Le pari sportif du Quai d'Orsay

3 août 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

La dimension politique du sport est régulièrement soulignée à l'occasion des Jeux olympiques. Cependant, les diplomates lui portent un intérêt croissant.

Vendredi prochain, 5 août 2016, s'ouvriront au Brésil les XXXIe Jeux olympiques de l'ère moderne. Entre 2010 et 2020, la plupart des grandes manifestations sportives se seront tenues dans des pays dits "émergents" – dix sur treize, selon le décompte proposé par les députés Valérie Fourneyron (PS) et François Rochebloine (UDI) dans un rapport enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 8 juin 2016. Faut-il s'en étonner ? Comme le remarque Valérie Fourneyron, « le sport est un révélateur de la marche du monde » ; « il permet aux États de se mettre en scène ». De son point de vue, les Jeux de Sotchi, organisés en Russie à l'hiver 2014, s'inscrivaient dans la « diplomatie des muscles » mise en œuvre par Vladimir Poutine. Quant aux États-Unis, qui traquent la corruption dans les instances internationales du sport, ils lui semblent « fidèles en cela à leur idéologie de la "destinée manifeste", mélange de doctrine interventionniste, de volonté de se poser en justiciers du monde et de diffuser un modèle de démocratie libérale ». Le Qatar n'est pas en reste : « le sport accompagne une politique de diversification d'investissements en apportant une dimension de prestige essentielle aux ambitions de l'Émirat », observe-t-elle avec François Rochebloine.

Un catalyseur de changements

Les États ou les villes qui accueillent de tels événements en attendent des retombées économiques. Cela « malgré des chiffrages épars » dont les rapporteurs jugent la fiabilité « inégale ». Attention aux déconvenues : « il n'y a pas eu à Londres plus de touristes lors des Jeux de 2012 qu'en temps ordinaire », soulignent les députés. Cela étant, « c'est dans une dynamique de long terme que l'impact touristique doit être appréhendé ». Tout comme la construction des infrastructures. À ce titre, « Barcelone est devenue le modèle de régénération urbaine réussie grâce aux Jeux, avant d'être détrônée par Londres vingt ans plus tard ». Ainsi les JO de 2012 ont-ils été « utilisés à des fins de développement territorial de l'Est londonien, déshérité ». La construction du stade de France, à l'approche de la Coupe du monde de football de 1998, s'est elle-même inscrite dans le développement plus général de la plaine Saint-Denis. En résumé, « les grandes compétitions internationales constituent des catalyseurs de changements pour une ville, un territoire ; et à plus grande échelle, pour un pays ».

Des opportunités à saisir

Bien des opportunités sont à saisir. S'agissant du Japon, par exemple, « il est notable que si Paris devait être sélectionné pour accueillir les Jeux en 2024, l'intérêt se trouverait accru de construire des partenariats avec des entreprises françaises » ; dans cette perspective, préviennent les rapporteurs, « il convient d'entretenir la dynamique actuelle en capitalisant sur l'image du charismatique entraîneur de la sélection nationale de football Vahid Halilhodzik (ancien joueur du FC Nantes, ancien entraineur du PSG) et en systématisant les invitations de hautes personnalités japonaises aux grandes manifestations sportives organisées en France ». En Amérique latine, « le sport est un excellent point d'entrée, parce qu'il est populaire, outil de cohésion sociale et que les sports par lesquels il est possible de développer une diplomatie d'influence sont assez peu ou pas pratiqués aux États-Unis (football, rugby notamment) ou plus européens qu'américains (cyclisme) » ; « ce raisonnement vaut aussi pour le handball en Afrique », précisent les députés. Selon eux, il s'agit aussi d'« atteindre les cœurs et les esprits des populations sans mettre en jeu l'État (concept de "public diplomacy") ».

Ambassadeur pour le sport

La France saura-t-elle y parvenir ? Le ministère des Affaires étrangères et du Développement international (MAEDI) « a clairement intégré le sport comme un vecteur d'influence potentiellement intéressant », se félicitent les rapporteurs. Un ambassadeur pour le sport a même été nommé en 2013. Mais les ressources mises à sa disposition semblent dérisoires : « La ligne budgétaire est de l'ordre de 8 000 euros de voyages annuels ! » La situation demeure « brouillonne », comme en témoigne la préparation de l'Euro 2016, où « des tiraillements sont apparus entre le MAEDI qui assure le pilotage politique et le ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique qui détient les moyens ». Rattachée aujourd'hui au ministère des Sports, la Délégation interministérielle aux grands événements sportifs (DIGES) devrait être placée auprès du Premier ministre, selon les recommandations des députés : ce serait « une des clés de l'amélioration du dispositif national, que tout le monde décrit comme éclaté et illisible ».

