Soft power : le droit à l'export

17 décembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

La première réunion d'un "comité de pilotage sur la stratégie d'influence par le droit" s'est tenue le 3 décembre 2014.

Avocats, notaires, experts comptables et autres juristes seront bientôt conviés à s'y associer, a annoncé le Quai d'Orsay. Dans un avis adopté en septembre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait appelé à mieux coordonner les acteurs concernés. Selon son rapporteur, David Gordon-Krief, « l'enjeu pour la France est de mettre en avant les atouts de l'adoption de notre système de droit continental sur différents segments » : partenariats publics-privés, propriété, protection des données personnelles... À cet égard, précise-t-il, « le CESE juge essentiel d'accorder une meilleure place à l'assistance juridique dans les programmes d'aides au développement ». À titre d'exemple, déplore-t-il, « le nombre d'experts juridiques français mobilisés au plan international est passé de 2 463 en 2001 à 574 en 2014 ».

Paradoxe français

Schématiquement, explique-t-il, « la jurisprudence est la source naturelle du droit dans les systèmes issus de la Common Law [...], alors qu'elle est, du moins d'un point de vue conceptuel, une source "secondaire" du système continental ». Sécurité, fiabilité et prévisibilité caractériseraient le droit continental. Cela étant, bien qu'il s'inscrive dans cette tradition, le droit français ne serait « pas exempt de défauts », au point qu'il serait « devenu moins stable que celui des pays de la Common Law » – un paradoxe. La compétitivité de l'économie nationale s'en trouve dégradée, à l'heure où « certains justiciables, singulièrement les firmes multinationales, sont [...] en situation de choisir le régime juridique qui gouvernera leur activité ».

En outre, soutient le CESE, « au travers de la diffusion d'éléments de son corpus juridique, la France porte un certain nombre de valeurs et au-delà une certaine vision du monde et de la globalisation ». De fait, le "colbertisme" et ses velléités régulatrices s'accommodent mieux du droit continental. Mais si les libéraux s'en méfient, tous ne le condamnent pas : « un droit codifié ne favorise pas nécessairement l'intervention de l'État&;nsbp», écrit ainsi Philippe Fabry sur Contrepoints ; selon lui, « dans la France d'Ancien Régime, ce fut même le contraire ».

Travail dominical : pour en finir avec les inepties

10 décembre 2014

Entre autres dispositions, le projet de loi « pour la croissance et l'activité », présenté aujourd'hui, mercredi 10 décembre 2014, en conseil des ministres, prévoit d'assouplir les règles restreignant le travail dominical. Au grand dam des conservateurs, dont tous les arguments ne sont pas recevables – c'est le moins que l'on puisse dire !

Pourquoi nos compatriotes désargentés se risqueraient-ils à faire le dimanche des achats qu'ils ne pourraient pas s'autoriser les autres jours, se demandent-ils naïvement. Esquissons un raisonnement par l'absurde : si cette question était pertinente, les distributeurs n'auraient-ils pas intérêt à ce que leurs magasins soient ouverts chaque semaine non pas un jour de plus, mais un jour de moins ? À chiffre d'affaires équivalent, cela réduirait leurs frais, au bénéfice de leurs marges ! Manifestement, telle n'est pas leur revendication. Pourquoi n'en est-il pas ainsi ? Tout simplement parce que l'économie n'est pas un jeu à somme nulle.

Les travailleurs du dimanche bénéficient d'une rémunération inévitablement réinjectée dans le circuit économique, que ce soit par la consommation ou l'épargne. Et si leur employeur consent à les rétribuer, c'est, précisément, parce qu'ils participent à une "création de richesse" – en l'occurrence, la mise à disposition de produits ou services. De quoi susciter une hypothétique inflation, mais aussi ouvrir la voie à de nouvelles stratégies de consommation : certains ménages optimiseront leurs achats, feront des économies ici pour dépenser davantage ailleurs...

Cela au détriment de leur vie familiale ? Peut-être, mais pas forcément. À vrai dire, l'inverse est tout à fait envisageable : les heures de travail étant réparties sur une plage élargie, il n'est pas impossible que la prise en compte des attentes des uns et des autres s'en trouve facilitée. Concrètement, peut-être deux conjoints auront-ils d'autant plus de chances de bénéficier d'un jour de repos commun, quand l'un d'entre eux travaille déjà dans la restauration, par exemple (nous l'avons observé dans notre entourage) ; et peut-être une mère de famille abandonnera-t-elle volontiers ses enfants quelques heures chaque week-end, si cela lui permet de les embrasser chaque soir avant qu'ils ne s'endorment, ou, mieux encore, d'aller les chercher tous les jours à la l'école...

