Les souverainistes aveugles devant l'Europe en faillite

12 mars 2015

L'Europe ne fonctionne pas, mais ses détracteurs les plus virulents ne sont pas là pour le dire.

Avant-hier, mardi 10 mars, la Commission européenne a officialisé le délai de deux ans imparti à la France pour remettre un peu d'ordre dans ses finances publiques, conformément aux règles censées régir le fonctionnement de l'Union économique et monétaire (UEM).

S'agit-il d'une nouvelle humiliation ? François Hollande est « tenu en laisse par Bruxelles », a dénoncé Nicolas Duont-Aignan ; « la Commission européenne dicte la politique de la France », vient de confirmer aujourd'hui le Front national. Décidément, les souverainistes se plaisent à croire qu'ils vivent dans cette Europe fédérale qu'ils prétendent honnir ! Les sanctions vont pleuvoir sur Paris, préviennent-ils. À la faveur de quel miracle ? Nul ne le sait. Or, depuis que l'euro a été substitué en franc, Paris s'est montré coutumier des dérapages budgétaires, sans que les mécanismes institutionnels et juridiques censés maintenir les États dans les clous n'aient jamais été tout à fait mis en œuvre.

Cet échec apparaît d'autant plus criant à l'heure où le marché n'est plus en mesure d'assurer sa fonction régulatrice, la Banque centrale européenne ayant entrepris de tirer les taux vers le bas. Autrement dit, l'aléa moral aidant, le laxisme risque fort de présider quelque temps encore à la gestion des finances publiques. L'escroquerie inflationniste s'avérant impraticable prou cause de monnaie unique, précisément, cela pourrait très mal finir.

Bref, l'Europe ne fonctionne pas. On le savait déjà, mais force est de constater que les  souverainistes ne sont pas là pour le dire. C'est normal : ils sont à peu près les seuls à croire le contraire.

NB – Nous reprenons à notre compte ce constat fait par Charles Wyplosz sur Telos : « Le juridisme du pacte de stabilité n'a pas résisté aux arbitrages politiques. [...] Un pays souverain peut dire non aux injonctions de la Commission, s'il l'ose et s'il en a les moyens. » À lire également, chez nos confrères d'Euractiv, à propos des recommandations budgétaires formulées par la Commission européenne : « Jusqu'ici, les États membres ne se sont [...] pas empressés de les traduire en mesures nationales. En 2013, seuls 9 % des recommandations ont été entièrement concrétisées. Pour 2014, ce chiffre est encore moins élevé  selon la Commission, les Vingt-Huit n'ont mis en place, entièrement ou presque, que douze des cent cinquante-sept recommandations établies l'an passé, soit environ 7,5 %. » C'est dire la réalité de la dictature de Bruxelles fantasmée par nos petits camarades souverainistes...

Europe : les États n'ont pas dit leur dernier mot

5 juillet 2014

Considérations sur la dimension intergouvernementale de l'Union européenne.

« L'Allemagne et le Royaume-Uni sont les meilleurs ennemis de Bruxelles », rapporte Euractiv. « Les deux pays sont ceux qui ont adopté le plus souvent des votes opposés », expliquent nos confrères. « Dans 16 % des cas », précisent-ils, Berlin et Londres « ont adopté des positions contradictoires lors des réunions qui regroupent les ministres européens ».

Autrement dit, les deux États s'opposant le plus souvent au sein du Conseil s'accordent tout de même dans 84 % des cas.

Ces chiffres ne devraient-ils pas interpeller les souverainistes ? Ils donnent matière à s'interroger sur le mythe d'une Europe imposant son diktat aux États. N'en déplaise aux idéologues volontaristes, ceux-ci, à commence par la France, semblent bel et bien consentants...

À la veille des élections européennes, des européistes ont d'ailleurs regretté le poids qui leur était conféré par le traité de Lisbonne. « Donner un chef » au Conseil européen, c'était « lui donner plus de pouvoir », a regretté, par exemple, l'écologiste belge Isabelle Durant. « Garder la présidence tournante aurait garanti le respect de l'intérêt commun et de la méthode dite communautaire », a-t-elle expliqué à Euractiv. De son point de vue, résument nos confrères, Herman Van Rompuy a brossé « une caricature de la nouvelle méthode de travail introduite par le traité de Lisbonne. Dans un souci de recherche de consensus, il fait valoir l'intérêt de chaque État membre au lieu de faire avancer la cause européenne ».