Apprendre à jouer collectif

Il faut « que les acteurs publics soient rassemblés et entraînent les acteurs non étatiques pour former une véritable "équipe France" », martèlent les rapporteurs. À l'exception notable de celles réunies dans le "Cluster Montagne", nos entreprises « ne jouent pas toujours "collectif" » déplorent-ils. Or, « la diplomatie sportive française ne peut exister sans parvenir à susciter cette alchimie qui existe spontanément dans certains pays malgré la concurrence commerciale ». Selon les parlementaires, il « revient à l'État de structurer et rassembler les acteurs », comme il s'y essaie au Japon, « un pays laboratoire pour la diplomatie économique française en matière de sport ».

Puissance et influence

L'« État stratège » cher au Front national sera-t-il édifié sous la houlette d'un gouvernement socialiste ? Sans doute Valérie Fourneyron et François Rochebloine partagent-ils avec Marine Le Pen une certaine bienveillance à l'égard de de l'intervention publique : « les résultats sont beaucoup plus facilement au rendez-vous quand l'État est à la manette », écrivent-ils notamment. Cependant, dans le cas présent, il ne s'agit pas de protéger les entreprises françaises exposées à la concurrence étrangère, mais de les accompagner dans la compétition internationale. Les rapporteurs disent avoir mené un « travail de pédagogie sur le concept de puissance telle qu'elle s'exerce aujourd'hui dans le monde ». Selon Valérie Fourneyron, précisément, « la puissance de la France au XXIe siècle résultera de la conjugaison intelligente des différents leviers de l'influence ». Incidemment, loin de combattre la mondialisation, elle propose de mieux y intégrer la France.

Cartes postales – Le 24 juillet 2016 s'est achevée la cent-troisième édition du Tour de France. Dans leur rapport évoqué ci-dessus, les députés Valérie Fourneyron et François Rochebloine proposent un vibrant éloge de cette compétition. Il y voient « un monument du sport mondial et un ambassadeur de la France à l'étranger ». Le Tour de France est diffusé dans cent-quatre-vingt-douze pays, précisent-ils ; « c'est la troisième diffusion audiovisuelle mondiale » ! « Au-delà du spectacle sportif », se félicitent les parlementaires, « le Tour de France assume un rôle de promotion de la France, de son patrimoine et de ses régions, de la beauté et de la diversité des paysages français » ; en effet, « ce sont chaque jour des cartes postales de la France qui passent sur des millions d'écrans ».

Euro radin – Alors que la France accueillait l'Euro 2016 de football, l'État a acheté vingt mille places « à vocation sociale ». Cela « sans rabais », déplorent les députés Valérie Fourneyron et François Rochebloine. Les pouvoirs publics auraient bénéficié de quatre-vingts places gratuites. Un nombre très insuffisant aux yeux des parlementaires. C'est « inacceptable », écrivent-ils dans leur rapport.

Lectures d'été – À l'approche des Jeux olympiques, « les enjeux du sport » – « économie, géopolitique, société, identité » – sont à la une de la revue Conflits (n° 10, été 2016, 9,90 euros). On y trouve notamment un entretien avec Pascal Boniface, auteur du livre JO politiques – Sport et relations internationales, paru en juin dernier (éditions Eyrolles, 202 pages, 16 euros). C'est aussi l'occasion de relire les Lettres des Jeux olympiques de Charles Maurras, préfacées par Axel Tisserand, publiées en poche en 2004 (éditions Flammarion, 183 pages, 8,90 euros).

La francophonie, un projet "mondialiste" ?

19 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Chantre de la mondialisation, Jacques Attali n'en est pas moins un promoteur de la francophonie. Certaines de ses mises en garde méritent notre attention, afin que la France utilise au mieux ses atouts.

Lors du sommet de Dakar (29 et 30 novembre 2014) devrait être présentée une "stratégie économique pour la Francophonie". S'agira-t-il d'un premier pas vers la création d'une "Union économique francophone" ? Tel est l'espoir de Jacques Attali, revendiqué en conclusion d'un rapport remis fin août au chef de l'État. « Le potentiel économique de la francophonie est énorme et insuffisamment exploité par la France », martèle l'ancien conseiller du président Mitterrand.

