmes de mieux concilier leur vie personnelle  et leur vie professionnelle. » Mme Zimmermann affirme « la nécessité d'une action volontariste ». Elle ne croit pas si bien dire : aux antipodes de l'empirisme, sa démarche vise, au fond, à réorganiser la cité non pas selon ses exigences intrinsèques – en tirant des conséquences sociales de la différence des sexes –, mais au regard d'une idéologie.

Dans cette perspective, la priorité sera donnée à la lutte contre les "stéréotypes". Un "groupe d'experts" de la Commission européenne présente les pistes à suivre : « La plupart des pays ayant les plus longues traditions en matière de politiques de déségrégation [sic] – Danemark, Allemagne, Finlande, Islande et Pays-Bas – montrent la volonté d'affronter la ségrégation à un stade précoce de la vie en investissant dans des "événements motivationnels" ou dans des programmes éducatifs conçus pour encourager de façon positive les choix "atypiques" parmi les jeunes filles et garçons, et de promouvoir de nouveaux modèles à imiter. [...] Un bon exemple est celui des campagnes d'information parallèles intitulées Girls' Day (journée des filles) et New Pathways for boys (nouveaux parcours pour les garçons) en Allemagne. »

Ces velléités idéologiques se parent d'un alibi économique dont les outrances tempèrent la crédibilité : « dans un scénario optimal » échafaudé par la Commission européenne, « le comblement de l'écart des taux d'emploi pourrait entraîner une hausse du PIB de 15 % à 45 % en Europe » ; rien de moins ! Quant à Xavier Darcos, il se montre alarmiste : « La France ne peut se permettre de voir son potentiel féminin quitter le pays, parce que nous n'aurons pas agi. »

Équilibre

Selon le ministre, « il est clair que notre société, pour son propre développement et propre équilibre, doit parvenir à faire aboutir positivement ce sujet ». Tel n'est pas l'avis d'Éric Zemmour, accusé de « justifier l'injustifiable » dans un documentaire sorti en salles le 25 novembre. Le polémiste, qui juge sa pensée caricaturée, a exigé par huissier l'arrêt d'exploitation du film. Fustigeant « une époque de mixité totalitaire, castratrice », il observe que « les mères célibataires n'ont jamais été aussi nombreuses ; jamais aussi pauvres » et craint, à terme, « des tsunamis politiques et sociaux » provoqués par les transformations familiales. Il rappelle en outre l'originalité de la tradition française : « François Ier fut le premier roi d'Occident qui accepta les femmes à sa cour. L'amour courtois fut inventé dans le Sud-Ouest de la France. Les salons du XVIIIe siècle, tenus par des femmes, furent une exclusivité française. » En plein débat sur l'identité nationale, il était opportun de souligner « cet équilibre subtil entre virilité dominante et féminité influente » inventé par la France (1).

(1) Éric Zemmour : Le Premier Sexe ; J'ai lu, 122 p., 4,80 euros.

Fillon, Bainville et l'Europe

16 décembre 2009

Le Premier ministre a prononcé un discours sur l'identité nationale. Morceaux choisis.

Voilà qui tranche avec le "droit-de-l'hommisme " que l'on croyait de mise : intervenant dans le débat sur l'"identité nationale" le 4 décembre, le Premier ministre a souligné le poids de l'histoire : « être français, c'est d'abord appartenir à un très vieux pays d'enracinement », a-t-il déclaré. « C'est habiter une fresque historique où tout s'enchaîne : le Moyen Âge chrétien, la Renaissance humaniste, la monarchie absolue, la Révolution citoyenne [sic], l'Empire triomphant, les républiques progressistes... » En conséquence, affirme François Fillon, si « la France est laïque », elle « est tout naturellement traversée par un vieil héritage chrétien qui ne saurait être ignoré par les autres religions installées plus récemment sur notre sol ».

Entres autres personnalités citées au cours du discours figure un historien d'Action française : « Bainville disait que ce qui était remarquable chez Jeanne d'Arc, ce n'était pas d'avoir délivré Orléans, mais d'avoir reconnu le dauphin et d'être tombée à genoux devant lui. Je crois effectivement que l'identité française se reconnaît à ce dialogue de l'orgueil et de l'abnégation, à cette alternance entre les guerres intestines et les élans d'unité, à ce tiraillement bien français, et finalement fécond, entre la passion du "je" et la nécessité du "nous". »

