Charles Maurras et le "triple A"

15 décembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Quand Charles Maurras se trouve convoqué pour appuyer un libre commentaire de la crise des dettes souveraines...

La soumission du politique aux "lois du marché" relève d'un lieu commun largement dénoncé. De fait, la réforme des retraites fut vraisemblablement décidée sous la pression des investisseurs, afin de prévenir un renchérissement des emprunts d'État.

Politique d'abord

Y a-t-il matière à scandale ? Sans aucun doute aux yeux des gaullistes, pour qui « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » – autrement dit, à la bourse. En pratique, alors que la charge de la dette constitue le deuxième poste budgétaire de l'État, les fluctuations des marchés obligataires ne sauraient indifférer les responsables politiques. La tentation est grande, pour les royalistes, de s'inscrire dans le sillage du général De Gaulle – quitte à s'abriter derrière le "politique d'abord" cher à Maurras.

Mais « quand nous disons "politique d'abord" », expliquait-il dans Mes Idées politiques, « nous disons la politique la première, la première dans l'ordre du temps, nullement dans l'ordre de la dignité » : « Autant dire que la route doit être prise avant que d'arriver à son point terminus ; la flèche et l'arc seront saisis avant de toucher la cible ; le moyen d'action précédera le centre de destination. » Des considérations à l'opposé de la maxime gaullienne selon laquelle « l'intendance suivra » !

À la quête d'une grandeur virant à l'esbroufe, nous préférons celle, patiente et discrète – somme toute capétienne ? – de la puissance et de la prospérité. Dans cette perspective, l'économie peut apparaître « plus importante que la politique ». Maurras lui-même le proclamait. En conséquence, écrivait-il, « elle doit [...] venir après la politique, comme la fin vient après le moyen, comme le terme est placé au bout du chemin, car, encore une fois, c'est le chemin que l'on prend si l'on veut atteindre le terme ».

Travers volontariste

La mondialisation a-t-elle changé les règles du jeu ? Beaucoup le prétendent, poussés par le romantisme ou la démagogie. Tel Arnaud Montebourg évoquant, au micro d'Hedwige Chevrillon, « les dettes incommensurables » que les marchés financiers auraient « imposées » aux peuple européens (BFM Business, 01/12/2010). Mise au pilori, la spéculation vient rappeler les politiques à leurs responsabilités. D'ailleurs, elle n'est pas seule en cause : « Il faut bien voir qu'une partie [des banques] n'a pas d'autre choix que de vendre les obligations de certains pays », souligne Jean Quatremer (Coulisses de Bruxelles, 29/11/2010). « En effet, les règles prudentielles les obligent à avoir en portefeuille, en fonds propres, des emprunts d'État très bien notés afin qu'elles disposent d'un matelas solide. [...] Donc ce qui peut apparaître comme de la spéculation contre la dette souveraine de la part des établissements financiers européens n'est que la résultante d'une réglementation inadaptée. » En Grèce, ce ne sont pas des traders, mais bien les politiques, qui ont maquillé les comptes publics, précipitant leur pays dans l'abime. Quant à l'État américain, il a joué un rôle déterminant dans le déclenchement de la crise des subprimes.

Washington était-il soumis aux lois du marché, alors qu'il encourageait les banques à prêter à des ménages insolvables afin d'élargir l'accès à la propriété ? Sans doute s'est-il davantage montré coupable de les négliger ! En dépit du scepticisme que lui inspiraient les économistes libéraux, Maurras n'excluait pas l'existence de lois économiques. Il appelait même à leur obéir. C'est à cette condition, disait-il, « que nous commanderons aux choses ». Aussi leur stigmatisation est-elle une ânerie – la conséquence d'un fourvoiement volontariste.

« En matière économique, plus encore qu'en politique, la première des forces est le crédit qui naît de la confiance », observait encore Maurras. Or, la parole d'un Trichet vaut davantage que celle d'un Sarkozy : tandis que la Banque centrale européenne maintient son cap, l'Élysée navigue à vue... « En fait, les gouvernements européens perçoivent mal ce besoin d'avoir un instrument capable d'interagir en temps réel avec les marchés pour enrayer le plus vite possible les menaces », analyse Anton Brender, directeur des études économiques chez Dexia AM (Les Échos, 03/12/2010). « Ils ont aussi du mal à comprendre que les marchés soient si sensibles aux messages qu'ils envoient et qu'ils puissent si vite paniquer. Les marchés ont besoin de messages clairs et d'interventions décidées. » Ce dont les gouvernements démocratiques se montrent peu capables.

Autosatisfaction

4 décembre 2010

Relevé de quelques approximations.

Annonçant l'entrée probable de la Bulgarie et la Roumanie dan l'espace Schengen en mars 2011, le site du Figaro avait affirmé qu'à partir de cette date, Paris ne pourrait plus expulser certains Roms. Ce faisant, le quotidien confondait la suppression des contrôles aux frontières avec celle des restrictions à la liberté d'installation, applicables jusqu'au 1er janvier 2014.