« L'ensemble des pays francophones et francophiles représentent 16 % du PIB mondial », souligne-t-il, « avec un taux de croissance moyen de 7 %, et près de 14 % des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques ». Naturellement, « le partage par les populations de plusieurs pays d'une même langue augmente leurs échanges » – de 65 % environ, nous précise-t-il. Est-il bien raisonnable de chiffrer pareil phénomène ? Quoi qu'il en soit, s'inquiète Jacques Attali, « des circuits économiques sont en train de se créer dans les pays francophiles et francophones sans la France » : « c'est le cas le secteur minier notamment (Canadiens en Afrique), ou dans l'éducation supérieure (Québec) ». De fait, Paris serait tenté « par un repli sur sa sphère nationale », que traduirait « la baisse significative » de sa contribution au budget de l'OIF, réduite d'un quart depuis 2010. C'est un calcul de court terme, dénonce le rapporteur. Dans l'ensemble des pays d'Afrique, prévient-il par ailleurs, « le déséquilibre entre le nombre d'enfants à scolariser et le nombre d'enseignants va s'accroître dans les prochaines années ». C'est pourquoi, « faute d'un effort majeur, on pourrait assister [...] à un recul de l'espace francophilophone ».

Le français dans l'entreprise

Dans les entreprises se ressentirait « un certain manque de "patriotisme linguistique" ». À tel point que « certaines compagnies françaises installées en Asie du Sud-Est paradoxalement détournent les étudiants de ces pays de l'apprentissage du français en exigeant la connaissance de l'anglais à l'embauche ». Pourtant, « la culture d'une entreprise mondiale d'origine française est plus facile à appréhender pour le personnel local lorsqu'il maîtrise le français ». Renault l'aurait constaté dans la foulée de sa fusion avec Nissan : « L'usage généralisé de l'anglais comme langue de l'alliance avec le groupe japonais s'est avéré être un handicap et a été à l'origine d'un rendement réduit de part et d'autre. Renault a depuis choisi de donner des bourses à des Japonais pour étudier le français en France. » Quant à l'usage accru de l'anglais dans l'Hexagone, « cela aurait des conséquences économiques négatives », estime Jacques Attali ; selon lui, « l'usage d'une langue étrangère au travail crée [...] un déficit de productivité et de cohésion sociale ».

Alors que des entreprises françaises « choisissent de contracter entre elles en anglais selon des modèles de contrats anglo-saxons », les cabinets d'avocats français, « malgré leur expertise reconnue », seraient « très peu implantés à l'étranger en comparaison avec les cabinets anglo-américains », dont l'influence est telle qu'ils « structurent l'imagination des financiers ». Le droit continental s'en trouve affaibli, ce dont pourrait pâtir le développement de l'Afrique. Le droit anglo-saxon « étant jurisprudentiel », explique Jacques Attali, « son bon fonctionnement requiert l'existence d'une justice efficace et d'une jurisprudence abondante, permettant aux avocats d'assurer une certaine sécurité juridique aux entreprises ». Or, « en l'absence de tels pré-requis, l'insécurité juridique pourrait désinviter les entreprises à investir dans ces pays ».

Les frontières périmées ?

Afin d'accroître ces investissements, Jacques Attali propose, sans surprise, de « favoriser la mobilité » des travailleurs. « Le nombre d'expatriés français est plus faible que le nombre d'expatriés britanniques ou allemands », regrette-t-il : « respectivement 2,5 millions, 3 millions et 4 millions ». Quant à l'immigration professionnelle, elle est jugée « peu développée en France ». Indifférent aux pressions de l'opinion, Jacques Attali vante même les mérites des délocalisations. Selon lui, « l'externalisation d'une partie de la chaîne de valeur française dans les pays du sud de la Méditerranée pourrait être bénéfique, aussi bien aux entreprises françaises qu'aux pays d'accueil ». En effet, « cette stratégie permettrait aux entreprises françaises [...] d'améliorer leur compétitivité, et répondrait aux forts besoins en croissance et en emplois des économies nord-africaines ». Les implantations au Maroc de Renault, Sanofi-Aventis et Accor seraient autant de réussites illustrant le « caractère potentiellement gagnant-gagnant » des « colocalisations ».

Dans son esprit, donc, la francophonie n'est pas une alternative à la mondialisation. Au contraire. De son point de vue, « la tendance de fond de l'économie mondiale est de périmer l'idée d'espaces économiques construits autour de frontières étatiques et de repenser les espaces d'échanges et de coopération autour de communautés d'autres natures ». Quoique celles-ci demeurent promues au bénéfice des États : « le Brésil se sert notamment de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) pour favoriser son implantation dans des pays lusophones comme l'Angola ou le Mozambique ainsi que sa pénétration de ces marchés », observe Jacques Attali. Puisse la France en faire autant !

Université et langue française sous le vent de la mondialisation

21 février 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Quand les parlementaires se penchent sur l'ouverture des universités aux étudiants étrangers ou jugent menacée la pérennité de la langue de Molière.

