L'outre-mer dans l'Union européenne

15 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Bruxelles recèle une manne financière convoitée par l'outre-mer français. Au-delà, les relations des territoires ultra-marins avec l'Europe sont à l'image de celles entretenues avec la métropole, selon qu'ils souhaitent resserrer ou assouplir les liens politiques les attachant à Paris.

L'appartenance des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) « à la famille européenne » doit être mieux considérée, affirme l'Assemblée nationale. Dans une résolution adoptée le 26 mars, la chambre basse « souligne la nécessité de remédier à l'érosion des préférences commerciales dont bénéficient les PTOM » ; elle demande que l'UE tienne compte de leurs intérêts « dans la définition et la conduite de sa politique commerciale », et invite le gouvernement à préserver, plus particulièrement, ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Deux statuts européens

Les départements d'outre-mer (DOM) sont intégrés à la Communauté européenne depuis son origine ; selon la terminologie introduite par le traité de Maastricht, ils constituent des « régions ultra-périphériques » (RUP) de l'Union. Les « pays et territoires d'outre-mer » bénéficient, quant à eux, d'un régime d'association. Certains sont devenus indépendants à la faveur de la décolonisation, formant, dans le jargon européen, les « États ACP » (Afrique, Caraïbes et Pacifique). « Historiquement, la catégorie des PTOM a donc un caractère "résiduel" », observent Mme Annick Girardin et Hervé Gaymard, auteurs d'un rapport d'information enregistré le 10 février à la présidence de l'Assemblée. Parmi les PTOM figurent Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises, Wallis-et-Futuna. Les RUP européennes correspondent, plus au moins, aux départements d'outre-mer français, et les PTOM aux collectivités d'outre-mer. « Cependant, le changement de statut d'une collectivité en droit interne n'a pas de conséquence automatique sur son statut au regard du droit communautaire », soulignent les députés.

Les produits originaires des PTOM entrent librement sur le territoire européen. En revanche, les exportations communautaires peuvent être soumises à des droits de douane perçus par les PTOM, « qui répondent aux nécessités de leur développement et aux besoins de leur industrialisation ou qui, de caractère fiscal, ont pour but d'alimenter leur budget ». Alimenté par les États membres de l'UE, sans dépendre stricto sensu du budget de l'Union, le Fonds européen de développement (FED) bénéficie à la fois aux PTOM et aux pays ACP. La France en est aujourd'hui le deuxième contributeur (19,5 %) derrière l'Allemagne (20,5 %). Pour la période 2008-2013, 286 millions d'euros sont alloués aux PTOM, sur un total de 22,7 milliards (soit 1,25 %). « Les montants sont modestes », commentent les rapporteurs. À titre de comparaison, les sept régions ultra-périphériques bénéficient de 7,8 milliards d'euros de fonds communautaires pour la période 2007-2013.

Mayotte veut s'intégrer à l'Europe

« En tant que PTOM, Mayotte bénéficie depuis 1976 de l'action cruciale de l'Europe au service de son développement », soutient le sénateur Soibahadine Ibrahim Ramadani. L'investissement labellisé par Bruxelles aurait permis de financer l'électrification rurale, le reboisement, la construction de la station d'épuration des eaux usées, la protection du lagon... Pourtant, entre 2000 et 2007, alors que la dotation avoisinait les 25 millions d'euros, seul un peu plus d'un million aurait été consommé. « Cette situation n'est en rien exclusive à Mayotte », poursuit M. Ibrahim Ramadani, « puisque les DOM étant eux-mêmes des RUP, recevant les fonds structurels, ne consomment en moyenne que 40 à 50 % des crédits alloués ». En cause : « la complexité des procédures » et « un manque crucial de personnel qualifié dans la gestion et l'exécution des crédits européens ».