« Nous sommes les héritiers d'une histoire exceptionnelle dont nous n'avons pas à rougir. », proclame le chef du gouvernement. « Est-ce qu'il faut négliger, [...] balayer tout cela ? Et au profit de quoi ? [...] D'une Europe encore, malgré les efforts qui sont faits, souvent plus technocratique que politique ? [...] Vous savez que je n'ai jamais été de ceux qui pensent que le temps des nations est révolu. [...] L'Europe politique que nous voulons, c'est l'Europe des nations qui ont la volonté de se placer au service d'un dessein collectif. Sans nations fortes, nous sommes convaincus qu'il ne peut y avoir d'Europe forte ! »

Propos de bon sens, sur lesquels les souverainistes devraient méditer au lieu de crier au délire schizophrénique. Selon François Fillon, ce débat censé « raffermir nos repères historiques, civiques et moraux » se justifie par la nécessité de revigorer « l'énergie nationale » permettant à la France « de tenir son rang dans la mondialisation ». D'autres préfèrent la fuir. Pour cette raison, ils revendiquent l'exclusivité du patriotisme. Reprenant les mots du Premier ministre, nous leur rétorquerons que si « notre nation c'est notre protection », c'est aussi « notre tremplin ».

Une finance halal à Paris

3 décembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le gouvernement et les parlementaires de la majorité promeuvent le développement de la finance islamique sur la place de Paris. Aperçu des enjeux économiques et sociaux.

Le mois dernier, Bercy accueillit un colloque présentant les « opportunités pour les entreprises françaises » offertes par la finance islamique. Christine Lagarde a confirmé qu'elle menait un « combat » en faveur de son développement sur le territoire national. Par ce biais, le ministre de l'Économie entend renforcer l'attractivité de la place de Paris et capter des liquidités au volume croissant, issues de rentes pétrolières et gazières.

Cinq principes

La finance islamique recouvre les activités censées respecter les prescriptions du Coran. Elle repose sur cinq principes : interdiction de l'intérêt versé selon le seul écoulement du temps ; prohibition de la spéculation et de l'incertitude ; exclusion des secteurs haram (vente d'armes, d'alcool ou de porc, pornographie) ; partage des profits et des pertes ; adossement à des actifs tangibles. Des exigences mises en valeur par la Crise... Évalué à 700 milliards de dollars, ce marché devrait représenter 1 000 milliards d'euros à l'horizon 2020, selon Elyès Jouini et Olivier Pastré, auteurs d'un rapport pour Paris Europlace. « Soit [...] l'équivalent du tiers des fonds propres de l'ensemble des banques mondiales en 2007 ou l'équivalent de la moitié de la capitalisation boursière de la place financière de Paris aujourd'hui. »

Les banques françaises n'ont pas manqué d'investir ce marché. BNP-Paribas s'y emploie depuis les années quatre-vingt, principalement dans le Golfe persique et en Asie du Sud-Est. Depuis 2003, le groupe s'appuie sur une filiale basée à Bahrein. « Cette entité est soumise aux mêmes contraintes et dispositions légales que BNP-Paribas, notamment en matière de connaissance des clients, de lutte contre le blanchiment d'argent, etc. Néanmoins, [...] elle dispose d'un comité de charia composé de docteurs en théologie [...] chargés d'approuver toutes les opérations mises en place », expliqua Maya Boureghda lors d'une table ronde organisée au Sénat au printemps 2008.

Immigrations

Sur le territoire européen, le Royaume-Uni fait figure de pionnier. Par rapport à lui, « la France a pris beaucoup de retard dans le développement de son industrie financière islamique », observe Zoubeir Ben Terdeyet, directeur d'Isla-Invest. Peut-être parce que « en Grande-Bretagne, les populations musulmanes sont constituées surtout de personnes originaires du Pakistan, de l'Inde et du Golfe persique, soit des régions où les banques islamiques sont très présentes. En France, en revanche, la communauté musulmane est composée, en majorité, de gens issus d'Afrique du Nord où la finance islamique est assez inexistante. » Jean Arthuis, qui préside la commission des Finances de la chambre haute, déplore l'« inertie nationale », tout en martelant que peu d'aménagements légaux seraient nécessaires pour y remédier. D'ailleurs, l'Autorité des marchés financiers a déjà approuvé des OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières) compatibles avec la charia. Outre-Rhin, le land de Saxe a émis une obligation islamique – ou sukuk – qui lui a rapporté 100 millions d'euros.