Il y a comme un déni du réel dans l'affirmation que le travail dominical saperait nécessairement la vie des familles. Ainsi qu'une certaine forme d'intolérance, les uns voulant imposer aux autres le partage de leurs propres habitudes. Mais peut-être effleure-t-on ici le principal enjeu du débat : y aurait-il un quelconque intérêt à ce que non pas tous les membres d'une même famille, mais la plupart des citoyens d'une nation tout entière, partagent un jour de repos commun ? Nous serions curieux d'entendre les arguments avancés en faveur de cette thèse, sans cacher que notre attachement croissant aux libertés rend leur sacrifice de plus en plus difficilement justifiable à nos yeux.

NB – Un argumentaire à lire en faveur du travail dominical – fût-ce pour le récuser intelligemment, ce qui ne nous a pas encore été donné à voir (mais peut-être n'avons-nous pas suffisamment cherché, trompé par les "mauvais amis" du repos dominical).

Quand Marine Le Pen se prend pour Jack Bauer

10 décembre 2014

Selon la présidente du FN, la police devrait prendre exemple sur les héros des séries télévisées américaines. Cela promet...

L'affaire a déjà fait grand bruit. L'usage de la torture est-il « excusable » dans certaines circonstances ? Interrogée ce matin, mercredi 10 décembre 2014, par Jean-Jacques Bourdin, sur le plateau de BFM TV, Marine Le Pen a répondu sans ambiguïté : « il peut y avoir des cas », a-t-elle déclaré, « quand une bombe – tic, tac ; tic, tac ; tic, tac – doit exploser dans une heure ou dans deux heures, et accessoirement peut faire deux cents ou trois cents victimes civiles, où il est utile de faire parler la personne pour savoir où est la bombe », et cela « avec les moyens qu'on peut » – autrement dit, sous la torture si nécessaire.

Ce faisant, Marine Le Pen ne se contente pas de transgresse un tabou éthique. De sa part, d'ailleurs, cela n'est qu'à moitié surprenant : ne marche-t-elle pas dans les pas de son père ? D'un point de vue politique, peut-être y a-t-il plus grave. En effet, le scénario invoqué par la présidente du FN s'inspire directement des fictions produites outre-Atlantiques, à commencer par 24 heures chrono, dont le héros damné est appelé à mettre la morale au placard pour déjouer un attentat imminent. C'est un comble : Marine Le Pen a beau relayer servilement la propagande de Moscou, son esprit n'en est pas moins perverti par le soft power américain !

Or, tout cela, c'est à la télévision. Dans la "vraie vie", nous doutons qu'aucun agent de la DGSI n'ait jamais été confronté à pareil scénario. Et si certains l'avaient été, sans doute ne se seraient-ils pas mépris quant à la portée de leur action : couper les doigts d'un suspect contribuerait sans doute à le faire parler, mais vraisemblablement pour lui faire dire n'importe quoi.

En vérité, Jack Bauer n'existe pas, et c'est tant mieux comme ça. On s'étonnera néanmoins qu'un personnage prétendant présider aux destinées de l'État puisse s'imaginer le contraire. Selon son père, Marine Le Pen serait pourtant « du gabarit de Mme Merkel ou de Mme Thatcher ». Au moins le Menhir n-a-t-il pas perdu son humour.

Mise à jour – Un collaborateur du Huffington Post a publié un billet du même genre que le nôtre. Nous avions pourtant vérifié que rien n'avait été fait avant de poster !

B Gata H Kei : heureuse découverte !

3 décembre 2014

Une fois n'est pas coutume, nous nous risquons à faire la promotion d'une série animée. Cela nous change des considérations trop terre à terre sur la politique, l'économie et la défense !

Le titre s'avère intraduisible, aussi comprenons-nous le choix des éditeurs, lesquels y ont renoncé en France comme aux États-Unis. Littéralement, "B Gata H kei" signifierait "Type B Style H" – autrement dit, "blondasse obsédée" ? Plus ou moins, quoique le synopsis ne donne qu'un aperçu assez réducteur de la série, et que le "fan service" (les petites culottes et autres images coquines) y soit distillé à doses modérées.

