Les algorithmes au volant

2 novembre 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Demain, les voitures seront autonomes, pilotées par des algorithmes et leur intelligence artificielle.  Cette perspective soulève bien des questions.

Dans les embouteillages ou sur autoroute, le conducteur d'une voiture à la pointe de la technologie (ou du marketing...) peut désormais lâcher le volant. Mais c'est de façon plus discrète, sinon sournoise, que des algorithmes prennent d'ores et déjà les commandes. Comme à bord de la BMW 330e iPerformance, une berline équipée d'un moteur hybride : « la voiture gère [...] la réponse des deux moteurs en fonction du trafic et du profil de la route », rapporte notre confrère Romain Heuillard ; « elle utilisera ainsi le moteur électrique en montée avant une descente dans laquelle elle pourra profiter de la récupération d'énergie », explique-t-il sur Clubic (25 mars 2016).

Objectif 2025

Ce n'est qu'un début. « La révolution va venir par étapes », annonce Carlos Ghosn, président de Renault, dans un entretien au Figaro (6 octobre). « Concernant la voiture sans chauffeur », précise-t-il, « elle n'arrivera probablement pas avant 2025 ». De toute façon, souligne-t-il, « pour que le régulateur franchisse le pas et autorise ces véhicules, il faudra que toutes les conditions soient réunies, notamment en matière de responsabilité ». C'est un défi lancé aux juristes. Voire aux philosophes : en cas d'accident jugé inéluctable, qui faudra-t-il protéger en priorité ? « Clarifier ces questions de droit et d'éthique à long terme demandera un grand débat international », prévient Mercedes, dans un communiqué cité par Numerama (18 octobre) ; selon la marque à l'Étoile, ce serait « le seul moyen de parvenir à un consensus global et de promouvoir l'acceptation des résultats ».

Les constructeurs automobiles travaillent donc à concrétiser la promesse de la voiture autonome. Tout comme les spécialistes du numérique. Ceux-ci finiront-ils par supplanter ceux-là dans le contrôle de leur propre industrie ? Dans l'immédiat, Apple ayant renoncé à construire sa propre voiture, les uns et les autres semblent enclins à poursuivre leurs recherches main dans la main : Renault et Nissan ont annoncé en septembre dernier un partenariat avec Microsoft sur la voiture connectée, prélude à la voiture autonome ; quant à Fiat et Chrysler, par exemple, ils collaborent timidement avec Google. L'économie hexagonale tirera-t-elle quelque bénéfice ce cette révolution ? Nos confrères d'Industrie et Technologies ont recensé par moins de « vingt technologies made in France qui permettent de lâcher le volant ».

Faire comme un homme

Beaucoup d'investissements ont été consacrés au développement des capteurs. Mais « la conduite requiert des capacités cognitives [...] de haut niveau, exigeant en outre un apprentissage », comme l'explique Denis Gingras, professeur à l'université de Sherbrooke au Québec, cité par le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA, 4 octobre). « Aujourd'hui, les algorithmes vérifient qu'ils ne rencontrent pas d'obstacles prédéfinis : pas de piéton, pas de camion, pas de moto, pas de mur, etc. », souligne Jen-Hsun Huang, directeur général de Nvidia, cité par L'Usine digitale (28 septembre) ; « mais quand on conduit », poursuit-il, « on n'énumère pas de liste de ce genre, on voit juste que la route est libre ». Voilà précisément ce à quoi devront parvenir les intelligences artificielles.

Celles-ci éviteront probablement des accidents aux automobilistes. Mais peut-être les placeront-elles également sous surveillance. Ainsi Tesla a-t-il annoncé que ses voitures autonomes seraient soumises à des conditions d'utilisation : « pas question pour les taxis d'imaginer revendre leur licence pour devenir propriétaire d'une voiture autonome lucrative, qui irait chercher et déposer toute seule les clients », résume Guillaume Champeau sur Numerama (21 octobre). Ce faisant, le constructeur de Palo Alto entend privilégier sa propre plate-forme de covoiturage, faisant concurrence à Uber. Ses clients seront-ils prêts à le tolérer ? C'est possible : parmi les acheteurs de livres numériques, par exemple, beaucoup demeurent fidèles à Amazon en dépit des contraintes que celui-ci leur impose. Quoi qu'il en soit, « le véhicule autonome va bouleverser l'industrie automobile dans son business model », prévient François Jaumain, associé spécialiste des transports chez PWC, cité par le CCFA (27 octobre) ; « le volume des ventes comme indicateur de performance va laisser sa place, peu à peu, aux kilomètres parcourus », annonce-t-il notamment.

Libérer le code source

Peut-être une garantie de transparence dissiperait-elle un certain nombre d'inquiétudes suscitées par l'émergence de la voiture autonome. Dans l'idéal, les intelligences artificielles appelées à la piloter ne devraient-elles pas constituer un "bien commun" ? Au moins devront-elles s'accorder sur un langage commun : conscients de cette nécessiter, Ford et Jaguar-Land Rover travaillent déjà à faire communiquer leurs véhicules. Udacity, une entreprise californienne, cultive une tout autre ambition : voilà qu'après avoir développé un logiciel de conduite autonome, elle va le diffuser en "open source", comme le rapporte Industrie et Technologies (27 octobre). Un exemple à suivre !

L'hydrogène, une technologie d'Action française !

15 avril 2015
Article publié dans L'Action Française 2000

Alors que l'exploitation de l'hydrogène s'avère pleine de promesses, les pouvoirs publics tardent à accompagner son développement.

