Dixit McCreevy

29 décembre 2009

Depuis Dublin, un commissaire européen prononce un éloge dithyrambique de la diplomatie française. Charlie McCreevy a-t-il perdu la tête ?

Le président de la République n'a pas manqué de fanfaronner, tandis qu'il venait d'obtenir pour la France le portefeuille de commissaire européen en charge du Marché intérieur. Ce faisant, il aurait « enterré une fois pour toutes le mythe selon lequel les commissaires européens, et tout particulièrement les Français, arrivant à Bruxelles, sont supposés laisser de côté les intérêts nationaux ». C'est en tout cas l'opinion formulée le 18 décembre par le commissaire irlandais Charlie McCreevy, auquel Michel Barnier doit justement succéder. Selon lui, l'influence de la France à Bruxelles serait « impressionnante » : « On oublie que la bureaucratie de Bruxelles a été conçue par la France. [...] Au fil des années, cela a donné aux Français un énorme avantage pour savoir comment actionner les leviers de pouvoir. » En conséquence, il a salué l'« habileté extraordinaire » de la diplomatie française.

Propos rapportés par Stephen Collins dans le quotidien irlandais Irish Times

Qui veut la peau du Père Noël ?

27 décembre 2009

L'AFE s'attaque au Père Noël ; nous prenons sa défense ! Sans craindre la polémique, mais en rappelant à nos petits camarades qu'elle peut stimuler les intelligences en marge de toute inimitié. 😉

À l'approche de Noël, tandis que la joie gagne spontanément bien des cœurs, quelques grincheux se manifestent parmi les inconditionnels de la messe de minuit. Chantres d'une austérité que récuseraient vraisemblablement des catholiques plus conséquents, ils observent avec dédain la ferveur envahissant des foyers illuminés avec faste par les « infidèles » (sic) : le Christ, lui, s'était contenté d'une étable, nous rappellent-ils avec véhémence.

L'AFE leur a ouvert son blog, versant dans un obscurantisme déplacé. « Athéisée », la fête de Noël se trouverait réduite de ce fait à une « mascarade d'une vulgarité abjecte » selon F. Magellan. Elle serait d'autant moins porteuse de sens que l'humanité s'imaginerait « née d'un enchainement de coups de bol chimiques ». Noël, propriété créationniste ? Fichtre !

Ces outrances jettent le discrédit sur une critique du consumérisme par ailleurs compréhensible, à laquelle nous aurions pu souscrire en partie si elle avait été explicitée : qu'on juge la valeur d'un cadeau à son prix nous désole ! Cela dit, c'est moins le dévoiement de la fête que sa sécularisation qui incommode notre gardien du temple. La tradition façonnée par l'Église se perpétue dans une société déchristianisée ; avec vigueur même ! C'est en ce sens qu'elle constituerait « le comble du délire ».

En toute logique, les nostalgiques devraient se féliciter d'une telle survivance : la France demeure ancrée dans son passé chrétien, et si l'on s'affaire dans les magasins pendant l'avent, c'est tout de même pour choyer ses proches ; c'est autre chose que la frénésie des soldes ! Qu'importe aux yeux des nouveaux croisés, jaloux de leur monopole, oublieux peut-être des enseignements de leur propre religion : ils ne sauraient tolérer que le profane cohabite avec le sacré.

Aussi dressent-ils le Père Noël contre Leur-Seigneur-Jésus-Christ-agneau-de-Dieu, affublant le vieillard ingénu de défauts insoupçonnés : il serait l'« allégorie sublime de la goinfrerie consumériste, de la pseudo-égalité destructrice [et] de l'iniquité démocratique libérale ». Sans doute était-il trop convenu d'y voir un symbole de l'amour filial... Son innocence l'a rendu consensuel. Une tare inexcusable : ignorant ses aïeux chrétiens, ses détracteurs le dénigrent avant tout par snobisme.

Cette posture infantile nous aurait arraché un sourire si elle n'avait pas été teintée d'un si virulent sectarisme. Lequel met en cause nos valeurs, mais aussi la "concorde sociale"... Politique d'abord, merde !

Le retour de la parité

17 décembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'institution de la "parité" dans les conseils d'administration est un vieux serpent de mer. Forte d'un soutien inédit, une nouvelle proposition de loi plébiscitant les quotas a été déposée à l'Assemblée nationale.

Les conseils d'administration des cinq cents premières entreprises françaises compteraient 8 % de femmes. Situation inacceptable aux yeux des élites féministes. Le mois dernier, le ministre du Travail Xavier Darcos s'était autorisé à « poser la question des quotas ». Dans la foulée, une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale le 3 décembre afin d'instituer en cinq ans la composition à parité des conseils d'administration des sociétés cotées. Les entreprises récalcitrantes s'exposeraient à des difficultés administratives, mais non à des sanctions financières – à moins qu'un amendement soit adopté en ce sens.