Alors qu'elle entre au lycée avec le projet de collectionner au plus vite une centaine d'amants, Yamada tarde à conclure avec le tout premier. Elle jète son dévolu sur un camarade de classe, le timide Kosuda, déstabilisé par ses assauts indélicats et sa relative versatilité. De fait, le tempérament licencieux de l'héroïne dissimule à peine sa sensibilité, sa détermination étant indissociable d'une incomparable ingénuité (dont la VO rend vraisemblablement beaucoup mieux compte que le doublage français, auquel nous ne nous sommes pas frotté). À vrai dire, cette gamine se révèle terriblement touchante – on en tomberait presque amoureux !

Aussi avons-nous découvert avec un réel plaisir les douze épisodes de cette anime, adapté d'un manga qui semble encore inédit en France : c'est drôle, léger, pas forcément inoubliable, mais plein de fraîcheur !

Terminons par une parenthèse plus sérieuse (on ne se refait pas) : alors que l'action se déroule souvent au lycée, le seul élément touchant explicitement au contenu des cours porte sur l'histoire de France, et plus précisément sur Henri IV, dont les élèves apprennent qu'il fut le premier Bourbon ; quant au déclin démographique de l'Archipel, l'inénarrable Yamada envisage d'y remédier par une proposition pour le moins iconoclaste, dont on ne comprend toutefois la teneur qu'en sachant quel statut occupe la honte dans la culture japonaise...

L'Europe, un chemin vers l'espace ?

3 décembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Chef de file de "l'Europe spatiale", la France a su jouer la carte multilatérale au bénéfice du lanceur Ariane, dont la sixième génération vient d'être mise en chantier.

Enthousiasmé par la « merveilleuse aventure » de la sonde Rosetta, notre confrère Bruno Dive s'est demandé dans Sud Ouest « quelle meilleure réponse » pouvait être apportée « à tous les professionnels de l'euroscepticisme ». C'est oublier que ceux-ci dirigent leurs attaques surtout contre Bruxelles, qui ne dispose explicitement d'une compétence en matière spatiale que depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. De fait, à l'exception notable de Galileo (l'alternative européenne au GPS américain), les programmes spatiaux menés à l'échelle du Vieux-Continent le sont sous l'égide non pas de l'Union européenne (UE), mais de l'Agence spatiale européenne (ESA), qui s'en distingue par son caractère intergouvernemental. « Jusqu'à présent », souligne Guilhem Penent, dans un ouvrage consacré à l'Europe spatiale (1), celle-ci « a toujours été considérée comme le moyen de concrétiser une ambition nationale » ;  ni l'ESA, ni les États membres ne s'en sont jamais cachés » : « le mode de financement, la pratique du "juste retour" géographique, la structure même de l'organisation, sont d'ailleurs suffisamment explicites pour rendre inutile et déplacée une telle pudeur ».

Un pari gagnant

Cela étant, peut-être Paris verrait-il d'un bon œil l'intégration de l'ESA à l'UE. Ce faisant, sans doute espérerait-il tirer à lui la couverture du budget communautaire, au bénéfice de ses propres investissements : « avec 30 euros par an et par habitant dédiés au spatial civil », rappelle Guilhem Penent, « la France a dans ce secteur le deuxième budget au monde, derrière les États-Unis (46 euros), mais devant l'Allemagne (16 euros) et le Royaume-Uni (6 euros) ». Quoi qu'il en soit, sous une forme ou sous une autre, l'Europe demeurera le cadre structurant (mais non exclusif, comme en témoigne, par exemple, la coopération avec l'Inde) de la politique spatiale de la France, étant entendu que « le coût et la complexité inhérents à la technique spatiale sont tels qu'aucune nation européenne ne saurait développer une capacité spatiale autonome et compétitive sur ses fonds propres ». Dans le cas présent, la carte européenne nous apparaît d'autant plus pertinente que Paris est parvenu à la jouer tout en assurant la maîtrise d'œuvre du programme Ariane, dont « la percée [...] sur le marché mondial des lancements est très certainement le signe extérieur de réussite le plus spectaculaire de l'Europe spatiale ».