Cyrus Smith, héros de L'Île mystérieuse, l'avait annoncé dès 1875 : « Oui, mes amis, je crois que l'eau sera un jour employée comme combustible, que l'hydrogène et l'oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d'une intensité que la houille ne saurait avoir. » Le rêve de Jules Verne est devenu réalité : jadis cantonnée à la conquête spatiale, l'exploitation de l'hydrogène s'est banalisée.

Créer un réseau de distribution

« Dans plusieurs applications de niches, telles que les chariots élévateurs ou encore les alimentations secourues, l'hydrogène énergie se substitue progressivement à des solutions préexistantes, telles que les batteries électrochimiques, désormais jugées moins performantes », comme l'observent les parlementaires socialistes Laurent Kalinowski et Jean-Marc Pastor, respectivement député de la Moselle et sénateur du Tarn, auteurs d'un rapport publié fin 2013. En décembre dernier, Toyota a même commercialisé la Mirai, une voiture dont le fonctionnement produit pour seul déchet... de la vapeur d'eau. « Elle ne pollue pas plus qu'une électrique et n'en a pas les inconvénients », s'enthousiasme notre confrère Jean-Luc Moreau. « C'est un must », conclut-il dans Auto Moto. En dépit d'un prix élevé (80 000 euros outre-Rhin), le succès est au rendez-vous : à l'origine, sept cents exemplaires devaient être assemblés chaque année ; finalement, en 2016, ce sont plus de deux mille Mirai qui devraient sortir des chaînes, selon nos confrères de TF1.

Les Français ne seront pas les premiers servis. Il est vrai que les pompes à hydrogène ne sont pas légion dans l'Hexagone. La faute aux pouvoirs publics ? En partie seulement. « Dans ces deux grands pays d'industrie automobile que sont l'Allemagne et le Japon », expliquent MM. Kalinowski et Pastor, « la plus grande part de l'investissement nécessaire à la création de cette infrastructure de distribution d'hydrogène devrait être prise en charge par les constructeurs automobiles eux-mêmes ». Or, qu'en est-il des constructeurs français ? Tandis que Renault a fait un pari sur les batteries, PSA s'est enfoncé dans l'impasse de l'hybride diesel... En conséquence, « ce sont des acteurs de plus petite taille qui essaient d'identifier des applications de mobilité pour lesquelles le véhicule à hydrogène pourrait devenir concurrentiel ». Ainsi la société Symbio FCell greffe-t-elle des piles à combustible sur des véhicules existants, tel le Kango ZE. Plébiscitant cette démarche, les parlementaires envisagent « un déploiement progressif de stations à hydrogène de taille réduite, initialement destinées à alimenter des flottes captives de véhicules utilitaires, mais susceptibles d'être par la suite ouvertes au public ».

Décentraliser l'énergie

« La filière a pris du retard », constate Jean-Marc Pastor, « mais notre pays a la particularité de posséder le plus d'industriels – y compris des petites et moyennes entreprises – qui travaillent sur l'hydrogène partout dans le monde » : « au Japon, en Corée du Sud, en Floride, on voit partout des équipements Air liquide ou Total », a-t-il souligné lors d'une réunion en commission. Malheureusement, les innovations sont entravées par un cadre réglementaire dépassé, élaboré au temps où l'hydrogène n'était manipulé qu'en grandes quantités : « ainsi la construction d'une petite unité de production d'hydrogène par électrolyse de l'eau nécessite-t-elle a priori de s'astreindre à un processus d'autorisation extrêmement complexe, puisque conçu pour une installation industrielle », déplore-t-il dans son rapport. Michelin en a fait la triste expérience, alors qu'il travaillait au développement d'une nouvelle technologie : « au bout de cinq années de démarches vaines auprès de l'administration française », le manufacturier « a délocalisé son équipe à Fribourg où toutes les autorisations ont été obtenues en trois mois ».

La "transition énergétique" saura-t-elle s'accommoder d'une pareille inertie des pouvoirs publics ? Selon MM. Kalinowski et Pastor, seule l'exploitation de l'hydrogène serait « en mesure de compenser, sur la durée, des fluctuations importantes de la production des énergies renouvelables ». Concrètement, il s'agirait, par exemple, de stocker par ce biais des excédents en provenance d'éoliennes, afin de les réinjecter plus tard dans le réseau. Alors qu'il vient d'inaugurer un centre de recherche dédié à l'hydrogène, comme le rapporte Clubic, Toshiba y voit le moyen d'importer de l'énergie au Japon « sans la nécessité de construire des lignes de transmission pour connecter un site de production extérieur au Japon ». Toutefois, selon les rapporteurs du Parlement, « le réalisme impose de privilégier, chaque fois que possible, une production décentralisée de l'hydrogène, répartie dans les territoires au plus près des besoins ». À leurs yeux, « ce choix ne constitue pas [...] une contrainte, dès lors que l'hydrogène peut être produit à partir de ressources locales, qu'il s'agisse de biogaz, de déchets ligneux ou d'électricité ». Aussi conviendrait-il « d'envisager une organisation du réseau électrique plus modulaire et plus robuste, basée sur l'agrégation de sous-réseaux ».

Ce faisant, la France pourrait même « s'affranchir de toute dépendance exclusive vis-à-vis d'une source d'énergie ». Resterait à sécuriser les approvisionnements en platine, nécessaire à la fabrication des piles à combustible... En résumé, l'hydrogène pourrait contribuer à la décentralisation effective du pays, sans affecter son économie, ni sacrifier l'indépendance nationale – bien au contraire ! Autrement dit, c'est une technologie d'Action française.