Récidives

En 2006, déjà, le Parlement avait exigé que la proportion de représentants de chaque sexe ne dépasse pas 80 %. Il s'était heurté à l'opposition du Conseil constitutionnel, selon lequel on « ne saurait [...] faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l'utilité commune ». Mais la Constitution a depuis été révisée, stipulant désormais que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes [...] aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Tandis que la crainte d'une nouvelle censure semble écartée, « un consensus se dégage aujourd'hui sur la nécessité d'agir de façon contraignante », observe Marie-Jo Zimmermann, le président de la délégation de l'Assemblée nationale aux Droits des femmes. En mars dernier, avec seize autres députés, elle avait proposé, en vain, de fixer des quotas à 40 %. Quelques mois plus tard, plus d'une centaine de collègues lui apportent leur soutien. Parmi les signataires figurent Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l'Assemblée, mais aussi Hervé Gaymard, que l'on imaginait plus réactionnaire.

« Sensibiliser »

« La loi ne peut tout résoudre », reconnaissent les auteurs de cette proposition, « mais elle peut induire un changement dans les mentalités et les pratiques. [...] On peut espérer que des conseils d'administration exemplaires insuffleront une nouvelle sensibilité face aux questions d'égalité salariale ou d'accès à la formation et que notre modèle social et culturel permettra aux femmes de mieux concilier leur vie personnelle  et leur vie professionnelle. » Mme Zimmermann affirme « la nécessité d'une action volontariste ». Elle ne croit pas si bien dire : aux antipodes de l'empirisme, sa démarche vise, au fond, à réorganiser la cité non pas selon ses exigences intrinsèques – en tirant des conséquences sociales de la différence des sexes –, mais au regard d'une idéologie.

Dans cette perspective, la priorité sera donnée à la lutte contre les "stéréotypes". Un "groupe d'experts" de la Commission européenne présente les pistes à suivre : « La plupart des pays ayant les plus longues traditions en matière de politiques de déségrégation [sic] – Danemark, Allemagne, Finlande, Islande et Pays-Bas – montrent la volonté d'affronter la ségrégation à un stade précoce de la vie en investissant dans des "événements motivationnels" ou dans des programmes éducatifs conçus pour encourager de façon positive les choix "atypiques" parmi les jeunes filles et garçons, et de promouvoir de nouveaux modèles à imiter. [...] Un bon exemple est celui des campagnes d'information parallèles intitulées Girls' Day (journée des filles) et New Pathways for boys (nouveaux parcours pour les garçons) en Allemagne. »

Ces velléités idéologiques se parent d'un alibi économique dont les outrances tempèrent la crédibilité : « dans un scénario optimal » échafaudé par la Commission européenne, « le comblement de l'écart des taux d'emploi pourrait entraîner une hausse du PIB de 15 % à 45 % en Europe » ; rien de moins ! Quant à Xavier Darcos, il se montre alarmiste : « La France ne peut se permettre de voir son potentiel féminin quitter le pays, parce que nous n'aurons pas agi. »

Équilibre

Selon le ministre, « il est clair que notre société, pour son propre développement et propre équilibre, doit parvenir à faire aboutir positivement ce sujet ». Tel n'est pas l'avis d'Éric Zemmour, accusé de « justifier l'injustifiable » dans un documentaire sorti en salles le 25 novembre. Le polémiste, qui juge sa pensée caricaturée, a exigé par huissier l'arrêt d'exploitation du film. Fustigeant « une époque de mixité totalitaire, castratrice », il observe que « les mères célibataires n'ont jamais été aussi nombreuses ; jamais aussi pauvres » et craint, à terme, « des tsunamis politiques et sociaux » provoqués par les transformations familiales. Il rappelle en outre l'originalité de la tradition française : « François Ier fut le premier roi d'Occident qui accepta les femmes à sa cour. L'amour courtois fut inventé dans le Sud-Ouest de la France. Les salons du XVIIIe siècle, tenus par des femmes, furent une exclusivité française. » En plein débat sur l'identité nationale, il était opportun de souligner « cet équilibre subtil entre virilité dominante et féminité influente » inventé par la France (1).

(1) Éric Zemmour : Le Premier Sexe ; J'ai lu, 122 p., 4,80 euros.

Fillon, Bainville et l'Europe

16 décembre 2009

Le Premier ministre a prononcé un discours sur l'identité nationale. Morceaux choisis.