Malgré tout, l'enveloppe destinée à Mayotte apparaît « quelque peu "dérisoire" » aux yeux du sénateur, qui la compare à celles octroyées aux régions ultra-périphériques – telles  la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion. L'île aux Parfums convoite leur statut européen, qui lui ouvrirait une nouvelle manne financière. Il appartient aux responsables nationaux d'agir pour que Mayotte bénéficie des fonds structurels de la période 2014-2020. « Mais l'Europe, c'est plus qu'une chance pour Mayotte », conclut Soibahadine Ibrahim Ramadani. Ce serait même « vital » : « Le statut de DOM-ROM garantit notre ancrage dans la République. Le statut de RUP de l'UE consolidera à jamais la position des Mahorais et écartera définitivement toute crainte liée aux revendications territoriales d'un pays étranger et sera une force pour endiguer devant la communauté internationale les condamnations injustes et injustifiées liées à la présence légitime de la France à Mayotte. »

Émancipation

À l'inverse, après s'être détachée de la Guadeloupe pour devenir en 2007 une collectivité d'outre-mer française, Saint-Barthélémy a demandé à passer du statut de région ultra-périphérique à celui de pays et territoire. Forte d'un PIB par habitant supérieur à 75 % du PIB moyen de l'Union européenne, l'île ne peut prétendre au bénéfice des fonds structurels. En tant que RUP, elle n'en reste pas moins soumise au droit communautaire, dont la transposition serait « génératrice de normes souvent exorbitantes et d'application contraignante », selon le sénateur Michel Magras. « Du point de vue des relations commerciales avec les États-Unis, d'où proviennent une grande part des biens de consommation, le respect strict des normes constitue un handicap », affirme-t-il. En outre, le nouveau code des douanes communautaires pourrait menacer le "droit de quai". « Sa remise en cause équivaudrait à supprimer l'élément principal de l'autonomie budgétaire de la collectivité », avertit M. Magras. Or, le risque planant sur sa perception serait dissipé par l'accession au statut de PTOM. En résumé, « Saint-Barthélemy souhaite trouver dans le régime d'association les facultés d'adaptation de la réglementation que le statut de [collectivité d'outre-mer] permet en droit français ».

Quelles perspectives ?

Adoptée en 2001, l'actuelle décision d'association expirera le 31 décembre 2013. À l'avenir, selon les conclusions du Conseil du 22 décembre 2009, « les relations entre l'UE et les PTOM ne devraient plus être polarisées, comme c'est le cas actuellement, sur la réduction de la pauvreté, mais se muer en un partenariat [...] qui favorisera le développement durable des PTOM et mettra à profit leur potentiel et leurs atouts, tout en contribuant à promouvoir les valeurs et les normes de l'UE dans le reste du monde ». « Le discours sur le renforcement de la compétitivité, c'est le refrain à la mode », commente Jean-Claude Fruteau. Le député de la Réunion juge « illusoire de croire que les seuls mots de "partenariat réciproque et renforcement de la compétitivité" permettront aux PTOM de combler définitivement leurs retards et de résoudre les difficultés structurelles en présence ». De son point de vue, « la question de fond est de savoir quelle sera la compétitivité des PTOM face à la concurrence mondiale si on les "lâche" après les avoir assistés pendant longtemps ».

« Les objectifs environnementaux [...] sont plus que louables », poursuit M. Fruteau. « Cependant, à l'heure actuelle, la valorisation et la sauvegarde de la biodiversité ne peuvent constituer à elles seules un levier suffisant... »  Son collègue Michel Buillard se montre plus optimiste : « Le développement des énergies renouvelables permettrait à la Polynésie française d'être un laboratoire d'expérimentation dans le Pacifique dans un domaine de technologie de pointe et à forte valeur ajoutée tel que l'énergie thermique des mers, l'énergie houlomotrice, l'éolien ou le photovoltaïque. »

« Cette évolution devrait mettre fin au parallélisme existant avec le régime des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique », soutient l'Assemblée nationale, qui envisage la création d'un fonds spécifique. La chambre basse souhaite un rapprochement entre le régime des PTOM et celui des régions ultra-périphériques. M. Buillard propose de « substituer au critère du PNB celui de vulnérabilité ». En outre, la Polynésie réclame une participation accrue à la prise de décision.

Saint-Pierre-et-Miquelon

De fait, Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait faire les frais de la relative indifférence de Bruxelles. Des produits de la pêche en provenance du Canada y sont transformés, après paiement des droits de douane de la collectivité, et sont ensuite réexportés vers l'Union européenne en franchise de droits de douane. Or, des discussions avec Ottawa pourraient aboutir à une libéralisation totale des échanges. Le cas échéant, il n'y aurait plus d'intérêt pour le Canada à faire transiter ses produits par Saint-Pierre-et-Miquelon. « Ce risque n'a pas été identifié au moment de l'adoption du mandat de négociation de l'accord », déplorent Mme Annick Girardin et Hervé Gaymard. « À présent que les négociations ont commencé, les intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon [...] doivent impérativement être pris en compte par la Commission ».