Si l'on en croit Jean-Philippe Chauvin, Le Monde prétendrait quant à lui que les rémunérations des fonctionnaires européens seraient fixées par les traités, négligeant l'existence d'un statut ad hoc voté par le Conseil. Enfin, tout en reprenant l'illustration, Le Salon Beige n'a pas lu notre article consacré aux divorces transfrontaliers, contribuant à diffuser l'erreur commise par Ouest France, qui attribue au traité de Lisbonne, et non à celui d'Amsterdam, l'introduction des coopérations renforcées dans le droit primaire européen.

Peut-être les lecteurs de L'Action Française 2000 sont-ils d'ores et déjà mieux informés que ceux des titres plus diffusés ! 😉

Effet d'annonce en Afghanistan

3 décembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que le Charles de Gaulle apporte son soutien à la Force internationale d'assistance à la sécurité, l'Otan et ses alliés lancent officiellement le processus de transition censé transférer aux Afghans la charge de leur sécurité. L'heure du retrait a-t-elle sonné ?

Le Charles de Gaulle croise actuellement au large du Pakistan, moins d'un mois après avoir quitté Toulon. Jeudi dernier, 25 novembre, son groupe aérien embarqué (GAE) a conduit ses premiers vols en appui de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS ou ISAF) en Afghanistan. Ce faisant, la Marine ne répond pas à des considérations strictement opérationnelles, en vertu desquelles ses appareils seraient vraisemblablement basés à Kandahar, au plus proche des zones d'intervention. Il s'agit plutôt d'entretenir un savoir-faire.

Un Rafale s'abime en mer

Si l'on en croit l'état-major des Armées, ce groupe aérien s''intègrerait parfaitement dans le dispositif allié : « La première mission a été réalisée par un avion de guet aérien Hawkeye qui a opéré pendant cinq heures au-dessus du territoire afghan pour coordonner et contrôler les vols d'une centaine d'aéronefs de la coalition. En coordination avec un Hawkeye américain, l'appareil français a notamment géré les circuits de ravitaillement des avions de combat. [Le] 26 novembre, les avions de combat Rafale  et Super Etendard modernisés (SEM) ont réalisé leurs premières missions d'appui aux troupes engagés au sol (CAS ou close air support ). Les avions ont éclairé l'itinéraire d'une patrouille britannique dans le sud de l'Afghanistan, appuyé une évacuation sanitaire et ont assuré une alerte CAS, prêts à être engagés en cas de combat au sol. En deux jours, les aéronefs du GAE ont réalisé une dizaine de sorties totalisant environ vingt-cins heures de vol. » Deux jours plus tard, hélas, un Rafale s'est abimé en mer après que son pilote se fut éjecté. Un problème de jauge de carburant serait à l'origine de cet accident, selon notre confrère Jean-Dominique Merchet.

Les pilotes français devraient néanmoins continuer de survoler l'Afghanistan, un mois durant, alors que les chefs d'État ou de gouvernement de l'Otan ont annoncé, lors du sommet de Lisbonne des 19 et 20 novembre, que les Alliés entraient « dans une nouvelle phase » de leur mission. En effet, selon la déclaration finale, « le processus de transition, qui verra les Afghans assumer la responsabilité totale de la sécurité et le plein leadership dans certaines provinces et certains districts, devrait commencer début 2011 ». En vérité, le transfert des responsabilités est déjà entamé. Il est même très avancé dans la région capitale. « La montée en puissance de l'ANA [l'Armée nationale afghane] lui permet désormais de participer à 85 % des opérations menées par la FIAS et à toutes les opérations menées en RC-Est où est déployée la Task Force La Fayette », soutient l'état-major des Armées.

« La transition sera soumise au respect de conditions, pas d'un calendrier, et elle n'équivaudra pas à un retrait des troupes de la FIAS », ont tempéré les Alliés. Cependant, ont-ils promis, « à l'horizon fin 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l'ensemble de l'Afghanistan ». « C'est un message très important pour nos compatriotes », a prétendu le chef de l'État. Sans doute l'est-il plus encore pour les électeurs américains... Ne l'oublions pas : quoi qu'on pense de cette guerre, elle se joue, dans une large mesure, devant les opinions occidentales. « Pour des sociétés postmodernes enclines au relativisme et dépourvues du sens de la durée, la guerre d'Afghanistan est une épreuve de vérité », commente Jean-Sylvestre Mongrenier sur le blog de l'Alliance géostratégique (AGS).

« Premier test de ce changement », annoncé par Nicolas Gros-Verheyde : le retrait des troupes canadiennes, en dépit duquel sera maintenue une mission d'instruction forte de 950 hommes. « Cette solution permet de respecter la décision prise en 2008 de retirer les troupes mais ne mécontente pas les alliés de l'Otan », commente notre confrère. « Au passage, comme nous l'expliquent les médias canadiens, cela permet de se passer de l'autorisation du Parlement, la présence en Afghanistan ne relevant plus d'une "mission de combat". » Du moins, officiellement.