Les universités françaises manqueraient-elles d'attrait aux yeux des étudiants étrangers ? Telle est, en tout cas, la conviction de Mme Dominique Gillot, sénateur PS du Val-d'Oise, auteur d'une proposition de loi censée remédier à cette situation. En dix ans, le nombre d'étudiants étrangers recensés en France aurait pourtant bondi de 40 %, atteignant deux cent trente-mille en 2010-2011. Cependant, « notre pays reste [...] en retard », déplore Mme Gillot. Devancée désormais par l'Australie, la France aurait été reléguée au quatrième rang de la compétition mondiale qui se jouerait en la matière.

Incohérences

« Notre politique [...] a été entachée d'incohérences », martèle le sénateur, qui pointe « une forte hésitation entre la volonté d'accueillir les meilleurs éléments et l'obsession du "risque migratoire" ». Tandis que ces jeunes gens seraient appelés à devenir « nos meilleurs ambassadeurs », il ne serait « ni dans l'intérêt des pays d'origine, ni dans le nôtre » de les renvoyer chez eux dès la fin de leurs études. Au contraire, plaide Mme Gillot, « c'est après au moins une première expérience professionnelle que ces diplômés pourront, à leur retour chez eux ou à l'international, mettre à profit les compétences acquises en France et en faire la promotion ».

En conséquence, elle propose que leur soient attribués des titres de séjour pluriannuels, dont la durée dépendrait de la formation suivie. Cela afin de « limiter les démarches administratives, souvent vexatoires, qui épuisent et précarisent les étudiants étrangers tout en encombrant inutilement les services préfectoraux ». Selon Mme Gillot, il conviendrait également de porter de six à douze mois l'autorisation provisoire de séjour, période pendant laquelle un étranger peut chercher un premier emploi après l'obtention de son diplôme. En outre, « pour éviter le choix souvent cornélien [...] entre le retour dans le pays d'origine ou une installation quasi-définitive dans notre pays », un « droit illimité au séjour en France » pourrait bénéficier aux titulaires d'un doctorat obtenu en France. Une mesure censée contribuer au développement d'une « coopération économique continue, enrichissante, sans pillage des cerveaux des pays émergents ». Reste à convaincre nos compatriotes, aux yeux desquels il y aurait déjà « trop d'étrangers en France »...

Anglais ou français au choix ?

Par ailleurs, Mme Gillot propose d'introduire une dérogation au code de l'éducation, lequel oblige à dispenser des cours en français. Déjà « contournée par de nombreux établissements », cette disposition constituerait « un obstacle au recrutement d'étudiants étrangers de qualité ». Toutefois, reconnaît le sénateur, on ne saurait s'en affranchir sans s'exposer aux foudres du Conseil constitutionnel. C'est pourquoi, au sein d'un même établissement, les étudiants devraient pouvoir « suivre les mêmes cursus en français et en langue étrangère ». Au risque qu'y soit instituée une certaine ségrégation ?

Quoi qu'il en soit, un tel projet devrait conforter dans sa démarche Jean-Jacques Candelier, député PC du Nord, auteur d'une proposition de résolution « tendant à la création d'une commission d'enquête sur les dérives linguistiques ». « Dans la publicité, les enseignes commerciales, la communication [...] des grandes entreprises et, désormais, dans l'enseignement secondaire et universitaire, on peut redouter que la langue de Molière disparaisse à brève échéance », prévient M. Candelier. Selon lui, « il y a urgence ». D'autant que « la dilapidation de la langue française se couple [...] avec la sape de l'héritage progressiste universel de notre pays, le démantèlement des acquis sociaux et des services publics, la destruction de l'indépendance nationale, avec l'adoption du traité de Lisbonne [...] et du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), le sacrifice de la défense nationale dans l'Otan, la violation de la laïcité et la substitution de l'euro-régionalisation du territoire à la République une, laïque et indivisible issue de la Révolution ».

Ce discours n'est pas sans rappeler celui de l'ambassadeur Albert Salon... « L'internationalisme des travailleurs ne s'oppose pas au patriotisme populaire », soutient Jean-Jacques Candelier. Au contraire, « parce qu'il n'aspire qu'au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » (que nous contestons toutefois pour notre part), le « patriotisme populaire » s'opposerait, entre autres, « au cosmopolitisme capitaliste » ainsi qu'au « supranationalisme impérialiste ». Pour les pourfendeurs de la mondialisation, l'heure serait-elle à l'union sacrée ?

Depardieu et le fait du prince

16 janvier 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Décidé à collectionner les nationalités, sinon à les troquer, Gérard Depardieu joue les nomades dans un monde toujours façonné par les rivalités d'États souverains.