La menace SpaceX

Fiabilité, disponibilité et adaptabilité ont garanti, jusqu'à présent, le succès commercial du lanceur européen. Mais qu'en sera-t-il demain ? Ariane ne se prête plus très bien à la mise en orbite des satellites institutionnels, devenus trop légers pour rentabiliser l'emploi d'un lanceur aussi puissant. Quant aux satellites commerciaux, leur poids diminue à mesure qu'ils adoptent une propulsion électrique. Parallèlement, la concurrence s'intensifie. Ses assauts les plus virulents émanent d'un nouveau venu, SpaceX. Créée en 2002 par l'entrepreneur américain Elon Musk, par ailleurs cofondateur de Paypal et Tesla Motors, cette société développe un lanceur dont le premier étage devrait être réutilisé d'un tir à l'autre dès l'année prochaine – une première ! Aussi les clients d'Arianespace pressent-ils Paris et ses partenaires de se mettre à la page. Eutelsat s'est d'ores et déjà porté candidat pour prendre part au premier lancement d'Ariane 6, dont l'avenir a été tracé mardi dernier, 2 décembre, à l'issue de la conférence ministérielle des États membres de l'ESA. « Alors qu'Ariane 5 a été conçue pour être un moteur de développement pour l'Europe spatiale [...], Ariane 6, envisagée pour 2021-2022, vise au contraire à minimiser les coûts de développement, la durée de  développement, et les coûts d'exploitation », explique Guilhem Penent. Cependant, Paris doit compter avec les réticences de Berlin, qui privilégie le développement d'Ariane 5 ME (midlife evolution), une version modernisée du lanceur actuel.

Frilosité allemande

Il est vrai que la négociation semblait mal engagée : la France « se contente de poursuivre sur sa lancée en proposant plus ou moins unilatéralement une nouvelle version du lanceur Ariane », déplore Guilhem Penent : « de fait la configuration Ariane 6 de type PPH, deux étages à poudre et un étage à hydrogène et oxygène liquides, a été retenue sans que le reste des Européens apparaissent véritablement sollicités ». Selon notre confrère Alain Ruello, « les doutes de Berlin ne sont pas illégitimes ». « Avec un premier tir prévu en 2020 », souligne-t-il dans Les Échos, « le projet Ariane 6 tel qu'il se dessine revient à tirer un trait sur Ariane 5 ME [...] car les budgets ne permettent pas de tout faire dans un laps de temps aussi rapproché. Mais l'histoire des grands projets montre qu'ils sont souvent sujets à retard, et donc à surcoûts. »

Cela dit, « si l'Allemagne soutient contre vents et marées un tel programme », remarque Guilhem Penent, dans une note publiée par l'Ifri (Institut français des relations internationales) (2), « c'est non seulement parce qu'il lui paraît le meilleur scénario face à la concurrence américaine, mais c'est aussi parce que ce lanceur est le plus favorable à son industrie ». À cela s'ajoutent des divergences plus fondamentales. En effet, « l'Allemagne n'a [...] jamais caché qu'elle n'accordait pas la même importance à l'objectif d'autonomie ». Berlin a même souscrit aux services de SpaceX pour lancer ses satellites d'observation radar – une  trahison ! Autrement dit, « alors que l'Allemagne privilégie les aspects technologiques et industriels, la France propose une approche à la fois plus globale [...] et plus politique du spatial ». Sans doute cela explique-t-il également son immixtion, encore trop timide cependant, dans l'analyse autonome des menaces pesant sur les satellites en orbite, devenues critiques avec la multiplication des débris spatiaux. « Fait remarquable, la première collision jamais répertoriée a d'ailleurs affecté un satellite militaire français », rappelle Guilhem Penent. C'était en 1986. Preuve que la France fait toujours figure de pionnier, fût-ce à son corps défendant !

1 – Guilhem Penent, L'Europe spatiale, le déclin ou le sursaut, Argos, 190 pages, 15 euros.

2 – Guilhem Penent, Ariane 6 – Les Défis de l'accès à l'espace en Europe, Actuelles de l'Ifri, novembre 2014.

La francophonie, un projet "mondialiste" ?

19 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Chantre de la mondialisation, Jacques Attali n'en est pas moins un promoteur de la francophonie. Certaines de ses mises en garde méritent notre attention, afin que la France utilise au mieux ses atouts.

Lors du sommet de Dakar (29 et 30 novembre 2014) devrait être présentée une "stratégie économique pour la Francophonie". S'agira-t-il d'un premier pas vers la création d'une "Union économique francophone" ? Tel est l'espoir de Jacques Attali, revendiqué en conclusion d'un rapport remis fin août au chef de l'État. « Le potentiel économique de la francophonie est énorme et insuffisamment exploité par la France », martèle l'ancien conseiller du président Mitterrand.

