Vénus au lycée

4 octobre 2009

L'inscription de L'Art d'aimer d'Ovide au programme de latin de terminale suscite une levée de boucliers dans certains milieux réactionnaires. Des protestations déplacées.

Une polémique nous oppose à l'un de nos collaborateurs depuis qu'il a voulu faire écho à un communiqué de l'abbé Régis de Cacqueray dénonçant l'inscription de L'Art d'aimer au programme de latin de terminale. C'est « une œuvre érotique du poète Ovide », fulmine le supérieur du District de France de la Fraternité Saint-Pie X. Lui emboîtant le pas, notre camarade s'est attaqué à « l'école de la débauche », où les élèves seraient « formés à la mentalité hédoniste et abortive » en étudiant « obligatoirement et exclusivement L'Art d'aimer ».

Désinformation

Or, Ovide sera loin d'accaparer toute l'attention des latinistes de terminale. Illustration d'un totalitarisme sans borne, l'Éducaton nationale « laisse au professeur la liberté d'organiser précisément son projet pédagogique » : outre l'œuvre au programme, seules des thématiques lui sont imposées ; l'enseignant choisit ses textes, y compris, pour cette année et la suivante, les extraits de L'Art d'aimer faisant l'objet « de traductions et analyses précises ».

Ceux-ci devant être retenus « pour leur importance ou leur représentativité », les passages distillant quelques conseils à suivre sous la couette risquent fort de passer à la trappe. En effet, nous n'en n'avons relevé que deux. Arrêtons-nous sur le premier, écrit à l'intention des hommes, qui mérite d'être cité in extenso tant il est sulfureux : « Crois-moi, il ne faut pas hâter le terme de la volupté, mais y arriver insensiblement après des retards qui la diffèrent. Quand tu auras trouvé l'endroit que la femme aime à sentir caressé, la pudeur ne doit pas t'empêcher de le caresser. Tu verras les yeux de ton amie brûler d'un éclat tremblant, comme il arrive souvent aux rayons du soleil répétés par une eau transparente. Puis viendront des plaintes, viendra un tendre murmure et de doux gémissements et les paroles qui conviennent à l'amour. Mais ne va pas, déployant plus de voiles (que ton amie), la laisser en arrière, ou lui permettre de te devancer dans ta marche. Le but, atteignez-le en même temps ; c'est le comble de la volupté lorsque, vaincus tous deux, femme et homme demeurent étendus sans force. Voilà la conduite à suivre lorsque le loisir te laisse toute liberté, et que la crainte ne te contraint pas à hâter le larcin de l'amour. Lorsqu'il y aurait danger à tarder, il est utile de te pencher de toute ta force sur les rames et de donner l'éperon à ton coursier lancé à toute allure. » (1)

Ces recommandations apparaitront-elles suffisamment explicites aux yeux d'un abbé fidèle à son vœu de chasteté ? En quête d'éclaircissements, peut-être dénichera-t-il un manuel d'anatomie féminine dans la bibliothèque d'Écône, sait-on jamais. À défaut, qu'il délaisse un instant ses méditations pour s'ouvrir au monde : une oreille tournée vers les cours de récréation lui livrera bien des secrets ; au passage, il mesurera combien la poésie d'Ovide tranche avec la vulgarité ambiante.

Romantisme

Son érotisme tout relatif baigne dans le romantisme, révélant, par comparaison, la fadeur des aventures d'un soir. « Mes leçons n'enseignent que les amours légères», prétend le poète. Certes, ses détracteurs n'y verront qu'un jeu : « Si tu n'as pas une route sûre et facile pour rejoindre ta bien-aimée, si tu trouves devant toi une porte verrouillée, eh bien ! Laisse-toi glisser, chemin périlleux, par la partie du toit ouverte (sur l'atrium) ; qu'une fenêtre élevée t'offre aussi une route furtive. Ta maîtresse sera transportée de joie, et saura qu'elle est la cause du péril que tu as couru pour elle, ce sera le gage assuré de ton amour. Tu aurais pu souvent, Léandre, te priver de voir celle que tu aimais ; tu passais l'Hellespont à la nage, pour bien lui montrer tes sentiments. » Mais l'âme s'en trouve parfois consumée, brûlée par la passion : « Le sillon ne rend pas toujours avec usure ce qu'on lui a confié, et le vent ne favorise pas toujours le vaisseau dans sa course hasardeuse. Peu de plaisirs et plus de peines, voilà le lot des amants : qu'ils préparent leur âme à de nombreuses épreuves. Les lièvres que nourrit le mont Athos, les abeilles que nourrit le mont Hybla, les baies que porte l'arbre de Pallas au feuillage sombre, les coquilles du rivage ne sont pas aussi nombreuses que les tourments de l'amour. Les traits que nous recevons sont abondamment trempés de fiel. »