Mais « la question des accords commerciaux dépasse très largement le sujet des PTOM » selon l'ancien ministre de l'Agriculture. « Nous trouvons là, comme ailleurs, une des grandes faiblesses européennes », a-t-il expliqué devant la commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale : « l'absence de cohérence entre des politiques en tuyaux d'orgue. Ainsi les discussions sur le cycle de Doha se poursuivent-elles en parfait cloisonnement à l'égard des débats sur l'avenir de la PAC ou des progrès des politiques européennes d'aides au développement. Or, tous ces enjeux sont intrinsèquement liés, et ce maillage organique n'est nulle part aussi spectaculaire que dans les PTOM. » Peut-être la mise en place, en décembre dernier, d'un "pôle outre-mer" au sein de la représentation permanente de la France à Bruxelles contribuera-t-elle à changer la donne.

Voyage en Polynésie

5 mars 2010

Une "mission exploratoire" s'est rendue en Polynésie française du 31 octobre au 6 novembre 2009. Elle portait sur la création d'une agence d'urbanisme et la redynamisation de sites de défense. Son rapport a été publié par la Documentation française le 23 février. En voici un aperçu.

« Le modèle de développement de Tahiti [...] serait proche d'une rupture », affirment Patrick Albrecht, Patrick Cunin et François Wellhoff. Leur constat semble alarmant : « L'île regroupe plus des trois quarts de la population polynésienne sur une bande étroite entre la mer et la montagne. La croissance démographique a été soutenue, due à un taux de natalité élevé et à une migration depuis les autres archipels. Il en résulte une urbanisation désordonnée et proliférante de l'ensemble de la plaine côtière autour de Papeete, fruit d'un aménagement privé d'opportunités foncières. Alors que les besoins fonciers restent forts, l'urbanisation a atteint ses limites : étalement urbain y compris sur les piémonts, asphyxie de la circulation automobile, quartiers d'habitat insalubre, absence de réseaux collectifs d'assainissement... Une difficulté supplémentaire pour la Polynésie est son étendue, équivalente à celle de l'Europe. L'accès aux soixante-seize îles habitées est problématique. La majorité des archipels n'ont pas de réseau d'eau potable ni d'assainissement, l'habitat y est sans confort, les zones agricoles ne sont pas équipées. »

Dans ce contexte, alors que la fréquentation touristique aurait chuté d'un quart en 2009,  une réduction de moitié des effectifs militaires stationnés en Polynésie est programmée. Cela n'ira pas sans conséquences économiques et sociales, préviennent les rapporteurs. qui ont reçu les maires des six principales communes affectées par les restructurations : Faa'a, Papeete, Pirae, Arue, Mahina et Taiarapu-Est. Lesquels auraient des opportunités à saisir. En effet, la « densification des sites militaires » permet d'envisager la cession d'une vingtaine d'hectares sur Tahiti à partir de 2011. Or, « le maire de Mahina attend depuis fin 2007 un accord formel du ministère de la Défense pour réaliser une station d'épuration communale ». Plus généralement, de nouvelles voies s'ouvrent ainsi au développement économique.

Reste à mettre en place la "gouvernance" adéquate. « La récente instabilité politique du Pays n'a pas été favorable à la mise en perspective des projets et a créé un obstacle à la continuité de l'action publique », déplorent les rapporteurs. « Pourtant dépasser le court terme est indispensable pour affronter la triple crise économique, sociale et écologique (pollutions) qui menace l'avenir de ce "paradis terrestre". » Cela suppose « un fort partenariat entre les responsables du Pays (défenseurs, vis-à-vis de l'État, de leur large autonomie), les élus communaux (détenteurs de peu de leviers d'intervention mais proches de leurs concitoyens) et l'Etat représenté par le Haut-Commissariat ».

Saluant une « nouvelle volonté de coopération », la mission se veut optimiste. Mais il ne faudra pas décevoir, « car un échec des dispositifs envisagés alimenterait une fois de plus le scepticisme des acteurs publics et des citoyens sur la possibilité de mener en Polynésie des démarches durables ». Affaire à suivre.