Une armée mal préparée

« Une fois intégré par tous, qu'un retrait immédiat est difficilement envisageable, l'envoi de formateurs est vu comme la solution ayant un rapport coût-bénéfice dans le temps le plus sensé », observe Florent de Saint Victor, interrogé par l'AGS. « Et cela, malgré le fait que le rôle des OMLT à la française [operational mentoring and liaison teams, ou équipes de liaison et de tutorat opérationnel] est loin d'être sans risque. Il est possible de voir dans cela une forme d'incohérence, camouflée par la communication stratégique, qui régulièrement fait un effort particulier pour convaincre de l'importance de l'ANA dans la sortie de crise. » Selon cet analyste, « c'est au niveau local que l'action des OMLT se fait le plus ressentir. L'autonomie de l'ANA dépendant largement de l'expérience acquise au contact de la coalition. Les OMLT françaises ne peuvent rougir de leurs résultats. Les unités afghanes mentorées par les Français sont souvent appelées dans les Quick Reaction Force (QRF) de niveau national et ont participé à la dernière grande opération de l'ère McChrystal, l'opération Moshtarak lancée en février 2010. »

Dans ces conditions, la transition annoncée est-elle promise à la réussite ? L'armée afghane semblerait « enfermée dans une manière de faire la guerre (à l'américaine, à l'otanienne) qu'elle ne pourra assumer à terme. On ne s'improvise pas en une dizaine d'années un monstre froid de planification, de normes, de processus. Cet échafaudage construit par la coalition, quoique critiquable, est pourtant incontournable. Décoller progressivement l'ANA de la coalition est le défi du transfert des compétences exécuté district par district. D'ailleurs, et quoique ayant commencé depuis des mois, il ne fait que depuis récemment les gros titres à l'approche du sommet de l'Otan de Lisbonne. C'est d'ailleurs étrange que l'Otan ne communique pas plus sur l'application de ce plan déjà mis en place et qui semble donner, en particulier dans la capitale Kaboul, des résultats probants. » En dépit des effets d'annonce, la France n'est pas encore sortie du bourbier afghan.

Querelle autour du budget européen

3 décembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

L'Union européenne va-t-elle entamer la nouvelle année sans être parvenue à se doter d'un budget ? Soumis au chantage du Parlement européen, trois États lui ont résisté jusqu'à maintenant.

La négociation du budget européen pour 2011 se heurte aux rivalités institutionnelles. Réunis au sein d'un "comité de conciliation", les représentants des gouvernements et du Parlement européen ont échoué à s'accorder dans les délais impartis. Aussi la Commission a-t-elle travaillé « au pas de course » afin de présenter un nouveau projet susceptible d'être adopté d'ici la fin de l'année.

Des exigences politiques

« Extrêmement déçu », José Manuel Barroso a regretté « qu'un petit nombre d'États membres n'ait pas été disposé à négocier dans un esprit européen ». Les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède sont-ils coupables d'avarice ? Disons plutôt que leurs gouvernements se montrent jaloux de leurs  prérogatives. « La discussion ne porte pas sur la question d'avoir davantage d'argent, mais sur la direction que prend l'UE », a expliqué l'Allemand Martin Schulz, chef de file des députés socialistes et démocrates. « Nous n'avons pas demandé un euro de plus par rapport à ce que le Conseil propose », a confirmé le Polonais Jerzy Buzek, président du Parlement européen. En effet, le différend tient aux conditions politiques dont l'assemblée européenne prétend assortir son approbation du budget.

Entré en vigueur il y a tout juste un an ce 1er décembre, le traité de Lisbonne a conforté son contrôle sur les dépenses planifiées chaque année. Lesquelles dépendent toutefois d'un "cadre financier pluri-annuel", ainsi que du montant des ressources affectées à l'UE. Or, le droit primaire européen demeure assez flou quant aux modalités d'implication du Parlement dans leur définition. Aussi les eurodéputés cherchent-ils à tirer le meilleur profit du rééquilibrage institutionnel en cours. De fait, « les négociations sur le budget de l'année prochaine ont échoué à cause de l'ambition de ce Parlement d'obtenir davantage de pouvoirs sur le budget », a résumé la Britannique Marta Andreasen, qui siège dans le groupe Europe libertés démocratie, et se trouve bien isolée dans l'hémicycle.

L'assemblée réclame « un accord sur une procédure et un ordre du jour » qui lui assureront « d'être impliqué[e] dans les discussions sur de nouvelles sources de revenus pour l'UE ». Ce faisant, les députés espèrent diminuer la part des contributions directes des États dans le budget européen – prétexte régulier à des querelles de chiffonniers il est vrai. Le Parlement se défend néanmoins de plaider en faveur d'un "impôt européen" : « La plupart des députés estiment qu'un impôt de l'UE représenterait une perspective complètement irréaliste », a-t-il observé dans un communiqué. « Pour créer cet impôt, non seulement l'unanimité au Conseil serait nécessaire, mais également une adoption dans tous les parlements nationaux, soit une "double unanimité". »

Douzièmes provisoires

Si aucun budget n'est adopté d'ici le 1er janvier, l'Union s'appuiera sur un système autorisant pour chaque chapitre des dépenses mensuelles correspondant au douzième du budget correspondant de l'année précédente. « Ce système ne tient pas compte du fait que les paiements sont plus élevés certains mois de l'année que d'autres », a prévenu le Parlement. Sur proposition formelle de la Commission, le Conseil peut toutefois décider, à la majorité qualifiée, d"autoriser des dépenses excédant le douzième ; le Parlement européen doit alors approuver ou réduire ce montant dans les trente jours.