À la faveur du différend l'opposant à Jean-Marc Ayrault, Gérard Depardieu n'a pas cessé de le marteler : « je suis un citoyen du monde », a-t-il encore déclaré début janvier (2013), alors qu'il venait de recevoir un passeport russe des mains du président Vladimiir Poutine. « Il montre effectivement que grâce à la mondialisation nous sommes, dans une certaine mesure, libres d'échapper à la main lourde d'un État », s'est félicité Emmanuel Martin, dans un billet publié par l'Institut Turgot, arguant que « la concurrence institutionnelle, et particulièrement la concurrence fiscale est une composante essentielle de notre liberté ». De fait, constate Élie Cohen, « l'accumulation de taxes nouvelles sur le capital au moment de sa formation, de sa détention, de sa transmission, et de sa distribution n'est pas soutenable à long terme dans une économie ouverte ». De ce point de vue, souligne-t-il sur Telos, « Gérard Depardieu met le doigt sur les contradictions européennes de nos gouvernants ».

Citoyen du monde ?

Mais bien qu'il se proclame « citoyen du monde », Gérard Depardieu n'en est pas moins réduit à se placer sous la juridiction d'un État, comme tout un chacun, quoique son aisance financière lui procure quelque facilité quand il s'agit de solliciter sa protection, et non d'en hériter par naissance. En cela, il ferait plutôt figure de nomade. Un nomade au déracinement somme toute relatif. « J'ai un passeport russe, mais je suis français », a-t-il également proclamé, nuançant ses propos précédents. Amateur de bonne chère, souvent aigri mais volontiers débonnaire, il « fait partie de notre patrimoine cinématographique », comme l'a observé Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication. Qu'il le veuille ou non, l'interprète d'Obelix incarne la France aux yeux du monde.

Paradoxalement, c'est vraisemblablement la raison pour laquelle il a été accueilli si chaleureusement en Russie. On a beau vivre dans un village global, les États continuent de se tirer dans les pattes. « L'intelligence économique [...] de Vladimir Poutine est une démonstration concrète de la façon de saisir des opportunités pour affaiblir une nation », souligne un contributeur de l'Alliance géostratégique (AGS). « Et peu importe les déclarations diplomatiques de rose et de miel quand les faits illustrent que les nations dites "amies" sont néanmoins concurrentes avec leurs intérêts propres à promouvoir et à développer. »

Souveraineté

Dans ces conditions, « ce passeport est moins un document juridique qu'un symbole », comme le remarque Yannick Harrel, lui aussi contributeur de l'AGS. C'est pourquoi on ne s'attardera pas sur la faculté, pour Gérard Depardieu, de bénéficier effectivement d'une double nationalité franco-russe, en dépit des doutes planant à ce sujet. Par ailleurs, à supposer qu'il souhaite à nouveau se défaire de sa nationalité française - « je vous rends mon passeport et ma Sécurité sociale », avait-il déclaré à l'intention de Jean-Marc Ayrault - il lui faudrait engager des démarches sans trop tarder, et justifier d'une résidence effective à l'étranger. Autrement dit, sa nationalité dépend du bon vouloir de l'État – c'est-à-dire, selon les cas, des dispositions du droit ou des largesses du prince.

« C'est donc l'État souverain qui décide qui est un de ses nationaux. C'est sans doute l'expression la plus pure de sa souveraineté, car elle ne suppose pas l'accord d'un autre État », selon Me Eolas, l'animateur du Journal d'un avocat. Mme Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, ne s'y est pas trompée : « c'est le pouvoir discrétionnaire de Vladimir Poutine d'offrir la nationalité russe à qui il l'entend », a-t-elle observé, se refusant à tout autre commentaire sur BFM TV.

« Quand un citoyen français a une autre nationalité, deux souverainetés se heurtent, et aucune ne peut l'emporter », explique Eolas. « L'autre État a tout autant que la France le droit de décider qui sont ses ressortissants, et le législateur français n'a aucun pouvoir pour limiter la transmission de cette autre nationalité. Qui n'est tout simplement pas son affaire. » Tout au plus la France pourrait-elle « s'attaquer aux Français par acquisition », selon notre avocat. « Ceux-là devraient, pour pouvoir acquérir la nationalité française, renoncer préalablement à leur nationalité d'origine. Et on se casse à nouveau les dents sur la souveraineté des États étrangers. Quid si l'État en question ne prévoit pas la possibilité de renoncer à cette nationalité ? [...] On aura des enfants nés en France, y ayant grandi, voire y passant toute leur vie, mais qui ne seront jamais Français à cause d'une loi votée dans un autre pays. Tandis que son voisin, lui, aura la nationalité française dès l'âge de treize ans. En somme, la nationalité française dépendra de la loi d'un État étranger. » C'est dire la prudence avec lequel devra manœuvrer le législateur, si d'aventure il se décide à bannir la double nationalité.