Un exemple à suivre ? Probablement aux yeux du sénateur UMP Philippe Marini, auteur d'un amendement à la proposition de loi « tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises ». Adopté définitivement par le Parlement, après avis favorable du gouvernement, son texte prévoyait la modification du Code civil sur la fiducie (transfert temporaire de propriété), afin que le détenteur de sukuk puisse se prévaloir d'un droit de propriété des actifs supports. Saisi par l'opposition, le Conseil constitutionnel a censuré cet amendement le 14 octobre dernier, pour un motif de forme. Scandalisé, le député PS Henri Emmanuelli avait dénoncé une atteinte à la laïcité par « l'introduction de la charia dans le droit français ». Une accusation récusée par sa collègue UMP Chantal Brunéi : « Nous n'ajoutons ici qu'un instrument d'investissement supplémentaire dans la boîte à outils – un parmi beaucoup d'autres, et que personne n'est obligé d'utiliser ! »

Communautarisme

Sans doute eût-il été plus opportun d'agiter l'épouvantail du communautarisme. L'année dernière, Jean Arthuis avait regretté que « la réflexion présentement engagée soit essentiellement tournée vers la banque d'investissement et de financement au détriment de la banque de détail ». La demande des particuliers n'apparaît pas manifeste, mais Zoubeir Ben Terdeyet veut croire en son émergence : « Lorsque la viande halal est apparue en France, presque personne n'en achetait. [...] Beaucoup de musulmans qui ne consommaient pas de viande halal, par effet de mimétisme, font maintenant comme leurs voisins en s'en procurant. Le même phénomène pourrait avoir lieu concernant les produits de finance islamique. » Leur développement s'accompagnerait d'un  « effet intégrateur potentiel » selon Jean Arthuis ; ce serait un signal positif envoyé à la communauté musulmane nationale, une sorte de reconnaissance.... Dans le débat qui anime la rédaction de L'Action Française 2000 et qui oppose, plus ou moins, les partisans de l'assimilation à ceux de l'intégration communautaire, l'ancien ministre de l'Économie soutiendrait vraisemblablement les seconds.

Cohn-Bendit pleuré par les souverainistes

19 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Conseil d'État reconnaît désormais "l'effet direct" des directives européennes.

En 1975, Daniel Cohn-Bendit demanda l'abrogation de l'arrêté d'expulsion dont il avait fait l'objet le 25 mai 1968. Confronté, dans un premier temps, au refus du ministre de l'Intérieur, il fit valoir, en vain, que sa décision était contraire à la directive adoptée par le Conseil des Communautés européennes le 25 février 1964.

À la différence des règlements, rappelons que les directives requièrent une "transposition" par les autorités nationales.

À l'époque, le Conseil d'État considéra que les États membres étaient les seuls destinataires des directives, et que celles-ci « ne sauraient être invoquées par [leurs] ressortissants [...] à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel ». Sa position tranchait avec celle de la Cour de Justice de Luxembourg, dont il se rapprocha toutefois en pratique par la suite, jusqu'à revenir sur cette jurisprudence le 30 octobre dernier.

Un revirement

Appelé à statuer sur une affaire de discrimination, l'Assemblée du contentieux – la formation juridictionnelle la plus élevée du Conseil d'État – a jugé, suivant les termes du communiqué officiel, « que tout justiciable [pouvait] se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif même non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par elle, les mesures de transposition nécessaires. » "L'effet direct" des directives européennes se trouve ainsi reconnu. Et la prégnance du droit communautaire confirmée, bien que son primat fût admis de longue date : depuis 1984, par exemple, le Conseil d'État pouvait annuler les dispositions de tout acte réglementaire contraire à une directive.

Pour expliquer son revirement, la juridiction administrative invoque l'« obligation constitutionnelle » que revêtirait désormais la transposition en droit interne des directive communautaires. Depuis 1992, en effet, la constitution de la Ve République affirme la participation de la France aux Communautés et à l'Union européennes, dans les conditions fixées par les traités européens successifs. Aux yeux des juristes, l'influence des normes communautaires puise donc sa légitimité dans notre propre constitution.

La Poste et la loi

10 novembre 2009

Le Sénat a donné son feu vert au changement de statut de La Poste. Un nouveau pas vers la liquidation du "service public" ? Pas forcément. Aperçu de quelques dispositions légales encadrant les activités postales.

Le Sénat a adopté hier soir, 9 novembre, le projet de loi « relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales ». Au préalable, Pierre Hérisson s'en était saisi au nom de la commission de l'Économie de la chambre haute. Son rapport, dont nous avons lu l'exposé général, nous a réservé quelques surprises. En effet, nous ignorions l'existence des barrières érigées par le législateur contre le "tout libéral", y compris au niveau européen.