La mise en œuvre du Service européen pour l'Action extérieure, des nouveaux organes de supervision financière et du projet ITER se trouverait tout particulièrement affectée. « Surtout dans le domaine de l'agriculture, il y aura urgence. Les États membres ont avancé des paiements directs aux agriculteurs pour un montant de 30 milliards d'euros et la Commission européenne doit les indemniser en janvier 2011. » Or, sur la base des douzièmes provisoires, elle ne disposerait que de 6 milliards d'euros. Des chiffres qu'on ne manquera pas de rappeler lors du Conseil européen des 16 et 17 décembre, où les chefs d'État ou de gouvernement des Vingt-Sept se saisiront directement de la question.

Remontrances européennes

3 décembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Aperçu des derniers rappels à l'ordre en provenance de Bruxelles et Luxembourg.

De nouvelles remontrances ont été rendues publiques par Bruxelles le 24 novembre. Les avis motivés et autres poursuites concernant la France portent sur des sujets divers : le maintien des taxes locales sur l'électricité ; le défaut de transposition d'une directive harmonisant les crédits aux consommateurs ; le refus de traiter les demandes d'autorisation de mise sur le marché de deux médicaments vétérinaires ; les entraves au commerce du lait de brebis ou de chèvre établies par crainte de la tremblante.

Tandis que la Lituanie est priée de lever les obstacles à la commercialisation des véhicules avec conduite à droite, la Grèce est mise en cause pour un marché portant sur des équipements militaires (des batteries pour sous-marins). « L'appel d'offre exigeait que 35 % des matériels utilisés pour les batteries soient fabriqués en Grèce », explique la Commission. « Les autorités grecques justifiaient cette exigence particulière par des intérêts en matière de sécurité nationale, ce qui, selon elles, rendrait inapplicables les règles de l'UE en matière de passation de marchés publics. » Toutefois, estime Bruxelles, « les États membres ne peuvent déroger de manière discrétionnaire aux règles générales en matière de marchés publics lorsqu'ils achètent des équipements militaires. De l'avis de la Commission, les autorités grecques enfreignent la réglementation de l'UE en ne fournissant pas d'arguments détaillés et raisonnés pour démontrer que l'application des règles générales de l'UE en matière de passation de marchés publics mettrait en péril les intérêts de la Grèce en ce qui concerne sa sécurité. » Quid de la confidentialité associée traditionnellement aux contrats militaires ?

Désireux de réduire de 3,7 à 1,85 % la hausse des rémunérations des fonctionnaires européens, les gouvernements des Vingt-Sept se sont heurtés aux règles qu'ils avaient eux-même édictées, que viennent de leur rappeler les juges de Luxembourg : « En examinant la fonction de l'annexe XI du statut des fonctionnaires [...] la Cour conclut que [...] le Conseil a pris la décision autonome de se lier, pour la durée de la validité de ladite annexe, dans l'exercice de son pouvoir. » Caricaturale illustration de la "servitude volontaire" consentie par les responsables nationaux afin de se prémunir des infractions de leurs pairs.

Le « crépuscule de l'euro »

1 décembre 2010

La crise des dettes souveraines suscite l'attente d'une "divine surprise". Mais l'enthousiasme des souverainistes appelle selon nous quelques nuances.

Emboîtant le pas a la Revue critique, le Centre royaliste d'Action française ouvre son blog à François Renie, qui annonce le « crépuscule de l'euro ». De fait, la l'éclatement de l'Union économique et monétaire (UEM) n'est plus un tabou. Depuis quelque temps, les analystes se succédant au micro de BFM Radio (devenue BFM Business) évoquent ouvertement cette perspective.

Cela dit, l'auteur a-t-il dressé un tableau fidèle du mécontentement social attisé par la crise et les mesures d'austérité ? Les rues d'Athènes « accueillent toujours les mêmes foules imposantes », affirme-t-il, signalant que « le gouvernement socialiste de M. Papandréou vient de subir un échec aux élections locales ». À l'opposé, Jean Quatremer estime que « les Grecs sont résignés » : « Non seulement les manifestations ne font pas le plein, mais le PASOK, le parti socialiste grec, au pouvoir depuis octobre 2009, vient de remporter haut la main les élections municipales et régionales dont le second tour a eu lieu le 14 novembre. [...] Sur treize régions, huit (dont l'Attique, région la plus peuplée) vont au PASOK qui réussit même l'exploit d'arracher à la droite Athènes et Thessalonique, les deux principales villes du pays. » Certes, l'abstention refléterait la grogne populaire, « mais pas au point de remettre en cause la rigueur ». D'ailleurs, « en Attique, deux candidats (un de droite, un de gauche) ayant mené campagne contre le mémorandum UE-FMI ont été éliminés ». Notre confrère nous aurait-il menti ?

Nous sommes peu enclin à le croire, étant donné le manque de mesure – voire les relatives approximations – dont semble témoigner son détracteur. Selon lui, « la Commission et le directorat européiste de l'Union » auraient annoncé « une prochaine révision des traités européens, dans le sens, naturellement, d'un durcissement des critères de convergence ». Or, le projet de révision, officialisé à l'issue du Conseil européen des 28 et 29 octobre, porte uniquement sur la pérennisation du Fonds européen de stabilisation financière. L'institution d'un "semestre budgétaire", par exemple, s'inscrit dans le cadre du droit primaire existant.