Forte du soutien de l'académicienne Jacqueline de Romilly, l'association Défi culturel fustige une œuvre dans laquelle « nos enfants apprendront que l'inceste est désiré et même que les femmes aiment être violées ». Ovide multiplie les allusions à la mythologie, dont on connaît les mœurs douteuses, et confesse avec désinvolture son aversion toute personnelle pour la pédophilie. Mais n'est-ce pas de Rome qu'il s'agit ? L'évocation du viol est ambiguë, comme en témoigne le récit de l'enlèvement des Sabine. S'appuyant sur une citation tronquée, Défi culturel dissimule toutefois des nuances significatives : « Quel est l'homme expérimenté qui ne mêlerait pas les baisers aux paroles d'amour ? Même si elle ne les rend pas prends-les sans qu'elle les rende. D'abord elle résistera peut-être et t'appellera "insolent" ; tout en résistant, elle désirera d'être vaincue. Mais ne va pas lui faire mal par des baisers maladroits sur ses lèvres délicates, et garde bien qu'elle puisse se plaindre de ta rudesse. [...] La pudeur interdit à la femme de provoquer certaines caresses, mais il lui est agréable de les recevoir quand un autre en prend l'initiative. » Stigmatisant encore une œuvre « ouvertement misogyne », l'association relève ses attaques contre la « race perfide » que constitueraient les femmes, négligeant cette observation par laquelle le poète tempère son jugement : « La femme ne sait pas écarter les feux et les flèches cruelles (de l'Amour) ; je constate que ces traits sont moins redoutables aux hommes. Les hommes trompent souvent, les femmes, sexe délicat, peu souvent, et, en cherchant bien, il n'y a guère de perfidies à leur reprocher. »

Ovide ne craint pas de convoiter la femme de son prochain, ni d'user de mauvaise foi pour parvenir à ses fins. Son traité n'a rien d'une apologie de la licence au demeurant, n'en déplaise à des cathos frustrés (2) assimilant l'amour, de façon exclusive, à un mariage idéalisé. Loin d'encourager les garçons à siffler les filles, L'Art d'aimer les exhorte à sortir "le grand jeu" pour séduire leur dulcinée ; laquelle est invitée à soigner sa féminité, au mépris de la "parité"...  Proclamons-le sans ambages : ce message n'est pas pour nous déplaire !

(1) L'autre passage "à lire avant de passer au lit" se situe à la fin du livre III. « Je rougis des enseignements qu'il me reste à donner », avoue le poète. S'adressant aux femmes, il leur suggère de choisir la position les mettant le mieux en valeur, selon les qualités et défauts de leur anatomie. Les extraits cités sont tirés de la traduction établie par Henri Bomecque (éd. Librio).

(2) L'expression a choqué. C'est de la polémique (presque) gratuite, nous en convenons. Mais, généralement, ne nous reproche-t-on pas notre réticence à verser dans ce registre ? 😉 En outre, nous avons seulement saisi la perche qui nous était tendue... Ce communiqué semble entretenir délibérément la caricature des rapports de l'Église à la sexualité et l'amour !

3 commentaires pour "Vénus au lycée"

  1. GD

    Le 4 octobre 2009 à 21 h 08 min

    Je découvre l'article de Me Trémolet de Villers après avoir publié ce billet. Extrait :

    « Ovide, un peu rusé, un peu malin, un peu cynique, mais aussi vrai connaisseur de psychologie, et vrai poète, le premier a donné à l'univers, cette œuvre vraiment humaine : l'art d'aimer. Que nos éducateurs sourcilleux ou inquiets s'apaisent ! Qu'ils relisent attentivement ces vers et qu'ils les comparent à ce qui pullule dans notre culture en décomposition ! Ils ne tarderont pas à convenir que si, par miracle, quelques adolescents venaient à s'y intéresser, leur conduite amoureuse trancherait, d'une telle façon, sur celle de leurs contemporains que certains, ou plutôt certaines, admiratives, voudraient en faire un nouveau style, un genre, une mode. Alors, on verrait, au cinéma, au théâtre, dans la rue, sur les places et dans les parcs, dans les trams et les métros, dans les salles de classe, sur les bancs des facultés, les jeunes hommes rivaliser de prévenances, de soins et d'attentions délicates à l'égard des jeunes filles qui, elles, s'efforceraient d'être toujours souriantes, affables, parlant bien et sentant bon... »

    http://ab2t.blogspot.com/2009/09/ovide-est-il-un-pronographe.html

    Je souscris sans réserve !

  2. Sarah

    Le 5 octobre 2009 à 20 h 52 min

    Je souscris aussi. Vive Ovide !

  3. Catoneo

    Le 9 octobre 2009 à 13 h 11 min

    Littérature de haute qualité, vocabulaire riche, construction cursive des phrases, le niveau de latin ne peut que monter à la fin de l'année scolaire.
    Laissons les pères-la-pudeur à leur désert sentimental.
    Ovide est un bon choix.

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