Voilà qui tranche avec le "droit-de-l'hommisme " que l'on croyait de mise : intervenant dans le débat sur l'"identité nationale" le 4 décembre, le Premier ministre a souligné le poids de l'histoire : « être français, c'est d'abord appartenir à un très vieux pays d'enracinement », a-t-il déclaré. « C'est habiter une fresque historique où tout s'enchaîne : le Moyen Âge chrétien, la Renaissance humaniste, la monarchie absolue, la Révolution citoyenne [sic], l'Empire triomphant, les républiques progressistes... » En conséquence, affirme François Fillon, si « la France est laïque », elle « est tout naturellement traversée par un vieil héritage chrétien qui ne saurait être ignoré par les autres religions installées plus récemment sur notre sol ».

Entres autres personnalités citées au cours du discours figure un historien d'Action française : « Bainville disait que ce qui était remarquable chez Jeanne d'Arc, ce n'était pas d'avoir délivré Orléans, mais d'avoir reconnu le dauphin et d'être tombée à genoux devant lui. Je crois effectivement que l'identité française se reconnaît à ce dialogue de l'orgueil et de l'abnégation, à cette alternance entre les guerres intestines et les élans d'unité, à ce tiraillement bien français, et finalement fécond, entre la passion du "je" et la nécessité du "nous". »

« Nous sommes les héritiers d'une histoire exceptionnelle dont nous n'avons pas à rougir. », proclame le chef du gouvernement. « Est-ce qu'il faut négliger, [...] balayer tout cela ? Et au profit de quoi ? [...] D'une Europe encore, malgré les efforts qui sont faits, souvent plus technocratique que politique ? [...] Vous savez que je n'ai jamais été de ceux qui pensent que le temps des nations est révolu. [...] L'Europe politique que nous voulons, c'est l'Europe des nations qui ont la volonté de se placer au service d'un dessein collectif. Sans nations fortes, nous sommes convaincus qu'il ne peut y avoir d'Europe forte ! »

Propos de bon sens, sur lesquels les souverainistes devraient méditer au lieu de crier au délire schizophrénique. Selon François Fillon, ce débat censé « raffermir nos repères historiques, civiques et moraux » se justifie par la nécessité de revigorer « l'énergie nationale » permettant à la France « de tenir son rang dans la mondialisation ». D'autres préfèrent la fuir. Pour cette raison, ils revendiquent l'exclusivité du patriotisme. Reprenant les mots du Premier ministre, nous leur rétorquerons que si « notre nation c'est notre protection », c'est aussi « notre tremplin ».

Une finance halal à Paris

3 décembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le gouvernement et les parlementaires de la majorité promeuvent le développement de la finance islamique sur la place de Paris. Aperçu des enjeux économiques et sociaux.

Le mois dernier, Bercy accueillit un colloque présentant les « opportunités pour les entreprises françaises » offertes par la finance islamique. Christine Lagarde a confirmé qu'elle menait un « combat » en faveur de son développement sur le territoire national. Par ce biais, le ministre de l'Économie entend renforcer l'attractivité de la place de Paris et capter des liquidités au volume croissant, issues de rentes pétrolières et gazières.

Cinq principes

La finance islamique recouvre les activités censées respecter les prescriptions du Coran. Elle repose sur cinq principes : interdiction de l'intérêt versé selon le seul écoulement du temps ; prohibition de la spéculation et de l'incertitude ; exclusion des secteurs haram (vente d'armes, d'alcool ou de porc, pornographie) ; partage des profits et des pertes ; adossement à des actifs tangibles. Des exigences mises en valeur par la Crise... Évalué à 700 milliards de dollars, ce marché devrait représenter 1 000 milliards d'euros à l'horizon 2020, selon Elyès Jouini et Olivier Pastré, auteurs d'un rapport pour Paris Europlace. « Soit [...] l'équivalent du tiers des fonds propres de l'ensemble des banques mondiales en 2007 ou l'équivalent de la moitié de la capitalisation boursière de la place financière de Paris aujourd'hui. »

Les banques françaises n'ont pas manqué d'investir ce marché. BNP-Paribas s'y emploie depuis les années quatre-vingt, principalement dans le Golfe persique et en Asie du Sud-Est. Depuis 2003, le groupe s'appuie sur une filiale basée à Bahrein. « Cette entité est soumise aux mêmes contraintes et dispositions légales que BNP-Paribas, notamment en matière de connaissance des clients, de lutte contre le blanchiment d'argent, etc. Néanmoins, [...] elle dispose d'un comité de charia composé de docteurs en théologie [...] chargés d'approuver toutes les opérations mises en place », expliqua Maya Boureghda lors d'une table ronde organisée au Sénat au printemps 2008.