Enfin, bien que l'euro soit plus au moins calqué sur le mark, l'influence de l'Allemagne n'est pas sans limite. Berlin « détient [...] tous les pouvoirs de fait au sein de la BCE », soutient François Renie. Or, Axel A. Weber, le président de la Bundesbank, est entré en conflit ouvert avec Jean-Claude Trichet, après qu'il fut mis en minorité par le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne décidant le rachat de titres obligataires. L'auteur promet encore « une offensive sans précédent de Berlin [...] pour mettre l'ensemble de l'économie européenne sous contrôle », annonçant que la France, « selon son habitude, suivra les injonctions allemandes [sans] broncher ». C'est oublier l'accueil qui fut réservé outre-Rhin au compromis franco-allemand arrêté à Deauville le 18 octobre. « Le gouvernement allemand a spectaculairement échoué dans sa volonté de faire du Pacte de stabilité un nouvel instrument de discipline budgétaire », commentait alors le Financial Times Deutschland. Il est vrai que la stricte automaticité des sanctions a été refusée par Paris. Quant à la suspension des droits de vote au Conseil, elle a été renvoyée aux calendes grecques par le Conseil européen. C'était prévisible et, pour cette raison, le soutien français accordé à cette revendication n'apparaît pas forcément comme un reniement idéologique.

Cela étant, la France est-elle bien inspirée de négocier les marges de manœuvre qui la précipiteront vers la banqueroute ? En pratique, le poids de la dette entrave le pays bien davantage que le carcan juridique européen, qui n'est somme toute qu'un outil dont la pertinence de l'emploi devrait être évaluée en fonction d'objectifs préalablement définis.

PS - Au lieu de cela, on nous propose un vague projet institutionnel, dont l'auteur regrette certes qu'il ne soit pas davantage abouti. Ce serait « une Europe des ingénieurs et des créateurs, des producteurs et des artistes et non plus l'Europe des énarques et des juristes que nous connaissons aujourd'hui ». Comme si l'une était exclusive de l'autre ! Tandis qu'il imagine que l'UE se fonde « sur la chimère d'un "État européen" », l'auteur néglige la multiplicité des coopérations internationales d'ores et déjà mises en œuvre sans l'intervention de Bruxelles. Parmi celles que nous avons croisées récemment figurent la convention Schengen originelle, le Triangle de Weimar, l'Initiative 5 + 5 Défense, Eurogendfor, le Commandement européen de transport aérien (EATC), l'Agence spatiale européenne... Autant de projets échafaudés indépendamment les uns des autres, ce qui rend d'autant plus inconséquentes les incantations en faveur d'une « Europe des nations ».

La France en porte-à-faux

18 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

La défense antimissile balistique sera l'une des principales questions à l'ordre du jour du sommet des chefs d'État ou de gouvernement des pays de l'Otan qui se tiendra à Lisbonne les 19 et 20 novembre.

De retour aux affaires, Alain Juppé renoncera-t-il à plaider en faveur d'un « désarmement nucléaire mondial » ? L'année dernière, il avait lancé un appel en ce sens, y voyant la « seule réponse à la prolifération anarchique ». Sa nomination à l'hôtel de Brienne pourrait faire jaser dans les rangs de l'Alliance atlantique, où Paris s'oppose régulièrement aux détracteurs de la dissuasion. Bien que celle-ci constitue « l'asurance-vie de la nation » aux yeux du président de la République, nos voisins européens – Allemagne, Belgique, Pays-Bas – se débarrasseraient volontiers des missiles tactiques américains stationnés sur leur sol.

Concept stratégique

Cela devrait alimenter les discussions qui se tiendront les 19 et 20 novembre à Lisbonne, où les chefs d'État ou de gouvernement des vingt-huit pays de l'Otan se réuniront pour entériner un nouveau concept stratégique. À cet effet, ils s'appuieront sur les recommandations du "groupe d'experts" présidé par Madeleine Albright, dont nous avions donné un aperçu en juin dernier. Entre autres propositions figurait l'inscription de la défense antimissile « au nombre des missions essentielles de l'Alliance ». Une perspective ardemment soutenue par le Danois Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l'Otan, qui s'estimerait « investi d'une mission quasi évangélique » selon le sénateur Daniel Reiner.

Sa visite en France, le 15 octobre dernier, emporta la conversion de Paris. « Il s'agit d'une inflexion stratégique amorcée par Jacques Chirac en 2006, et prolongée par Nicolas Sarkozy lors du discours de Cherbourg le 21 mars 2008 », souligne le sénateur Josselin de Rohan, auteur d'un rapport d'information déposé le 10 novembre 2010. Unissant sa voix à celle de Londres, Paris précisa sa position le 2 novembre : « Nous soutiendrons à Lisbonne une décision concernant la défense antimissile des territoires, reposant sur le développement du système antimissile de théâtre [...] qui soit financièrement réaliste, cohérente avec le niveau de la menace émanant du Moyen-Orient, et permette un partenariat avec la Russie. »