« La Poste imprègne notre univers quotidien et notre imaginaire collectif », souligne le sénateur. « Le bureau de poste symbolise la vie communale, au même titre que la mairie ou l'église, et traduit l'ancrage territorial de l'entreprise. La figure du facteur, immortalisée par le septième art et plébiscitée par nos compatriotes, constitue un lien de proximité et de sociabilité central jusque dans les zones les plus reculées. Les fonctions assurées, porteuses d'une dimension universelle – relier les hommes, faire circuler l'information, transmettre des biens –, méritent au premier chef la qualification de service public. » En conséquence, la loi définit quatre missions faisant l'objet d'un contrat entre l'État et La Poste : le service public des envois postaux et le service universel postal ; le service public du transport et de la distribution de la presse ; la mission d'accessibilité bancaire ; la mission d'aménagement du territoire.

Service universel

Une directive européenne de 1997 impose au prestataire du service universel de « garantir, tous les jours ouvrables et pas moins de cinq jours par semaine, au minimum une levée et une distribution au domicile de chaque personne physique ou morale. En France, la loi du 20 mai 2005 [...] met à la charge de La Poste [...] des obligations qui vont au-delà [...] et fait de la France l'un des pays européens bénéficiant du service universel le plus large. [...] Il comprend ainsi, notamment, un service de levée et de distribution six jours sur sept, des envois de colis postaux jusqu'à 20 kg, des envois recommandés et des envois à valeur déclarée ainsi que des envois de journaux et imprimés périodiques pesant au plus 2 kg. Les critères d'accessibilité au réseau de points de contact [...] prévoient  "qu'au moins 99 % de la population nationale et au moins 95 % de la population de chaque département soit à moins de 10 km d'un point de contact et [que] toutes les communes de plus de 10 000 habitants disposent d'au moins un point de contact par tranche de 20 000 habitants". »

La loi du 2 juillet 1990 « dispose que "La Poste contribue [...] à l'aménagement et au développement du territoire national". [...] Le réseau de La Poste se compose, pour ce faire, de 17 091 points de contact répartis dans environ 14 000 communes [...] : 10 778 bureaux de poste détenus en propre par La Poste, dont 4 000 dans des communes de moins de 2 000 habitants ; 4 446 agences postales communales et intercommunales, situées dans des mairies, un demi-emploi étant financé par La Poste ; 1 758 relais Poste chez des commerçants, ces derniers étant rémunérés par La Poste au moyen d'un forfait et d'une commission sur les activités. Au titre de sa mission d'aménagement du territoire, La Poste entretient un réseau de points de contact dans les zones dites "prioritaires" : zones de revitalisation rurale, zones montagneuses, zones urbaines sensibles et départements d'outre-mer. »

« Le surcoût occasionné par ce réseau est estimé, en tenant compte des efforts engagés par La Poste en termes de productivité et d'adaptation de son réseau, à 250 millions d'euros environ. [...] Or, La Poste, désormais soumise à la pression concurrentielle sur la totalité de son domaine d'activité, ne pourra pas contribuer de manière indéfinie au financement d'une mission qui ne pèse pas sur ses concurrents, notamment les grands établissements postaux européens, chargés seulement de la mission de service universel. Votre rapporteur souligne en conséquence qu'il est temps de trouver une solution de financement à la mission d'aménagement du territoire de La Poste et que l'État [...] ne saurait en être absent. »

La peur de la liberté ?

Cela soulève des inquiétudes légitimes. Cependant, on s'étonne des réflexes "étatistes" animant certains royalistes. Leur réaction tranche avec les partis pris de Maurras, fustigeant jadis « l'État français qui se mêle de tout [...], même de faire des écoles et de vendre des allumettes ». Pourquoi faudrait-il, par principe, s'en remettre à lui pour livrer des gadgets high tech commandés sur la Toile ? La distribution des lettres relève certes davantage du "service public". Mais « l'avenir du marché "courrier" ne semble pas porter à l'optimisme. [...] Les spécialistes auditionnés par la commission Ailleret ont évoqué des réductions de volume de l'ordre de 20 à 40 % à l'horizon 2020. » Si « des opportunités de croissance » existent, elles sont « recelées par l'ère numérique »

Aussi La Poste est-elle « confrontée à un bouleversement majeur de son environnement rendant son avenir incertain ». Elle se trouve « acculée dans une impasse », estime Pierre Hérisson : « l'insuffisance de ses fonds propres l'empêche de procéder aux investissements nécessaires pour affronter ses concurrents les plus directs. [...] Or, son statut actuel d'établissement public ne l'autorise pas à accéder à des sources de financement élargies. Pour y remédier [...], une modification de sa forme juridique est aujourd'hui indispensable. C'est l'objet principal du présent projet de loi, qui donne explicitement à La Poste le statut de société anonyme. » « S'il existe un risque en toute chose », poursuit le sénateur, « le pire risque serait aujourd'hui de ne rien faire ».