« L'ensemble des pays francophones et francophiles représentent 16 % du PIB mondial », souligne-t-il, « avec un taux de croissance moyen de 7 %, et près de 14 % des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques ». Naturellement, « le partage par les populations de plusieurs pays d'une même langue augmente leurs échanges » – de 65 % environ, nous précise-t-il. Est-il bien raisonnable de chiffrer pareil phénomène ? Quoi qu'il en soit, s'inquiète Jacques Attali, « des circuits économiques sont en train de se créer dans les pays francophiles et francophones sans la France » : « c'est le cas le secteur minier notamment (Canadiens en Afrique), ou dans l'éducation supérieure (Québec) ». De fait, Paris serait tenté « par un repli sur sa sphère nationale », que traduirait « la baisse significative » de sa contribution au budget de l'OIF, réduite d'un quart depuis 2010. C'est un calcul de court terme, dénonce le rapporteur. Dans l'ensemble des pays d'Afrique, prévient-il par ailleurs, « le déséquilibre entre le nombre d'enfants à scolariser et le nombre d'enseignants va s'accroître dans les prochaines années ». C'est pourquoi, « faute d'un effort majeur, on pourrait assister [...] à un recul de l'espace francophilophone ».

Le français dans l'entreprise

Dans les entreprises se ressentirait « un certain manque de "patriotisme linguistique" ». À tel point que « certaines compagnies françaises installées en Asie du Sud-Est paradoxalement détournent les étudiants de ces pays de l'apprentissage du français en exigeant la connaissance de l'anglais à l'embauche ». Pourtant, « la culture d'une entreprise mondiale d'origine française est plus facile à appréhender pour le personnel local lorsqu'il maîtrise le français ». Renault l'aurait constaté dans la foulée de sa fusion avec Nissan : « L'usage généralisé de l'anglais comme langue de l'alliance avec le groupe japonais s'est avéré être un handicap et a été à l'origine d'un rendement réduit de part et d'autre. Renault a depuis choisi de donner des bourses à des Japonais pour étudier le français en France. » Quant à l'usage accru de l'anglais dans l'Hexagone, « cela aurait des conséquences économiques négatives », estime Jacques Attali ; selon lui, « l'usage d'une langue étrangère au travail crée [...] un déficit de productivité et de cohésion sociale ».

Alors que des entreprises françaises « choisissent de contracter entre elles en anglais selon des modèles de contrats anglo-saxons », les cabinets d'avocats français, « malgré leur expertise reconnue », seraient « très peu implantés à l'étranger en comparaison avec les cabinets anglo-américains », dont l'influence est telle qu'ils « structurent l'imagination des financiers ». Le droit continental s'en trouve affaibli, ce dont pourrait pâtir le développement de l'Afrique. Le droit anglo-saxon « étant jurisprudentiel », explique Jacques Attali, « son bon fonctionnement requiert l'existence d'une justice efficace et d'une jurisprudence abondante, permettant aux avocats d'assurer une certaine sécurité juridique aux entreprises ». Or, « en l'absence de tels pré-requis, l'insécurité juridique pourrait désinviter les entreprises à investir dans ces pays ».

Les frontières périmées ?

Afin d'accroître ces investissements, Jacques Attali propose, sans surprise, de « favoriser la mobilité » des travailleurs. « Le nombre d'expatriés français est plus faible que le nombre d'expatriés britanniques ou allemands », regrette-t-il : « respectivement 2,5 millions, 3 millions et 4 millions ». Quant à l'immigration professionnelle, elle est jugée « peu développée en France ». Indifférent aux pressions de l'opinion, Jacques Attali vante même les mérites des délocalisations. Selon lui, « l'externalisation d'une partie de la chaîne de valeur française dans les pays du sud de la Méditerranée pourrait être bénéfique, aussi bien aux entreprises françaises qu'aux pays d'accueil ». En effet, « cette stratégie permettrait aux entreprises françaises [...] d'améliorer leur compétitivité, et répondrait aux forts besoins en croissance et en emplois des économies nord-africaines ». Les implantations au Maroc de Renault, Sanofi-Aventis et Accor seraient autant de réussites illustrant le « caractère potentiellement gagnant-gagnant » des « colocalisations ».