Quarante ans de McDo

21 juin 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

La première implantation hexagonale d'un restaurant McDonald's remonte à quarante ans. Depuis, l'enseigne est devenue le symbole de la mondialisation. Et de ses nuances.

Le 30 juin 1972, il y bientôt quarante ans, un premier restaurant aux couleurs de McDonald's ouvrait ses portes dans l'Hexagone. C'était à Créteil. Depuis, l'enseigne s'est disséminée dans plus de neuf cents communes, où sont répartis près de mille deux cents établissements, dont trois cents franchisés. La France est même devenue le deuxième contributeur aux résultats du groupe américain. Un chiffre d'affaires record est enregistré à Marne-la-Vallée (Disney Village), ainsi que sur les Champs-Élysées. Symbole de la "malbouffe" importée des États-Unis, la chaîne de restauration rapide s'est attiré les foudres des pourfendeurs de la mondialisation, à l'image de l'inénarrable José Bové : en 1999, on s'en souvient, il avait "démonté" un McDo à Millau.

Défense bien huilée

Alors qu'il dirigeait l'entreprise, Jack Greenberg avait jugé déplacées les attaques dont elle était victime : « nous sommes d'abord un amalgame de petites entreprises », avait-il clamé, fin 2002, dans un entretien accordé à L'Express. La filiale hexagonale se vante de « privilégier un approvisionnement local » : « 100 % des produits alimentaires servis dans les restaurants McDonald's de France en 2010 ont été fabriqués en Europe », martèle sa communication officielle. « La France demeure le premier pays fournisseur des achats alimentaires pour les hexagonaux avec près de 76 % de volume. » Et de s'ériger en « partenaire majeur de l'agriculture française ». Bel exemple de philanthropie !

De fait, si McDonald's symbolise effectivement la mondialisation, c'est avec ses nuances, dont témoigne la "régionalisation" de l'offre entreprise depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Jusqu'à l'immixtion, en avril dernier, de la traditionnelle baguette dans les restaurants hexagonaux. Celle-ci finira-t-elle par traverser l'Atlantique ? On n'en est pas encore là, même si un McDo new yorkais serait, paraît-il, largement inspiré de celui des Champs-Élysées.

L'Argentine, un pays rebelle

21 mai 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Au milieu du village global, un pays résiste, encore et toujours, aux canons de la mondialisation promus par les artisans de la gouvernance planétaire...

À la faveur de l'élection présidentielle, la France aurait « réaffirmé sa profonde vocation républicaine, qui fait primer la volonté politique sur la fatalité des marchés, la sensibilité sociale sur les recettes financières, et la justice et la solidarité sur l'exclusion », selon Hugo Chavez. S'agit-il d'un soutien de poids pour François Hollande ? Affaibli par la maladie, bientôt sur le départ, le président du Vénézuela s'est fait voler la vedette, sur la scène latino-américaine, par son homologue argentin, Cristina Kirchner.

Repsol exproprié

Celle-ci s'attire les éloges des pourfendeurs de la mondialisation, tel Aymeric Chauprade : « l'Argentine [...] apporte au monde une preuve supplémentaire que la voie du redressement et de la liberté des peuples passe par l'indépendance nationale et la rupture » avec le FMI, la Banque mondiale, l'Union européenne, etc., a-t-il écrit sur son blog. Il y a dix ans, déjà, Buenos Aires s'était distingué en cessant de rembourser quelque 100 milliards de dollars de dette extérieure. Aujourd'hui, il pratique « un protectionnisme décomplexé », comme le relevaient, début mars, nos confrères de La Tribune. De fait, « pour exporter en Argentine, on doit s'engager à importer des produits argentins ou à investir dans le pays pour ne pas risquer de voir ses produits bloqués aux douanes. Parmi les cas les plus connus, le constructeur automobile allemand Porsche a dû en 2011 s'engager à acheter du vin et de l'huile d'olive argentins pour faire entrer une centaine de véhicules. Le fabricant canadien Blackberry a dû, lui, annoncer l'ouverture d'une unité de production en Terre de Feu (sud) pour continuer à vendre ses portables. » Cependant, « en janvier, lassée des retards provoqués par les nouveaux contrôles, le constructeur automobile Fiat a arrêté son usine de Ferreyra (Cordoba, centre) pendant 48 heures. Un avertissement pour le gouvernement. »