La tentation de l'immobilisme apparaît pourtant manifeste. Il est vrai que La Poste est le premier employeur de France après l'État... Nos compatriotes seraient-ils effrayés par la liberté ? C'est l'hypothèse avancée par Yves Daoudal, qui dénonce le tabou du "service public à la française" : « Peut-être faudrait-il se demander s'il ne s'agit pas plutôt de services publics "à la soviétique", expression traduite par les communistes par "à la française" et imposée comme telle aux Français au moment où le Parti communiste avait une très grande influence. Ainsi la SNCF a-t-elle été créée par le Front populaire, EDF-GDF et la Sécurité sociale en 1946. Certes, La Poste, quant à elle, est devenue monopole d'État en 1793. Mais c'est aussi une date de dictature d'extrême gauche. » Voilà qui pourrait interpeler ces royalistes devenus des chantres de l'État-providence !

Pour une approche complémentaire du sujet, nous renvoyons nos lecteurs à l'article de Royal Artillerie, ainsi qu'à cette évaluation des effets de la privatisation du service postal suédois.

Aberrations égalitaires

5 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

La loi sera aménagée pour préserver la retraite des mères de famille et se conformer à la jurisprudence. Cela en application d'un principe égalitaire que nous récusons.

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010 comporte un article réformant la majoration de durée d'assurance (MDA) pour enfant accordée aux mères relevant du régime général. Dans un rapport d'information rédigé au nom de la délégation "aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes", Mme Marie-Jo Zimmermann, député de la Moselle, rappelle que « ces majorations sont aujourd'hui de huit trimestres par enfant élevé. Elles bénéficient à la quasi-totalité des mères et comptent pour une part très importante (de l'ordre de 20 %) dans les montants des retraites des femmes, montant qui demeure malgré ces effets correctifs bien inférieur à celui des pensions des hommes. »

Les statistiques sont édifiantes : en 2004, les femmes recevaient une retraite inférieure en moyenne de 38 % à celle des hommes, au montant d'autant plus faible qu'elles avaient eu d'enfants. Ceux-ci affectent évidemment leur carrière professionnelle (82 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes) ; en revanche, leur présence « peut même avoir plutôt un effet positif [sur celle des hommes] par l'image de responsabilité qu'elle confère au père ».

Discrimination

Dans ces conditions, remarque Mme Zimmermann, « la majoration de durée d'assurance apparaît bien comme un élément essentiel pour préserver une particularité française, la conjugaison d'un fort taux d'activité féminine avec une fécondité [relativement...] dynamique ». Une majorité de parlementaires partagent sans aucun doute son point de vue. Mais le législateur doit compter avec la Cour de cassation, dont l'arrêt du 19 février dernier imposait d'étendre aux hommes le bénéfice des MDA. Une perspective évidemment insupportable pour les finances publiques. À l'avenir, l'essentiel des majorations pourra donc être attribué à la mère ou au père, ou bien partagé entre eux. Outre des conflits entre les parents, le député craint « le risque d'entraîner des choix d'opportunité sans lien avec la finalité de la majoration et qui se révèleront pénalisants pour les mères ».

Un nouveau mensonge

Au moins le dispositif sera-t-il sauvegardé. Solution bancale apportée à un problème strictement juridique ? Pas tout à fait, car l'évolution de la jurisprudence n'est pas hermétique à celle des mentalités. L'entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l'homme, sur laquelle s'est appuyée la Cour de cassation, ne remonte-t-elle pas à 1953 ? Si le rapport fustige « une vision étroite du principe d'égalité », il n'en conteste pas les fondements. Selon Mme Zimmermann, en effet, « les majorations de durée d'assurance, comme les autres droits familiaux, ont pour objectif de corriger les effets sur les pensions de retraite des inégalités professionnelles subies par les femmes. Elles ont donc, en principe, vocation à disparaître au fur à mesure que la situation des hommes et des femmes se rapprochera. »

Or, au regard du bien commun, il ne convient pas seulement de "compenser" les sacrifices consentis par les mères, mais aussi d'encourager l'accueil des enfants. Sans quoi, homme ou femme, chacun devra s'accommoder demain d'une retraite de clopinettes ! En réalité, «  l'égalité ne peut régner nulle part », observait Charles Maurras, « mais son obsession, son désir, établissent un esprit politique directement contraire aux besoins vitaux d'un pays » (Mes Idées politiques).