À cela s'ajoutait cette observation : « La défense antimissile est un complément et non un substitut à la dissuasion. » « Il convient à mon sens de s'opposer à toute logique de substitution, pour des raisons tant intellectuelles - ne pas saper la crédibilité de la dissuasion - que budgétaires », explique Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique. « En effet, si la défense antimissile devait se substituer à la dissuasion, le niveau d'ambition serait tout autre, avec la nécessité d'investissements beaucoup plus importants. La logique de complémentarité permet donc aussi d'assigner des limites financières au développement de la défense antimissile. »

Un projet hors de prix

D'ores et déjà, Jean-Pierre Chevènement juge l'investissement « hors de prix dans le contexte actuel » – d'autant qu'il offre une protection somme toute aléatoire. Mais les conditions financières auxquelles pourrait être assurée une couverture du territoire européen demeurent obscures. Michel Miraillet, directeur en charge des Affaires stratégiques au ministère de la Défense, constate « que les travaux en cours manquent toujours de maturité et que l'analyse globale demandée à Strasbourg-Kehl ne sera pas achevée pour le sommet de Lisbonne. [...] Nous n'avons aucune idée de la nature de l'architecture à terminaison, ni de garantie sur le niveau de contrôle politique qui sera accordé aux Européens dans la préparation et la gestion de la bataille balistique. Les coûts avancés restent très approximatifs et certainement largement sous-évalués. [...] Nous avons le sentiment que la "facturation" a été adaptée par les Américains aux interrogations des Alliés. »

Les considérations militaires ne suffisent pas à expliquer la pression exercée par Washington. « La capacité des grandes puissances à offrir à leurs alliés n'ayant pas la volonté ou la capacité de se lancer dans cette course technologique une défense antimissile balistique "clef en main" est devenue un outil diplomatique au service d'une stratégie d'influence », analyse Josselin de Rohan. « Dans le cas européen », poursuit-il, l'approche « retenue par l'administration Obama, avec de premiers déploiements prévus en 2011, va structurer la relation de sécurité qui nous lie aux États-Unis de façon plus puissante encore que l'approche retenue par la précédente administration. À cet égard, le choix du cadre multilatéral, à travers l'Otan, est un progrès car il préserve un tant soit peu une certaine possibilité de partage de la décision avec les Européens. Tel ne serait plus le cas si, faute d'accord à l'Otan, les États-Unis reprenaient des démarches bilatérales analogues à celles engagées par l'administration Bush. » On reconnaît ici la démarche à l'origine du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan, et, plus généralement, en faveur d'une implication dans les structures multilatérales. Les gaullistes apprécieront !

Un outil de recherche

Pour le sénateur Jacques Gautier « la défense antimissile est avant tout un formidable outil de recherche et technologie ». Mais la France peut déjà s'enorgueillir de quelques compétences sur les différents segments de la défense antimissile balistique. « Voire de certaines capacités », affirme M. de Rohan. « Conformément au Livre blanc, elle développe une capacité d'alerte avancée (satellite d'alerte et radar très longue portée). Elle a mis en service le SAMP/T, doté d'une première capacité de défense de théâtre contre les missiles balistiques "rustiques". La France possède un savoir-faire unique en Europe en matière balistique. À travers son industrie, elle participe à l'élaboration du système de commandement et de contrôle (C2) de l'espace aérien de l'Otan dont la fonction serait élargie à la défense du territoire européen contre les missiles balistiques. »

En conséquence, selon François Auque, P-DG de EADS Astrium notre pays serait « le seul en Europe et peut-être dans le monde à être en situation de parler sur ce sujet aux États-Unis ». Il pourrait apporter ses petites "briques technologiques" au dispositif de l'Otan. Ce faisant, estime Antoine Bouvier, président de MBDA, « nous gagnerions une capacité d'influence sur la conception et le fonctionnement du système, par exemple en matière de règles d'engagement. Cette contribution spécifique constitue à mes yeux la dernière opportunité pour se positionner sur la défense antimissile. »

La question cruciale du commandement

Il convient d'insister, avec Michel Miraillet, « sur la question-clef du système de commandement » : « L'objectif fondamental des États-Unis reste la protection du territoire américain. Comment décidera-t-on si un missile se dirigeant vers les États-Unis doit être intercepté au dessus du territoire européen ou au dessus de l'Atlantique ? La réponse n'est pas nécessairement la même si l'on se place du point de vue américain ou européen. Or le SACEUR [commandant suprême des forces alliées en Europe] est également commandant des forces américaines en Europe et possède une "double casquette". Il apparait en tout cas essentiel que nous pesions de tout notre poids dans l'élaboration des règles d'engagement de l'Otan. » Camille Grand remarque toutefois qu'« il pourrait être de l'intérêt des Américains de laisser une place aux Européens en matière de commandement, au travers de la définition des règles d'engagement, pour mieux les convaincre de soutenir le développement d'un système de défense antimissile ». Affaire à suivre. 

La prise en charge en suspens

18 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

La prise en charge des frais de scolarité des Français de l'étranger menace-t-elle les lycées placés sous la houlette du Quai d'Orsay ?

Constatant leur fragile équilibre budgétaire, beaucoup s'en sont inquiétés. Ce faisant, ils auraient mené « une campagne de dénigrement et de désinformation sans précédent » selon Geneviève Colot, député de l'Essonne, et Sophie Joissains, sénateur des Bouches-du-Rhône, auteurs d'un rapport remis le 3 novembre au président de la République.