Celui-ci ne semble pas se laisser démonter, comme en témoigne la nationalisation de la société pétrolière YPF, aux dépens du groupe espagnol Repsol... et dont pourrait profiter Total, qui en était déjà un partenaire habituel. Scandalisés, le Washington Post et le Wall Street Journal ont appelé à exclure l'Argentine du G20, où son voisin chilien mériterait de lui succéder. En réaction, le gouvernement espagnol a annoncé une limitation des importations de biodiesel argentin. Mais selon l'analyse du Fauteuil de Colbert, publiée par l'Alliance géostratégique (AGS), « il va sans dire que Madrid est quelque peu démunie dans cette crise. La Commission européenne a beau dire que... la Commission européenne ne peut rassembler ni coalition, ni moyens de coercitions pour soutenir l'Espagne. Cerise sur le gâteau, le nouveau gouvernement de Mario Rajoy prend à peine ses marques dans une Espagne exsangue, et la contestation sociale gronde. »

Les Malouines

Cela étant, poursuit l'auteur, « il y a [...], forcément, quelques probabilités que la crise argentino-espagnole ne vienne heurter le conflit anglo-argentin ». Voilà tout juste trente ans se déroulait la guerre des Malouines. Depuis, le différend opposant Londres et Buenos Aires ne s'est jamais dissipé. Les tensions se sont même ravivées à l'approche de cet anniversaire, puisque les navires battant le pavillon de l'archipel ne sont plus autorisés à accoster dans les ports argentins... Dans cette affaire, Mme Kirchner bénéficie d'ailleurs du soutien de la Bolivie, du Brésil, du Chili et de l'Uruguay.

Ces deux crises, avec l'Espagne d'une part, le Royaume-Uni d'autre part, « gravitent autour de la question des richesses pétrolières qui gisent au large des côtes du Brésil et de l'Argentine - et en Guyane », explique le Fauteuil de Colbert. « Sous cet angle, il est moins certain que l'action argentine actuelle ne vise qu'à détendre les cours actuels de l'or noir sur le marché argentin. Cette action n'a-t-elle pas quelques visées à plus long terme ? » L'auteur relève encore « des enjeux de puissance car les richesses pétrolières brésiliennes permettrait à Brasilia de produire plus d'or noir que BP ou Exxon ». Quoi qu'il en soit, conclut-il, « il est possible de se demander si Buenos Aires peut faire face à deux crises sérieuses avec deux pays ayant des intérêts voisins dans les deux conflits ».

Vivre dans la mondialisation

21 juillet 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Rompant avec la sinistrose, un rapport officiel vante l'attractivité économique de la France... et les réformes du gouvernement. Un atout agité au vent de la mondialisation, à laquelle nous ne saurions échapper selon le Premier ministre.

Le déficit commercial de la France a atteint un nouveau record en mai dernier, s'élevant à 7,42 milliards d'euros. Cela rend d'autant plus criantes les faiblesses de la compétitivité nationale, pointées par moult observateurs. À l'occasion du lancement de la nouvelle Yaris, toujours fabriquée à Valenciennes, Toyota n'en a pas moins confirmé la viabilité de son implantation hexagonale. « On peut produire une petite voiture en France », assure Didier Leroy, P-DG de Toyota Motor Europe, dans un entretien accordé à La Tribune (08/07/2011). « Les coûts salariaux sont importants. Mais, si vous produisez dans un pays à bas coûts, ce que vous économisez en main d'œuvre peut être entièrement contrebalancé par les coûts logistiques. Or, dans un rayon de 350 kilomètres autour de Valenciennes, on a un marché potentiel de 130 millions de personnes ! Le fait de fabriquer en France n'est pas en soi un handicap. Nous avons d'ailleurs quarante-trois fournisseurs pour la Yaris III dans l'Hexagone et 80 % de nos achats sont effectués en Europe occidentale. »

Aux yeux des plus optimistes, la démarche du constructeur japonais apparaîtra comme une illustration flagrante de l'attractivité de la France, dont le Centre d'analyse stratégique (CAS) vient de publier un "tableau de bord" élogieux. « 2010 aura été l'année du rebond », s'enthousiasme l'héritier du commissariat général du Plan : « La France a été choisie, chaque semaine en moyenne, par quinze entreprises étrangères pour des investissements nouveaux, à l'origine de 32 000 emplois. » Le rapport s'intéresse aux investissements d'origine étrangère (IDE), réputés tels s'ils sont réalisés par une société détenue à plus de 50 % par des capitaux étrangers : « Avec 57,4 milliards d'IDE entrants [...] la France est en 2010 la troisième destination mondiale derrière les États-Unis et la Chine-Hong-Kong. [...] Par rapport à la richesse nationale (stocks d'IDE/PIB), la France accueille deux fois plus d'investissements étrangers que l'Allemagne, l'Italie ou les États-Unis. » En outre, « comme en 2009, la France est en 2010, au premier rang européen en matière d'accueil d'implantations industrielles, qui comptent pour 57 % des emplois créés ».