Peut-être faut-il le rappeler ? Les hommes ne portent pas d'enfants... ; le bon sens voudrait qu'on en tire quelque conséquence. « Dans un État puissant, vaste, riche et complexe comme le nôtre, chacun assurément doit avoir le plus de droits possible », poursuit le maître de l'AF ; « mais il ne dépend de personne de faire que ces droits soient égaux quand ils correspondent à des situations naturellement inégales. Quand donc, en un tel cas, la loi vient proclamer cette égalité, la loi ment, et les faits quotidiens mettent ce mensonge en lumière. » Mme Zimmermann juge « indispensable de fixer un pourcentage minimum de membres du sexe sous-représenté au sein des conseils d'administration et des conseils de surveillance pour les sociétés cotées en bourse » ; ces quotas ne seraient qu'un nouveau mensonge.

Le Sénat et l'Europe

22 octobre 2009

Hubert Haenel consacre un rapport parlementaire « à la fonction de contrôle du Sénat sur les questions européennes ». Une fonction « en pleine mutation pour le parlement français, en raison de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la réforme des règlements des assemblées qui vient d'en tirer les conséquences ».

La chambre haute s'appuie désormais non plus sur une délégation, mais sur une véritable commission en charge des Affaires européennes. « Cette disposition a mis fin à une anomalie : au sein de l'Union, les assemblées françaises étaient les seules (avec le parlement maltais) à ne pas être dotées d'un tel organe. L'évolution a été radicale puisque, aujourd'hui, la commission "chargée des affaires européennes" est la seule dont l'Assemblée nationale et le Sénat soient constitutionnellement obligés de se doter. »

D'ores et déjà, le Sénat serait l'assemblée ayant adressé à la Commission « le plus grand nombre d'"observations" sur la subsidiarité et la proportionnalité. Cela dans le cadre d'une procédure informelle introduite par José Manuel Barroso après l'échec des référendums français et néerlandais de 2005, officialisée et renforcée par le traité de Lisbonne.

Passons sur l'examen détaillé des dispositions réglementaires propres au Sénat ; leur complexité a eu raison de notre curiosité. En conclusion, Hubert Haenel souligne que les institutions européennes « apparaissent souvent lointaines, difficilement compréhensibles et malaisément contrôlables ». Force est de constater, à la lecture de ce rapport, que l'appréhension des institutions françaises n'est pas une sinécure... L'UE se distingue surtout par son originalité, à laquelle se heurte le mimétisme des analystes de bas étage.

Esbroufe gaulienne

30 septembre 2009

Dominique de Villepin revient à la une des médias. Nostalgie...

Le procès Clearstream va-t-il remettre en selle Dominique de Villepin ? Il est vrai que ce poète au verbe flamboyant en impose à côté du président de la République. Lequel porte un nouveau coup à la dignité de sa fonction en manifestant – y compris devant la justice, voire au mépris du droit – toute l'animosité que lui inspire son rival.

Ce duel prend volontiers une tournure politique. Nicolas Sarkozy vient d'installer le général Abrial à la tête de l'Allied Command Transformation. Une infamie ! Jusqu'alors, nos officiers arpentaient les couloirs de l'Otan sans responsabilités... À l'opposée ressurgit le souvenir d'un ministre français bravant l'impérialisme américain à la tribune des Nations Unies, tandis que l'oncle Sam se préparait à envahir l'Irak. Son courage fut d'autant plus méritoire qu'il caressa l'opinion dans le sens du poil et qu'un sniper américain le guettait dans Manhattan.

Soyons honnête : à l'époque, l'enthousiasme nous avait emporté, et même aujourd'hui, la nostalgie ne nous épargne pas tout à fait ; c'est pourquoi ce billet sonne comme une repentance. L'AF enseigne la méfiance à l'égard du romantisme ; mettons son catéchisme en pratique ! L'arrogance du discours flatte les sentiments, mais les gesticulations masquent mal l'impuissance qui fut la nôtre à influencer nôtre allié américain. Sans jamais envisager le divorce, la France a multiplié les scènes de ménage, prenant la planète entière à témoin, pour quel résultat ? N'en déplaise aux fanatiques de l'esbroufe gaullienne, la politique n'est pas (seulement) une affaire de posture.

Hélas, serions-nous tenté d'ajouter, car la raison peine à tempérer toutes les ardeurs du chauvinisme !