Immigrations

Sur le territoire européen, le Royaume-Uni fait figure de pionnier. Par rapport à lui, « la France a pris beaucoup de retard dans le développement de son industrie financière islamique », observe Zoubeir Ben Terdeyet, directeur d'Isla-Invest. Peut-être parce que « en Grande-Bretagne, les populations musulmanes sont constituées surtout de personnes originaires du Pakistan, de l'Inde et du Golfe persique, soit des régions où les banques islamiques sont très présentes. En France, en revanche, la communauté musulmane est composée, en majorité, de gens issus d'Afrique du Nord où la finance islamique est assez inexistante. » Jean Arthuis, qui préside la commission des Finances de la chambre haute, déplore l'« inertie nationale », tout en martelant que peu d'aménagements légaux seraient nécessaires pour y remédier. D'ailleurs, l'Autorité des marchés financiers a déjà approuvé des OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières) compatibles avec la charia. Outre-Rhin, le land de Saxe a émis une obligation islamique – ou sukuk – qui lui a rapporté 100 millions d'euros.

Un exemple à suivre ? Probablement aux yeux du sénateur UMP Philippe Marini, auteur d'un amendement à la proposition de loi « tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises ». Adopté définitivement par le Parlement, après avis favorable du gouvernement, son texte prévoyait la modification du Code civil sur la fiducie (transfert temporaire de propriété), afin que le détenteur de sukuk puisse se prévaloir d'un droit de propriété des actifs supports. Saisi par l'opposition, le Conseil constitutionnel a censuré cet amendement le 14 octobre dernier, pour un motif de forme. Scandalisé, le député PS Henri Emmanuelli avait dénoncé une atteinte à la laïcité par « l'introduction de la charia dans le droit français ». Une accusation récusée par sa collègue UMP Chantal Brunéi : « Nous n'ajoutons ici qu'un instrument d'investissement supplémentaire dans la boîte à outils – un parmi beaucoup d'autres, et que personne n'est obligé d'utiliser ! »

Communautarisme

Sans doute eût-il été plus opportun d'agiter l'épouvantail du communautarisme. L'année dernière, Jean Arthuis avait regretté que « la réflexion présentement engagée soit essentiellement tournée vers la banque d'investissement et de financement au détriment de la banque de détail ». La demande des particuliers n'apparaît pas manifeste, mais Zoubeir Ben Terdeyet veut croire en son émergence : « Lorsque la viande halal est apparue en France, presque personne n'en achetait. [...] Beaucoup de musulmans qui ne consommaient pas de viande halal, par effet de mimétisme, font maintenant comme leurs voisins en s'en procurant. Le même phénomène pourrait avoir lieu concernant les produits de finance islamique. » Leur développement s'accompagnerait d'un  « effet intégrateur potentiel » selon Jean Arthuis ; ce serait un signal positif envoyé à la communauté musulmane nationale, une sorte de reconnaissance.... Dans le débat qui anime la rédaction de L'Action Française 2000 et qui oppose, plus ou moins, les partisans de l'assimilation à ceux de l'intégration communautaire, l'ancien ministre de l'Économie soutiendrait vraisemblablement les seconds.

Sémantique européiste

3 décembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Les commentaires vont bon train depuis la désignation du premier président "stable" du Conseil européen. On en fait volontiers le président « de l'Union européenne ». Un simple abus de langage ?

Les Vingt-Sept se sont accordés pour désigner le Belge Herman Van Rompuy à la tête du Conseil européen. « Cela s'est passé relativement facilement, en tout cas rapidement », selon le témoignage du président de la République. Rappelons que le Conseil européen réunit les chefs d'État ou de gouvernement des États membres de l'UE. Selon les traités, il « donne à l'Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales ». Il en est devenu une institution à part entière avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre. Cette consécration nourrit d'ailleurs quelque inquiétude en l'exposant au contrôle de la Cour de Justice de Luxembourg.

Quels pouvoirs ?

Évoquant le Premier ministre belge sortant, nombre de nos confrères se sont empressés d'en faire le président non pas du Conseil européen, mais de « l'Union européenne » tout entière. C'est méconnaître ses responsabilités. Officiellement, il « préside et anime les travaux du Conseil européen ; assure la préparation et la continuité des travaux du Conseil européen en coopération avec le président de la Commission, et sur la base des travaux du Conseil des Affaires générales ; œuvre pour faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen ; présente au Parlement européen un rapport à la suite de chacune des réunions du Conseil européen ».