Selon les rapporteurs, « la capacité à former des talents venus de l'étranger traduit, autant qu'elle conditionne le rayonnement, la compétitivité et l'attractivité ». Or, la France serait le quatrième pays mondial d'accueil des étudiants « en mobilité internationale », derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. 11 % des étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur en France étaient étrangers en 2008 – une proportion comparable à celle de l'Allemagne, mais nettement inférieure à celle du Royaume-Uni.

Parmi les facteurs de l'attractivité nationale figurent le traitement fiscal de la "recherche et développement" (R&D) et le prix de l'électricité. L'évaluation des compétences scientifiques des élèves de quinze ans, ainsi que la capacité d'innovation des entreprises, placent la France dans la moyenne des pays comparables. Les barrières à l'entrepreneuriat ne la distingueraient pas davantage, quoique la création d'une  entreprise y soit jugée plus facile qu'outre-Rhin : à cet effet, sept jours auraient été nécessaires en 2010, contre quinze en Allemagne. Parmi les États de la zone euro, la France afficherait même « une des meilleures maîtrises de ses coûts salariaux unitaires relatifs », l'Allemagne faisant toutefois « figure d'exception », avec une amélioration de sa "compétitivité-coût" à partir de 2003. À l'avenir, la simplification administrative et fiscale devrait constituer une priorité. Les auteurs rappellent que « la charge fiscale effective pesant sur les entreprises en France apparaît beaucoup plus faible que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne le laisse supposer ». En la matière, la France se trouve dans une situation inverse à celle de l'Irlande.

« Les chiffres rassemblés dans le présent tableau de bord positionnent la France aux premiers rangs européens sur un grand nombre de facteurs objectifs », martèle le Centre d'analyse stratégique. Le jugement pourra fluctuer selon que l'on compare Paris à Berlin ou Athènes... De fait, on ne relève pas vraiment de surprise dans ce rapport, dont la diffusion relève, à certains égards, d'une opération de communication réussie. D'ailleurs, ses auteurs versent ouvertement dans l'apologie du gouvernement, vantant la suppression de la taxe professionnelle « sur les investissements productifs », la consolidation du crédit d'impôt recherche, « l'utilisation offensive de la fiscalité pour servir la compétitivité des entreprises », le succès du statut d'auto-entrepreneur, le recours à la rupture conventionnelle du contrat de travail et le lancement du programme d'"investissements d'avenir".

Cela étant, la méthode Coué présente parfois quelque vertu. C'est pourquoi nous accueillons avec avec bienveillance la volonté de rompre avec la sinistrose. Mais la quête d'attractivité participe de l'inscription dans la mondialisation, dont les critiques ou adversaires sont légion, notamment parmi les royalistes. Le CAS semble d'ailleurs le revendiquer : « La croissance de 22 % du nombre de projets étrangers en 2010 vaut reconnaissance de l'ouverture de notre pays », affirme-t-il. Cela ne manquera pas d'alimenter les débats politiques au cours des prochains mois. « À l'approche des échéances électorales, propices aux contestations systématiques et aux utopies de tous ordres, nous maintiendrons notre ligne de vérité et de réalisme », a prévenu François Fillon, visant vraisemblablement Marine Le Pen. « Ceux qui font croire que l'on pourrait "démondialiser" l'histoire, et se ménager le confort d'une politique solitaire, sans contraintes extérieures, ceux-là entretiennent une illusion dangereuse », a-t-il poursuivi. Aux yeux du Premier ministre, en effet, « la mondialisation, c'est un fait ; ça n'est pas une hypothèse, que l'on pourrait accepter ou refuser selon son bon plaisir ». Alors qu'il affublait chacun de ses modèles d'un style « universel », Toyota annonce qu'à l'avenir « chaque région du monde aura la possibilité de le personnaliser ». Preuve que l'édification du "village global" ne va pas sans flux et reflux.

Quoi qu'il en soit, selon le rapport du CAS, la part de la capitalisation boursière des sociétés françaises du CAC 40 détenue par des non-résidents se serait élevée à 42 % fin 2010 ; en dix ans, le flux d'IDE serait passé de 17 à 42 % du PIB ; enfin, près d'un salarié sur sept du secteur marchand travaillerait dans la filiale d'un groupe étranger, et même un sur quatre dans l'industrie manufacturière. C'est dire le défi que constituerait, aujourd'hui, la mise en œuvre d'une véritable politique de "patriotisme économique".