Une défense européiste

30 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'idéologie prend parfois la défense en otage. Les déboires de l'Airbus A400M, développé sous la bannière de la coopération européenne, illustrent un phénomène dénoncé par le journaliste Jean-Dominique Merchet.

Réunis au Castellet le vendredi 24 juillet, les sept pays partenaires du programme A400M (1) se sont donné six mois pour renégocier le contrat les liant au groupe EADS. Celui-ci avait annoncé le 9 janvier que les premiers avions ne seraient pas livrés avant fin 2012, avec un retard de trois ans au moins. L'industriel reconnaît sa difficulté, voire son incapacité, à satisfaire à toutes les exigences du cahier des charges.

Polyvalence

Ces déboires inquiètent l'armée, confrontée au vieillissement de ses appareils de transport, anticipé de longue date : la formalisation du besoin à l'origine du projet A400M remontre à 1984. Cinquante avions ont été commandés par la France. Sans eux, selon les sénateurs Jacques Gautier et Jean-Pierre Masseret (2), « la capacité de projection tactique à 1 000 km en cinq jours, actuellement de l'ordre de 5 000 tonnes (soit 1 500 militaires avec leur équipement et leur autonomie) passerait, en 2012, à moins de 3 000 tonnes, voire 2 500 tonnes ». Il faudra supporter le coût des solutions palliatives (remise à niveau d'avions en fin de vie, achats ou locations), et les conséquences d'un moindre entraînement des équipages.

Enfin aux commandes de l'A400M, ceux-ci bénéficieront d'un appareil à la polyvalence inédite : son rayon d'action, sa capacité d'emport et sa vitesse conviendront aux missions stratégiques ; susceptible d'opérer sur terrain meuble, à basse altitude et faible vitesse, il répondra également aux exigences tactiques ; il pourra aussi participer à des ravitaillements en vol. Embarquant une technologie de pointe, il exploitera le « plus puissant turbopropulseur développé en Occident », selon l'expression de Noël Forgeard. L'avion cumule les ruptures technologiques. Pourtant, Airbus Military s'était engagé à le développer « à un prix très bas, dans des délais très courts, et sans programme d'évaluation des risques ». L'industriel a sous-estimé l'ampleur du défi ; aux yeux des parlementaires, sa première erreur fut « de penser qu'un avion de transport militaire tactique équivalait à un avion de transport civil "peint en vert", bref qu'il s'agissait de construire un Airbus comme les autres et que les compétences acquises en matière de certification civile seraient un atout substantiel », voire suffisant.

Une gouvernance inefficace

EADS a pâtit, en outre, d'une mauvaise organisation de ses filiales, conduisant à « une mobilisation insuffisante des forces vives d'Airbus ». En effet, « AMSL était placée dans une situation intenable vis-à-vis d'Airbus : en tant que filiale, elle devait exécuter ses ordres ; en tant que responsable industriel du programme, elle devait pouvoir mobiliser les unités de production de la société mère. » Cela dit, Louis Gallois nuance l'échec de son groupe, d'autant que les retards sont monnaie courante dans l'industrie d'armement : « On ne connaît pas de programme de ce type livré en moins de douze ans. [...] Si nous livrions l'avion dans une amplitude de dix ans, nous serions encore la référence dans ce domaine. » (3)

Divergences

Réunis dans l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (Occar), les États impliqués ont entrepris une collaboration délicate, sinon hasardeuse. Ils avaient opté pour une approche commerciale, consistant, selon l'explication des sénateurs, « à délivrer, au terme d'une phase unique pour le développement et la production, un nombre fixe d'avions – 180 – à un prix indexé, mais ferme : 20 milliards d'euros aux conditions économiques initiales ». Mais les priorités divergeaient : le Royaume-Uni voulait acquérir des appareils au plus vite ; l'Allemagne surveillait le budget avec un calendrier élastique ; l'Espagne espérait surtout développer son industrie aéronautique ; quant à la France, elle souhaitait répondre à un besoin opérationnel, mais aussi « faire avancer l'Europe de la défense ». Au total, estiment les parlementaires, ces stratégies différentes « ont conduit à prolonger les négociations plus que de mesure », ainsi qu'à imposer des conditions contractuelles difficiles... En l'absence d'un État pilote, « le dialogue indispensable entre l'industriel et le donneur d'ordres a fait défaut », poursuivent-ils. « En outre, le principe du juste retour a été appliqué strictement, aussi bien pour le moteur que pour l'avion. » « Enfin, la faible capacité de l'Occar à prendre des décisions [...], le manque de dialogue entre EADS et les sous-traitants, ainsi que les problèmes d'organisation du consortium des motoristes ont conduit à retarder l'identification des problèmes et donc leur résolution. »