Dans son esprit, donc, la francophonie n'est pas une alternative à la mondialisation. Au contraire. De son point de vue, « la tendance de fond de l'économie mondiale est de périmer l'idée d'espaces économiques construits autour de frontières étatiques et de repenser les espaces d'échanges et de coopération autour de communautés d'autres natures ». Quoique celles-ci demeurent promues au bénéfice des États : « le Brésil se sert notamment de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) pour favoriser son implantation dans des pays lusophones comme l'Angola ou le Mozambique ainsi que sa pénétration de ces marchés », observe Jacques Attali. Puisse la France en faire autant !

Le "genre" vu par ses promoteurs

19 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Qu'est-ce que le genre ? Pourquoi cette notion fait-elle débat ?

Telles sont les questions auxquelles prétend répondre ce livre d'une centaine de pages. Dans l'esprit de ses auteurs, il s'agit de remettre quelques pendules à l'heure : « il est faux de laisser penser qu'il existerait une théorie du genre » – autrement dit, « un corpus idéologique homogène » –, explique Laure Berreni. Les "études de genre" n'en sont pas moins inspirées par la conviction qu'il existerait « un rapport de domination socialement construit des hommes sur les femmes ». Manifestement, ces recherches se prêtent aux hypothèses les plus hardies : « ce qui est particulièrement frappant », dans les manuels controversés de SVT (sciences de la vie et de la terre), remarque Laure Berreni, « c'est que la naturalité de la dichotomie mâle-femelle n'est pas ébranlée » ; quant à l'approche des masculinités de Connell, rapporte Mathieu Trachman, elle soulignerait « le caractère frictionnel d'une théorie qui partage l'humanité entre deux groupes de sexe différent ».

Évoquant son caractère historiquement militant, Laure Berreni soutient que «  la recherche "féministe" n'est [...] pas moins objective que la recherche mainstream », d'autant qu'« elle explicite ses présupposés politiques au lieu de les masquer ». « En dénaturalisant la différence des sexes », renchérit Éric Fassin, le "genre" serait « désormais un outil scientifique, en même temps qu'une arme politique, au service de la critique des normes ». Selon lui, « il s'agit bien de savoir si cet ordre est fondé, une fois pour toutes, par un principe transcendant ». « Tel est in fine l'enjeu », conclut-il : « l'extension de la logique démocratique au domaine sexuel ». Cette perspective est-elle censée nous rassurer ? Selon Maurras, rappelons-le, « la démocratie c'est le mal, la démocratie c'est la mort ».

Sous la direction de Laure Bereni et Mathieu Trachman, Le Genre – Théories et controverses, Presses universitaires de France, 112 pages, 8,50 euros.

Genre : en route vers la dictature ?

11 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Un énième rapport « relatif à la lutte contre les stéréotypes » a été remis au gouvernement.

S'exprimant au nom du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH), ses auteurs promeuvent « la budgétisation sensible à l'égalité femmes-hommes, et en particulier le mécanisme d'"éga-conditionnalité" des financements publics », en vertu duquel ceux-ci seraient subordonnés « au respect de l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les stéréotypes de sexe ».

« Les biens et services publics financés doivent bénéficier de manière égale aux femmes et aux hommes », soutiennent les rapporteurs, qui donnent en exemple la ville de Toulouse, dont la municipalité « s'est donné pour objectif d'opérer un rééquilibrage de l'attribution des subventions en faveur des associations sportives de femmes ». Selon eux, une telle démarche devrait inspirer l'ensemble des politiques publiques. Naturellement, la priorité est donnée à l'École : « à court terme », les collectivités locales finançant l'achat de manuels scolaires devraient veiller à ce que ceux-ci assurent, entre autres, « la valorisation des femmes dans l'histoire des savoirs ». L'enjeu serait « de faire coexister un moyen terme entre le respect du principe constitutionnel de la liberté d'expression [...] et le principe constitutionnel du respect de la dignité de la personne humaine ». Vraisemblablement aux dépens du premier de ces principes. « Hormis le début de caractérisation du sexisme ordinaire en droit du travail », déplorent les rapporteurs, « les propos, "blagues", ou comportements sexistes, ne sont pas visés en tant que tels par le droit ».

« La budgétisation sensible à l'égalité femmes-hommes ne constitue en aucune manière une remise en question de l'universalisme républicain », se défendent-ils. De leur point de vue, « tant que l'égalité n'est pas atteinte, et que les réalités des femmes et des hommes sont différentes et inégalitaires, alors les politiques publiques ne peuvent être neutres ». Quant aux inquiétudes soulevées par la poursuite d'une pareille utopie, elles sont balayées avec mépris : la hantise « de l'indifférenciation des sexes et du risque du déséquilibre psychique et social » ne serait qu'une « ritournelle historique ». Vraiment ?