Le 12 novembre, Herman Van Rompuy se serait paraît-il prononcé « lors de la réunion du groupe Bilderberg, à Bruxelles, pour un fédéralisme européen sur le modèle de celui des États-Unis » ; il aurait « plaidé en faveur d'un financement direct du budget européen par l'impôt, en l'occurrence une taxe environnementale » (Coulisses de Bruxelles, 29/11/2009). Tout juste désigné à la tête du Conseil européen, il a prononcé une déclaration bien plus consensuelle : « Je veillerai à respecter les sensibilités et les intérêts de tout un chacun. [...] Chaque pays a son histoire, sa culture et sa façon de faire. Sans respect pour notre diversité, nous ne constituerons jamais notre unité. Ce principe sera toujours présent dans mon esprit. »

Son influence dépendra de l'habileté avec laquelle il dessinera les contours de sa fonction. Mais il ne saurait convoiter un pouvoir exécutif. « Il ne s'agissait pas d'élire George Washington à la tête des États-Unis d'Amérique », proclame Pierre Lellouche, le secrétaire d'État en charge des Affaires européennes : « Son rôle sera non pas de faire de la représentation et de donner des conférences de presse, mais d'être capable de poser les bonnes questions au Conseil européen, puis, une fois qu'un accord aura été dégagé, d'en assurer le suivi. » Jacques Delors balaie lui aussi les utopies giscardiennes : « Il n'a jamais été question [...] d'avoir une personne qui serait président de l'Europe, les États ne l'auraient pas supporté. [...] Au bout de six mois, les tensions entre les différentes institutions auraient été telles que tout aurait été paralysé. » (Le Monde, 30/11/2009)

Un vrai ministre

Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, la Britannique Catherine Ashton est quant à elle promue « ministre des Affaires étrangères » par certains journalistes, qui empruntent l'expression au défunt traité établissant une constitution pour l'Europe. Ce titre apparaît moins usurpé que le précédent : Mme Ashton présidera le Conseil des ministres des Affaires étrangères ; elle s'appuiera à terme sur le Service européen pour l'Action extérieure qu'il lui appartient de mettre en place. Aussi Paul-Marie Coûteaux annonce-t-il d'ores et déjà la « suppression » des ambassades nationales. Avant d'en arriver là, l'UE devra unifier son embryon de diplomatie, scindée entre ses piliers communautaire et intergouvernementaux. À titre d'exemple, elle a entrepris il y a seulement quelques mois d'unifier sa représentation en Afghanistan, où le délégué du Conseil cohabitait avec celui de la Commission ; ainsi, bien sûr, qu'avec les représentants des États membres maintenus à leur poste.

Cristal opaque

La nationalité du Haut Représentant pourrait en outre tempérer l'inquiétude des souverainistes. « C'est assez intéressant de prendre [...] une femme qui vient d'un pays qui a parfois plus de difficultés avec l'Europe », souligne Nicolas Sarkozy. Sans doute sera-t-elle confrontée à quelques tiraillements. Parmi les premiers dossiers qu'elle aura à traiter figure ainsi le déploiement, en Ouganda, d'un dispositif européen de formation des soldats somaliens ; une opération dont les préparatifs sont accueillis avec réticence par le Royaume-Uni.

Les approximations sémantiques observées dans la presse s'expliquent par des motifs idéologiques. Elles illustrent également ce travers par lequel des schémas institutionnels nationaux sont calqués sur la réalité européenne, où ils s'avèrent inopérants. La mise en œuvre du traité de Lisbonne rendra-t-elle le fonctionnement de l'UE plus intelligible aux yeux des profanes ? La présidence de la Commission n'est pas subordonnée à celle du Conseil européen, et celle, tournante, du Conseil des ministres est maintenue... Tandis qu'on lui demandait quel était désormais le visage de l'"Europe", le président de la République lâcha cet aveu : « Tout n'est pas d'une pureté de cristal. »

La torture en spectacle

19 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

La saison 7 de 24 Heures chrono met en scène le débat sur la torture. La série en dit long sur le fossé qui nous sépare des mentalités américaines.

La septième saison de 24 Heures chrono est disponible en DVD depuis le 4 novembre. Référence en matière de thriller, cette série met en scène Jack Bauer, un agent fédéral aux méthodes musclées, prêt à perdre son âme pour déjouer les complots terroristes fomentés contre les États-Unis. Tournée plus ou moins à la façon d'un reportage, elle prétend rapporter ses péripéties en temps réel, les vingt-quatre épisodes d'une saison correspondant aux vingt-quatre heures d'une journée riche en rebondissements.