L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger regroupe près de cinq cents établissements répartis dans cent trente pays, accueillant plus de 100 000 élèves de toutes nationalités. Moins de la moitié seraient de jeunes Français, dont la prise en charge (PEC) des frais de scolarité figurerait dans les programmes présidentiels depuis 1981. Nicolas Sarkozy se targuera-t-il à nouveau de tenir, outre ses propres promesses, celles de ses prédécesseurs ? De fait, leur mise en œuvre est entamée : débutée il y a trois ans, la prise en charge concerne aujourd'hui l'ensemble du second cycle.

« La presse nationale s'est fait largement l'écho des craintes de voir la PEC provoquer un tel afflux de jeunes Français que les élèves étrangers seraient rejetés », rappellent les rapporteurs. Or, les faits auraient contredit ce pronostic : « Non seulement l'équilibre demeure, mais dans le second cycle, concerné par la PEC le pourcentage des Français a même légèrement baissé. »

Le retrait des entreprises ne serait pas vérifié

Un autre crainte portait sur le désengagement des entreprises. Mais « cet effet pervers supposé ne s'est pas vérifié », affirment encore les parlementaires. « Il n'y a que les entrepreneurs individuels qui pour l'heure se retirent, ce qui est dans la logique de la mesure et concrètement un des objectifs visés par le président de la République. Parmi les grosses sociétés seules cinq sur deux cents se sont retirées sur instructions du siège. Le cercle Magellan, qui regroupe les investisseurs à l'étranger [...] fait remarquer que la politique salariale des grosses entreprises est globale pour l'ensemble des salariés ; ceux-ci étant de nationalités diverses, il est difficilement imaginable qu'elles la modifient spécifiquement pour les français. C'est un des arguments essentiels d'une politique de management attractive. »

Saluant « une mesure appréciée et attendue des familles », Geneviève Colot et Sophie Joissains mettent toutefois en garde contre « le dérapage des bourses », dont il conviendrait de réviser les critères d'attribution. Pour parer aux "effets d'aubaine" observés dans certains établissements, elles proposent également de cantonner la prise en charge aux montant des frais de 2007-2008. Comprenant les exigences budgétaires, les parents d'élèves auditionnés ne seraient pas hostiles au principe du plafonnement par établissement. « Ce système qu'il est nécessaire d'actualiser chaque année par un taux d'inflation de 3 %, est en fin de compte relativement proche de celui appliqué à l'enseignement privé sous contrat tel que nous le connaissons en France », expliquent les rapporteurs. Lesquels préconisent de limiter temporairement la prise en charge aux classes de lycée. Une idée chère aux détracteurs qu'ils ont vilipendés en versant dans une polémique déplacée.

Feu sur la Halde !

18 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Examinant le projet de loi de finances pour 2011, les députés expriment quelque réticence à augmenter le budget de la Halde, dont la crise rend les exigences particulièrement déplacées.

Le député UMP Richard Mallié fait-il « une fixation sur la Halde » ? Son collègue René Dosière l'en a accusé le 8 novembre, lors d'un débat en commission à l'Assemblée nationale, observant toutefois qu'il n'était pas le seul. En fait, l'institution semble cristalliser la méfiance des parlementaires à l'égard des autorités administratives.

Un train de vie jugé exceptionnel

Après avoir obtenu, l'année dernière, une augmentation de son budget de 6,3 %, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité réclame, pour 2011, une rallonge supérieure à 3 %. Dépassant alors les 13 millions d'euros, ses moyens seraient supérieurs à ceux du médiateur de la République. Selon le gouvernement, ces nouvelles ressources seraient affectées au recrutement de deux agents de catégorie A censés traiter les dossiers de réclamation, et à la mise en place progressive d'un réseau de correspondants territoriaux.

Cette perspective apparaît « déplacée » aux yeux de M. Mallié, signataire, avec quatre-vingts collègues, d'une proposition d'amendement au projet de loi de finances (PLF). « Alors que le PLF pour 2011 s'inscrit dans un contexte budgétaire difficile, le train de vie de la Halde est toujours aussi exceptionnel », a-t-il dénoncé. « Le pré-rapport de la Cour des comptes est sans appel : les marchés publics sont à la limite de la légalité, les dépenses en communication sont exorbitantes – 6,2 millions d'euros entre 2005 et 2009 – et le loyer annuel [...] s'élève à plus de 1,8 million, soit 800 euros le mètre carré, contre 300 euros dans une rue voisine. » Cela en raison, notamment, « d'un hall luxueux qui n'a aucune utilité » selon  René Dosière.

Des dossiers rejetés en masse

L'argent est-il jeté par les fenêtres ? Richard Mallié l'a suggéré en soulignant « que 75 % des dossiers déposés auprès de la Halde en 2009 ont été rejetés et que seuls 3,6 % des plaintes ont abouti ». On en déduit le "chiffre du jour" publié le 13 novembre sur le blog du Centre royaliste d'Action française : « 31 580 euros par plainte ! Un budget de 12 millions d'euros pour 380 "discriminations" reconnues : un rapport qualité-prix défiant toute concurrence ! »

Cela dit, « nous n'avons rien contre l'action de cet organisme », a prévenu Richard Mallié. Plus radicale, Véronique Besse, député de la Vendée, a déposé une proposition de loi visant à supprimer une institution jugée coûteuse et inutile, sinon perverse.