Ayatollah – Dans les années quatre-vingt, Yvette Roudy, ministre des Droits des femmes, avait proposé une législation « antisexiste » ouvrant la voie à de nouvelles poursuites pénales, comme le rappelle le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) dans le rapport présenté ci-dessus. Adopté en conseil des ministres, ce projet de loi avait « provoqué chez les médias une réaction unanime d'une rare violence ». Si bien qu'il ne fut jamais inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. « Les journaux comparèrent Yvette Roudy à l'ayatollah Khomeny », rapporte le HCEFH. Preuve que les temps ont changé, nos confrères de Valeurs actuelles se sont exposés aux pires suspicions pour avoir fait de même avec Najat Vallaud-Belkacem... Depuis 2004, souligne d'ailleurs le HCEFH, « l'intégralité des dispositions de ce projet de loi figure dans notre législation ».

Un petit livre sur le "genre"

22 octobre 2014

« Qu'est-ce que le genre ? Pourquoi cette notion fait-elle débat ? » Telles sont les questions auxquelles prétend répondre, selon sa quatrième de couverture, un livre d'une centaine de pages paru ce mois-ci (octobre 2014) aux Presses universitaires de France (PUF).

Dans l'esprit de ses auteurs, il s'agit de remettre quelques pendules à l'heure. « Il est faux de laisser penser qu'il existerait une théorie du genre » – autrement dit, « un corpus idéologique homogène » –, explique Laure Berreni. « Ce qui relie entre elles les études de genre », précise-t-elle, « c'est avant tout un objet de recherche commun ». Parmi leurs « dimensions analytiquement centrales » figureraient « l'adoption d'une posture constructiviste », c'est-à-dire « anti-essentialiste », mais aussi « l'existence d’un rapport de pouvoir, d'une asymétrie, d'une hiérarchie, entre les hommes et les femmes, le masculin et le féminin ». Soutenant « l'idée d'un rapport de domination socialement construit des hommes sur les femmes », Laure Berreni s'oppose à Mona Ouzouf ou Élisabeth Badineter, lesquelles « défendaient l'exception française en matière de rapports entre les sexes, selon elles marquée par une culture du "doux commerce entre les sexes", et qui rendait soi-disant impossible, non seulement linguistiquement mais aussi culturellement, l'importation des gender studies prospérant dans les universités américaines ».

Étonnamment, Anthony Favier « conteste l'idée d'une réception seulement négative par le catholicisme des études féministes, et de leur surgeon que constituent les études de genre ». « Depuis l'été 2013 », nous dit-il, « le champ des intellectuels mobilisés dans le catholicisme français pour comprendre le genre change » ; « à la première génération, marquée par l'intransigeance » succéderaient « des intellectuels mieux outillés et plus informés, qui abandonnent les outrances de naguère » : « leurs écrits sophistiquent, certes, la condamnation, mais concèdent qu'il existe un questionnement pertinent en termes de genre ». Plus concrètement, une distinction serait établie, y compris par les évêques français, entre « études de genre universitaires appréciables d'un côté » et « idéologie militante condamnable de l'autre ».

Reste à démêler le bon grain de l'ivraie. Cela s'annonce d'autant plus délicat qu'en la matière, la recherche universitaire baigne dans la culture militante. Ce champ d'études « plonge ses racines dans une longue tradition de recherches constituée dans le sillage des mouvements féministes des années 1960 et 1970 », rappellent Laure Bereni et Mathieu Trachman. « Pour répondre aux accusations de non-scientificité brandies par les adversaires des études sur le genre, on peut puiser dans des travaux d'épistémologie critique, féministes notamment », plaide Laure Berreni. « Ces travaux ont dénoncé l'épistémologie scientiste, fondée sur l'idée que les sujets de la connaissance sont capables de s'abstraire du contexte social dans lequel ils s'inscrivent et des rapports de pouvoir dans lesquels ils sont pris. Ils ont montré à quel point la science "normale" est imprégnée de préjugés de genre et contribue à reproduire l'ordre social inégalitaire. La recherche "féministe" n'est donc pas moins objective que la recherche mainstream : elle explicite ses présupposés politiques au lieu de les masquer. » Ces travaux produiraient-ils leur propre justification ? « En réalité », confirme Éric Fassin « loin de contrevenir aux règles de la science, les études de genre nous invitent à en expliciter les "point de vue" le plus souvent implicites. » Quitte à contester les "vérités" les mieux établies.