Polémiques

Dans un pays marqué par le traumatisme du 11 Septembre, pointé du doigt après la proclamation du Patriot Act, Twenty four s'est livré, avec une outrance croissante, à une véritable apologie de la torture... pour la plus grande satisfaction du public. Cela n'a pas manqué de susciter des polémiques outre-Atlantique, voire « un certain malaise » selon le Courrier International du 14 février 2007 : « Pour preuve, "un groupe inhabituel formé de militants des droits de l'homme, du doyen de l'académie militaire américaine de West Point et des interrogateurs vétérans de Saigon ou d'Abou Ghraib s'est réuni autour d'une table à la mi-novembre 2006." [...] En venant à la rencontre des créateurs de la série, ces visiteurs n'avaient qu'un souhait : "Que les scènes de torture soient plus authentiques. Cela ne veut pas dire plus sanglantes ou plus sauvages." Au contraire, ils veulent qu'elles soient plus réalistes, moins expéditives. Ce qui fait dire au Los Angeles Times que "24 Heures chrono prend une leçon de torture de la part d'experts". The Independant n'en revient pas lui non plus. "L'armée américaine a fait appel aux producteurs [...] pour modérer les scènes de torture à cause de l'impact qu'elles ont à la fois sur les troupes sur le terrain et sur la réputation de l'Amérique à l'étranger. »

Jack Bauer, héros damné

Loin de se repentir, les producteurs du "Jour 7" ont pris le parti culotté de mettre en scène le débat. Le premier épisode s'ouvre sur le procès orchestré  par un sénateur contre Jack Bauer, appelé à répondre à Washington de crimes qu'il assume apparemment sans scrupule. Son audition est interrompue à la demande du FBI, qui requiert son aide pour résoudre une enquête. Travaillant à ses côtés pendant vingt-quatre heures, l'agent Renée Walker se laisse convaincre du bien fondé de ses méthodes. Avec toutefois quelques réticences, si bien que sa sensibilité contribue à "réhumaniser" le héros damné.

En guise de prologue, le téléfilm Redemption (disponible séparément) fustige l'impuissance – voire la lâcheté – des Nations Unies, ainsi qu'un certain isolationnisme américain, lui préférant manifestement l'ingérence humanitaire. Au fil des épisodes, on relève une mise en garde contre le développement des armées privées – largement utilisées en Irak – et le "retour à la foi" de Jack sous l'influence d'un imam qu'il avait accusé à tort de protéger un terroriste. Bien évidemment, la part belle est réservée au patriotisme ainsi qu'au sens du devoir. Cela ne va pas sans déchirement dans la famille du président – une femme...

Le suspens étant au rendez-vous les amateurs du genre seront comblés. Tous nos lecteurs n'en sont pas, mais ils mesureront à travers ces quelques lignes le fossé qui nous sépare des mentalités américaines.

24 Heures chrono, saison 7 ; coffret six DVD, 24 x 41 minutes environ, format 1.78, VF et VO en 5.1, Fox-FPE, 39,99 euros.

Cohn-Bendit pleuré par les souverainistes

19 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Conseil d'État reconnaît désormais "l'effet direct" des directives européennes.

En 1975, Daniel Cohn-Bendit demanda l'abrogation de l'arrêté d'expulsion dont il avait fait l'objet le 25 mai 1968. Confronté, dans un premier temps, au refus du ministre de l'Intérieur, il fit valoir, en vain, que sa décision était contraire à la directive adoptée par le Conseil des Communautés européennes le 25 février 1964.

À la différence des règlements, rappelons que les directives requièrent une "transposition" par les autorités nationales.

À l'époque, le Conseil d'État considéra que les États membres étaient les seuls destinataires des directives, et que celles-ci « ne sauraient être invoquées par [leurs] ressortissants [...] à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel ». Sa position tranchait avec celle de la Cour de Justice de Luxembourg, dont il se rapprocha toutefois en pratique par la suite, jusqu'à revenir sur cette jurisprudence le 30 octobre dernier.

Un revirement

Appelé à statuer sur une affaire de discrimination, l'Assemblée du contentieux – la formation juridictionnelle la plus élevée du Conseil d'État – a jugé, suivant les termes du communiqué officiel, « que tout justiciable [pouvait] se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif même non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par elle, les mesures de transposition nécessaires. » "L'effet direct" des directives européennes se trouve ainsi reconnu. Et la prégnance du droit communautaire confirmée, bien que son primat fût admis de longue date : depuis 1984, par exemple, le Conseil d'État pouvait annuler les dispositions de tout acte réglementaire contraire à une directive.

Pour expliquer son revirement, la juridiction administrative invoque l'« obligation constitutionnelle » que revêtirait désormais la transposition en droit interne des directive communautaires. Depuis 1992, en effet, la constitution de la Ve République affirme la participation de la France aux Communautés et à l'Union européennes, dans les conditions fixées par les traités européens successifs. Aux yeux des juristes, l'influence des normes communautaires puise donc sa légitimité dans notre propre constitution.