Une exception, l'A400M ? « Bien au contraire », proclame Jean-Dominique Merchet dans son dernier livre (4). L'animateur du blog Secret Défense, collaborateur de Libération et conférencier occasionnel de la NAR, rapporte que « l'autre programme phare de la coopération européenne, l'hélicoptère NH90, souffre des mêmes maux ». L'industrie d'armement serait « victime de l'idée que plus on embarque de partenaires [...], mieux c'est » ; idée dont le seul mérite serait d'être européenne.

Réussite en solo

À l'opposé, l'auteur souligne la réussite du Rafale : « Très critiqué, le choix de jouer en franco-français apparaît aujourd'hui comme le plus rationnel, tant sur le plan des finances publiques que sur celui des besoins militaires. » Et de citer la Suède en exemple, qui produit des avions militaires et réussit même à en exporter : « Ce que la petite Suède sait faire, et plutôt bien, il n'y avait aucune raison que la France – six fois plus grande – ne puisse le réussir, n'en déplaise aux idéologues qui estiment, une fois pour toutes, que la France est trop petite. »

Fustigeant la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), Jean-Dominique Merchet juge lamentables les multiples déclarations d'intention jamais suivies d'effet. On  attribue certes quelques réalisations concrètes à la PESD, mais dont la dimension "européenne" serait souvent usurpée, comme en Bosnie : « En décembre 2004, l'opération militaire Althéa prend la suite de l'Otan. Pour plus d'efficacité, l'UE le fait néanmoins avec les moyens et capacités de commandement de l'Otan, dans le cadre des accords dits de "Berlin Plus". » Première mission navale entreprise sous l'égide de l'Union, l'opération Atalanta lutte avec succès contre la piraterie au large de la Somalie. Mais « "on ne déploie pas de bateaux exprès pour cette mission", explique-t-on à l'état-major de la Marine rue Royale. "On a deux bateaux qui auraient été là-bas de toute façon dans le cadre de notre présence dans l'océan Indien." »

L'UE et les tâches ménagères

Autant d'exemples illustrant « la grande illusion de la défense européenne ». Avec un mépris teinté d'humour, Jean-Dominique Merchet observe que l'Europe « est conçue pour les temps ordinaires », ce qui s'avère à certains égards « bel et bon » : « Comme le disait l'inoubliable Paul Volfoni des Tontons flingueurs, "les tâches ménagères ne sont pas sans noblesse". » Mais là où il est question « de vie et de mort », on entre dans une cour où « l'Europe ne joue pas et n'est pas prête de le faire ».

Ce petit livre, clair et concis, est un vrai réquisitoire. Pour l'étayer, l'auteur convoque Carl Schmitt et Joseph de Maistre. Ses arguments suffiraient-ils à prononcer la condamnation de l'UE ? Pas forcément, car la PESD apparaît bien marginale au sein de l'Union, dont l'ossature demeure le marché unique. Et si la défense témoigne des méfaits de l'idéologie européiste, celle-ci n'est pas le seul moteur de la construction européenne, où interviennent également des calculs d'intérêts. Cela dit, Jean-Dominique Merchet confesse volontiers un euroscepticisme plus prononcé que celui d'un Védrine, par exemple. Quant au souverainisme, « c'est un mot qui ne me fait pas peur » nous a-t-il confié, tout en se définissant plutôt comme un « gaulliste du 18 juin ».

(1) Les États engagés dans le programme A400M sont les suivants : Allemagne (60 avions), France (50), Espagne (27), Grande-Bretagne (25), Turquie (10), Belgique (7) et Luxembourg (1). L'Afrique du Sud a commandé huit appareils et la Malaisie quatre.

(2) Jacques Gautier & Jean-Pierre Masseret : Rapport d'information sur les conditions financières et industrielles de mise en œuvre du programme A400M. Annexe au procès-verbal de la séance du 10 février 2009, 97 pages, disponible en téléchargement gratuit sur le site Internet du Sénat.

(3) Cité par Nicolas Gros-Verheyde : « Louis Gallois s'explique ». Europolitique, n° 3722, 26 mars 2009. Cf http://bruxelles2.over-blog.com/

(4) Jean-Dominique Merchet : Défense européenne, la grande illusion. Larousse, coll. "À dire vrai", 126 pages, 9,90 euros. Deux extraits sont en ligne sur le blog de l'auteur : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/