Débat entre cigales et fourmis

5 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Afin de pérenniser le fonds européen de stabilisation financière bricolé dans l'urgence – le "FMI européen" –, les Vingt-Sept sont convenus d'un accord dont les ambiguïtés reflètent les divergences franco-allemandes.

Moins d'un an après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les chefs d'État ou de gouvernement des vingt-sept pays de l'UE sont convenus, à l'issue de leur réunion des 28 et 29 octobre, d'une nouvelle révision du droit primaire européen. Il s'agira d'une « révision light », selon l'expression du président de la République, censée pérenniser le fonds européen de stabilisation financière. Mis en place dans l'urgence pour répondre à la crise de la dette souveraine, celui-ci se heurterait vraisemblablement au juge constitutionnel allemand s'il était maintenu, au-delà de 2013, en l'état des traités, vis-à-vis desquels il s'est autorisé quelques accommodements.

Diktat franco-allemand

L'affaire semblait pliée dès la semaine précédente. Du moins Nicolas Sarkozy et Angela Merkel l'avaient-ils laissé entendre en exposant leur position commune arrêtée le 18 octobre, suscitant la colère de Viviane Reding. « Les décisions de l'Union européenne ne sont pas prises à Deauville », a-t-elle protesté. Dans un entretien accordé au quotidien allemand Die Welt, elle a jugé « complètement irresponsable de mettre sur la table des chimères à propos de nouveaux traités » (Euractiv, 28/10/2010). Le risque est grand d'ouvrir la boîte de Pandore. Or, le processus de ratification sera d'autant plus hasardeux que la réforme sera substantielle : le spectre d'un nouveau référendum irlandais hante les arcanes européennes.

Le chef de l'État a balayé les commentaires du commissaire luxembourgeois. « Je ne la connais pas personnellement et je n'attache pas plus d'importance à ce qui a été dit », a-t-il lancé à un journaliste qui l'interpellait à ce sujet. « En revanche, a-t-il poursuivi, j'attache beaucoup d'importance à la décision unanime du Conseil européen. Cela a un autre poids. » Du moins, à ses yeux. Derrière les anathèmes se dessinent, encore une fois, des rivalités institutionnelles. Les chefs d'État ou de gouvernement ont confié à "leur" président, celui du Conseil européen, Herman Van Rompuy, la tâche de mener les consultations préalables à la révision des traités. Dans un entretien accordé au Monde, Jean-Luc Sauron a souligné « une dépossession de la Commission sur ce volet-là ». Cela confirmerait un rééquilibrage de la mécanique européenne au profit des rouages intergouvernementaux si, parallèlement, le Parlement européen ne poursuivait pas sa montée en puissance.

La quadrature du cercle

Une fois n'est pas coutume, l'assemblée devrait se satisfaire d'une procédure de révision accélérée, à laquelle elle se contentera d'acquiescer. On imagine mal les eurodéputés, adeptes des postures morales, freiner l'institution d'un mécanisme symbolisant la solidarité européenne. Cela dit, les considérations nationales sont toujours de mise, au point de se mêler dans un compromis plein d'ambiguïtés.

Paris prétend dissiper la méfiance des investisseurs à l'égard des obligations émises dans la zone euro... avec le risque de contribuer à l'entretien du laxisme budgétaire honni par Berlin. Aussi le Conseil européen a-t-il souligné, dans ses conclusions, « la très stricte conditionnalité à laquelle doit être subordonnée l'action menée dans le cadre de ce type d'instrument ». Concrètement, les États bénéficiant de son soutien pourraient être conduits à restructurer leur dette, aux dépens de leurs créanciers. Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, se serait vigoureusement opposé à cette annonce, craignant de déclencher la panique sur les marchés financiers. Esquissant une solution à la quadrature du cercle, il appelait à des sanctions plus fermes à l'encontre des États manquant à leurs obligations budgétaires. C'était oublier le fossé séparant les cultures politiques de part et d'autre du Rhin...

Les droits de vote maintenus au Conseil

Finalement, le duo franco-allemand a convaincu ses partenaires d'adopter des sanctions "semi-automatiques". Sanctions financières, mais non politiques, le projet de suspendre le droit de vote des États défaillants étant rangé dans un tiroir. « Le président du Conseil européen entend examiner par la suite, en consultation avec les États membres, la question du droit des membres de la zone euro de participer à la prise de décisions [...] en cas de menace permanente pour la stabilité de la zone euro dans son ensemble », stipulent les conclusions du sommet. « Les oppositions à cette idée ont été virulentes, voire très virulentes », aurait déclaré Jean-Claude Juncker (Euractiv, 29/10/2010). Étant donné la complexité juridique de sa mise en œuvre, on se demande si Berlin ne l'a pas agitée, avec le soutien de Paris, dans l'espoir d'obtenir la satisfaction d'autres exigences (une hypothèse formulée notamment par l'Irish Times). Ce projet reviendra-t-il sur la table ? Les paris sont ouverts.