Transparence

19 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Souverainistes et européistes s'offusquent de l'opacité des négociations européennes.

Les tractations allaient bon train à l'approche du Conseil européen du 19 novembre, où les chefs d'État et de gouvernement devaient désigner celui qui présiderait leurs réunions pendant deux ans et demi, en application du traité de Lisbonne.

Les candidats potentiels à ce genre de poste n'ont pas l'habitude de se déclarer. Jean-Claude Juncker, le Premier ministre du Luxembourg, a certes rompu avec la tradition ; gageons que c'était moins dans l'espoir de satisfaire ses ambitions qu'afin de faire échec à Tony Blair.

Quoi qu'il en soit, le président du Conseil européen reste désigné sous l'empire de négociations diplomatiques. Pour les européistes, cela témoigne de l'empreinte insupportable que les États continuent d'imprimer sur l'UE. « Ces tractations secrètes donnent des arguments à ceux qui plaident pour l'élection au suffrage universel d'un "président de l'Union" », clame Jean Quatremer (Coulisses de Bruxelles, 11/11/2009). C'est le cas de Ségolène Royal, qui renouvelle son vœu de « créer les États-Unis d'Europe » dans un entretien accordé à La Tribune le 10 novembre. Sans doute aurait-elle mieux fait de se taire : l'utopie apparaît selon nous trop manifeste pour berner l'électeur moyen en quête d'un projet mobilisateur.

Comme en URSS...

De son côté, Yves Daoudal a fait écho aux déclarations de Mme Vike-Freiberga, dont le nom était parfois avancé pour prendre la tête du Conseil européen. L'ancien président de la Lettonie fustige les nominations décidées « comme toujours dans l'obscurité, derrière des portes closes » : « Il y en a assez que l'Union européenne fonctionne comme l'ancienne Union soviétique. » Le Salon Beige a lui aussi relayé ses propos, qui semblent réjouir les souverainistes. La comparaison puise ses racines dans l'histoire, comme le rappelle L'Encyclopédie de l'Agora : « En 1985, Mikhaïl Gorbatchev, alors premier secrétaire du Parti communiste au pouvoir en Union soviétique, fit l'annonce d'une nouvelle politique fondée sur la Glasnost, mot que l'on traduisit par transparence en français. C'est ainsi que l'on put connaître les faits sur les grandes purges de Staline et le massacre de Katyn... »

Cela dit, la blogosphère réactionnaire se fourvoie en versant apparemment dans l'apologie de la "transparence". En effet, sa revendication participe d'un libéralisme forcené, tandis que son application revêt une incontestable dimension totalitaire.

La Poste et la loi

10 novembre 2009

Le Sénat a donné son feu vert au changement de statut de La Poste. Un nouveau pas vers la liquidation du "service public" ? Pas forcément. Aperçu de quelques dispositions légales encadrant les activités postales.

Le Sénat a adopté hier soir, 9 novembre, le projet de loi « relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales ». Au préalable, Pierre Hérisson s'en était saisi au nom de la commission de l'Économie de la chambre haute. Son rapport, dont nous avons lu l'exposé général, nous a réservé quelques surprises. En effet, nous ignorions l'existence des barrières érigées par le législateur contre le "tout libéral", y compris au niveau européen.

« La Poste imprègne notre univers quotidien et notre imaginaire collectif », souligne le sénateur. « Le bureau de poste symbolise la vie communale, au même titre que la mairie ou l'église, et traduit l'ancrage territorial de l'entreprise. La figure du facteur, immortalisée par le septième art et plébiscitée par nos compatriotes, constitue un lien de proximité et de sociabilité central jusque dans les zones les plus reculées. Les fonctions assurées, porteuses d'une dimension universelle – relier les hommes, faire circuler l'information, transmettre des biens –, méritent au premier chef la qualification de service public. » En conséquence, la loi définit quatre missions faisant l'objet d'un contrat entre l'État et La Poste : le service public des envois postaux et le service universel postal ; le service public du transport et de la distribution de la presse ; la mission d'accessibilité bancaire ; la mission d'aménagement du territoire.