À cet égard, en dépit de la controverse suscitée par leur publication, les quelques pages de trois manuels de SVT (sciences de la vie et de la terre) inspirées par les "études de genre" s'avèrent bien timides. « Ce qui est particulièrement frappant », remarque Laure Berreni, « puisqu'il s'agit de manuels de biologie, c'est que la naturalité de la dichotomie mâle-femelle n'est pas ébranlée ». « Dans le manuel Hachette, par exemple, il est écrit que le "sexe biologique" est le "seul sexe bien établi", et qu'il "nous identifie mâle ou femelle". D'une certaine manière, ces manuels s'inscrivent dans un premier âge de la critique féministe de la naturalité de la différence des sexes, qui considère la vérité biologique du sexe (le fait qu'il y ait naturellement et évidemment deux sexes et qu'on ne puisse pas être des deux ou d'aucun des deux) comme un buttoir naturel. » Or, comme le rapporte Michal Raz, présentant les travaux d'Anne Fausto-Sterling, « l'existence des individus intersexués » aiderait « à déconstruire cette frontière en révélant son arbitraire et ses fondements sociaux et culturels ». De même, explique Mathieu Trachman, « en mettant en avant les différences entre hommes, l'approche des masculinités de Connell » soulignerait « le caractère fictionnel d'une théorie qui partage l'humanité entre deux groupes de sexe différent ».

En définitive, tel qu'il apparaît dépeint par ses promoteurs, le "genre" se prête manifestement aux hypothèses les plus hardies. À vrai dire, loin de dissiper notre méfiance à son égard, la lecture de cet ouvrage l'a plutôt nourrie, quoi que l'humilité demeure de mise, tant  nous échappent les subtilités des débats universitaires. « En dénaturalisant la différence des sexes », observe Éric Fassin, « ce concept est désormais un outil scientifique, en même temps qu'une arme politique, au service de la critique des normes ». Selon lui, « il s'agit bien de savoir si cet ordre est fondé, une fois pour toutes, par un principe transcendant – tel que Dieu, la Nature ou la Tradition – ou bien s'il est défini de manière immanente – par "nous" qui habitons ce monde aujourd'hui : les normes, les règles et les lois sont-elles déterminées a priori ou négociées a posteriori ? Tel est in fine l'enjeu : l'extension de la logique démocratique au domaine sexuel. »

Avec quelles perspectives ? Les contributions réunies ici font écho aux débats animant la communauté des chercheurs acquis au "genre", mais elles ne nous ont pas semblé  beaucoup ouvertes au-delà. Or, quelles conséquences y aurait-il à verser dans le "constructivisme sociétal" auquel nous invitent les "études de genre" ? Telle est, plus ou moins confusément, la question qui nous taraude, mais à laquelle ce petit livre n'apporte guère de réponse.

Sous la direction de Laure Bereni et Mathieu Trachman, Le Genre – Théories et controverses, Presses universitaires de France, collection "La Vie des idées", octobre 2014, 112 pages, 8,50 euros.

Ce petit livre réunit des contributions dont certaines sont disponibles en suivant ce lien vers La Vie des idées.

Christine Boutin et Alain Escada prendront-ils leur carte à l'AKP ?

7 octobre 2014

Réaction amusée à la lecture d'un article du Courrier international.

Un million d'enfants seraient nés à la faveur des rencontres suscitées par le programme Erasmus, en application duquel des universités européennes échangent des étudiants depuis 1987. Quoique ces chiffres soient sujets à caution, leur communication apportait quelque fraîcheur à la morne machine administrative européenne.

Cela nous a fait sourire, donc, mais tout le monde de l'a pas entendu de cette oreille. Ainsi Yeni Safak a-t-il dénoncé « un projet suscitant la dégénérescence et visant à créer une masse d'idiots idolâtrant le sexe ». Erasmus, déplore-t-il, « c'est un programme visant à fabriquer une génération de païens mondialisés sans racines ».

M. Safak serait-il membre du Parti chrétien démocrate, de Civitas ou d'une autre officine réactionnaire ? Oui et non : c'est un journaliste turc, réputé proche de l'AKP, selon le Courrier international

Finalement, peut-être Alain Escada et Farida Belghoul ne se sont-ils pas acoquinés sans raison ! 😉