Service universel

Une directive européenne de 1997 impose au prestataire du service universel de « garantir, tous les jours ouvrables et pas moins de cinq jours par semaine, au minimum une levée et une distribution au domicile de chaque personne physique ou morale. En France, la loi du 20 mai 2005 [...] met à la charge de La Poste [...] des obligations qui vont au-delà [...] et fait de la France l'un des pays européens bénéficiant du service universel le plus large. [...] Il comprend ainsi, notamment, un service de levée et de distribution six jours sur sept, des envois de colis postaux jusqu'à 20 kg, des envois recommandés et des envois à valeur déclarée ainsi que des envois de journaux et imprimés périodiques pesant au plus 2 kg. Les critères d'accessibilité au réseau de points de contact [...] prévoient  "qu'au moins 99 % de la population nationale et au moins 95 % de la population de chaque département soit à moins de 10 km d'un point de contact et [que] toutes les communes de plus de 10 000 habitants disposent d'au moins un point de contact par tranche de 20 000 habitants". »

La loi du 2 juillet 1990 « dispose que "La Poste contribue [...] à l'aménagement et au développement du territoire national". [...] Le réseau de La Poste se compose, pour ce faire, de 17 091 points de contact répartis dans environ 14 000 communes [...] : 10 778 bureaux de poste détenus en propre par La Poste, dont 4 000 dans des communes de moins de 2 000 habitants ; 4 446 agences postales communales et intercommunales, situées dans des mairies, un demi-emploi étant financé par La Poste ; 1 758 relais Poste chez des commerçants, ces derniers étant rémunérés par La Poste au moyen d'un forfait et d'une commission sur les activités. Au titre de sa mission d'aménagement du territoire, La Poste entretient un réseau de points de contact dans les zones dites "prioritaires" : zones de revitalisation rurale, zones montagneuses, zones urbaines sensibles et départements d'outre-mer. »

« Le surcoût occasionné par ce réseau est estimé, en tenant compte des efforts engagés par La Poste en termes de productivité et d'adaptation de son réseau, à 250 millions d'euros environ. [...] Or, La Poste, désormais soumise à la pression concurrentielle sur la totalité de son domaine d'activité, ne pourra pas contribuer de manière indéfinie au financement d'une mission qui ne pèse pas sur ses concurrents, notamment les grands établissements postaux européens, chargés seulement de la mission de service universel. Votre rapporteur souligne en conséquence qu'il est temps de trouver une solution de financement à la mission d'aménagement du territoire de La Poste et que l'État [...] ne saurait en être absent. »

La peur de la liberté ?

Cela soulève des inquiétudes légitimes. Cependant, on s'étonne des réflexes "étatistes" animant certains royalistes. Leur réaction tranche avec les partis pris de Maurras, fustigeant jadis « l'État français qui se mêle de tout [...], même de faire des écoles et de vendre des allumettes ». Pourquoi faudrait-il, par principe, s'en remettre à lui pour livrer des gadgets high tech commandés sur la Toile ? La distribution des lettres relève certes davantage du "service public". Mais « l'avenir du marché "courrier" ne semble pas porter à l'optimisme. [...] Les spécialistes auditionnés par la commission Ailleret ont évoqué des réductions de volume de l'ordre de 20 à 40 % à l'horizon 2020. » Si « des opportunités de croissance » existent, elles sont « recelées par l'ère numérique »

Aussi La Poste est-elle « confrontée à un bouleversement majeur de son environnement rendant son avenir incertain ». Elle se trouve « acculée dans une impasse », estime Pierre Hérisson : « l'insuffisance de ses fonds propres l'empêche de procéder aux investissements nécessaires pour affronter ses concurrents les plus directs. [...] Or, son statut actuel d'établissement public ne l'autorise pas à accéder à des sources de financement élargies. Pour y remédier [...], une modification de sa forme juridique est aujourd'hui indispensable. C'est l'objet principal du présent projet de loi, qui donne explicitement à La Poste le statut de société anonyme. » « S'il existe un risque en toute chose », poursuit le sénateur, « le pire risque serait aujourd'hui de ne rien faire ».

La tentation de l'immobilisme apparaît pourtant manifeste. Il est vrai que La Poste est le premier employeur de France après l'État... Nos compatriotes seraient-ils effrayés par la liberté ? C'est l'hypothèse avancée par Yves Daoudal, qui dénonce le tabou du "service public à la française" : « Peut-être faudrait-il se demander s'il ne s'agit pas plutôt de services publics "à la soviétique", expression traduite par les communistes par "à la française" et imposée comme telle aux Français au moment où le Parti communiste avait une très grande influence. Ainsi la SNCF a-t-elle été créée par le Front populaire, EDF-GDF et la Sécurité sociale en 1946. Certes, La Poste, quant à elle, est devenue monopole d'État en 1793. Mais c'est aussi une date de dictature d'extrême gauche. » Voilà qui pourrait interpeler ces royalistes devenus des chantres de l'État-providence !

Pour une approche complémentaire du sujet, nous renvoyons nos lecteurs à l'article de Royal Artillerie, ainsi qu'à cette évaluation des effets de la privatisation du service postal suédois.