Entre les européistes qui rêvent d'une Europe fédérale, et les souverainistes qui en font des cauchemars, la différence n'apparaît pas bien grande en définitive !

Europe : la fuite en avant

6 octobre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Le marasme financier se prête à la surenchère fédéraliste. Avec le risque, pour l'Union européenne, d'essuyer de nouveaux échecs dont l'économie ferait les frais.

Une réforme de la "gouvernance économique" de l'UE a été approuvée par le Parlement européen le 28 septembre. Selon ses promoteurs, la discipline budgétaire des États membres devrait s'en trouver renforcée, ainsi que la surveillance des déséquilibres macro-économiques. Cela étant, les fantasmes des européistes les plus fervents sont loin d'être réalisés. Dans un entretien accordé à La Tribune, le Français Joseph Daul, chef de file des eurodéputés PPE, prône un "big bang" fédéral. Ce serait « très simple » selon lui : « Les gouvernements [...] devraient décider de s'attaquer de façon drastique à leur endettement en prenant, en bloc et le même jour, des mesures telles que la convergence vers le haut de l'âge de la retraite et de la durée hebdomadaire du travail, ou encore l'harmonisation de leur fiscalité. » Des paroles en l'air.

Multiples précédents

D'autres évoquent une nouvelle révision des traités européens. « Parmi les mesures envisagées figure notamment la transformation de l'Eurogroupe en une institution à part entière, disposant d'un secrétariat renforcé et de procédures propres afin d'assurer la continuité des travaux entre chaque réunion mensuelle des ministres des Finances de la monnaie unique », croit savoir La Tribune. Cela serait-il inenvisageable en l'état du droit ? Des années durant, le Conseil européen des chefs d'État ou de gouvernement de l'Union s'était réuni en marge du formalisme juridique... Étant donné la gestation délicate du Fonds européen de stabilité financière, la ratification laborieuse du traité de Lisbonne, le fiasco du traité établissant une constitution pour l'Europe, peut-être faudrait-il s'épargner des péripéties supplémentaires. D'autant qu'une telle aventure nourrirait vraisemblablement l'incertitude honnie par l'économie.

SEAE : un appel au bon sens

29 avril 2010

Tandis que les Vingt-Sept prétendent s'être accordés sur les fondations du Service européen pour l'Action extérieure, Michel Foucher fustige la pression exercée par le Parlement européen afin de le soustraire à l'influence des États.

« Ceci risque de retarder l'entrée en fonction du Service, qui ne devrait sans doute pas arriver avant l'automne », a-t-il confié à notre confrère Marek Kubista. « Le Parlement commet une erreur en estimant que des politiques communes pourraient être bâties en court-circuitant les États. C'est l'inverse : il faut faire converger des politiques nationales pour édifier des lignes de force d'intérêt collectif européen. [...] Je ne crois pas du tout qu'à Pékin, Washington ou Moscou, la vieille diplomatie soit complètement obsolète, bien au contraire. Les positions communes européennes ne peuvent exister que si les États, et particulièrement les grands, l'élaborent à partir de leurs positions nationales. »

Preuve que le bon sens n'est pas étranger à nos élites, dont les souverainistes stigmatisent trop hâtivement l'européisme. Michel Foucher, que nous découvrons à cette occasion, dirige notamment la formation à l'IHEDN. Entre 1998 et 2002, si l'on en croit la biographie que lui consacre Wikipedia, il fut conseiller en charge des affaires politico-stratégiques au cabinet d'Hubert Védrine – un chantre du "réalisme" alors ministre des Affaires étrangères, parfois taxé d'euroscepticisme. Mais cela n'empêche pas M. Foucher de codiriger par ailleurs le rapport Schuman sur l'état de l'Union !

Qu'est-ce que l'européisme ?

17 octobre 2009

Constatant notre aversion pour le souverainisme, des esprits manichéens nous rattachent injustement au courant européiste. Voyons comment Hubert Védrine définit celui-ci. Extrait du Rapport sur la France et la mondialisation auquel nous souscrivons volontiers.

Le courant fédéraliste européen [...] se présente plutôt comme "intégrationniste". C'est à son propos qu'est de plus en plus souvent employé le terme "européiste", pour le distinguer d'un courant beaucoup plus large, pro-européen, mais qui veut aller moins loin dans l'intégration. Les européistes ont longtemps prétendu être les seuls vrais "européens", taxant d'anti-européens les non-intégrationnistes. Cette prétention n'a pas survécu aux référendums de 2005 et à leurs suites. Il y a plusieurs façons d'être "européen".

Des États-nations archaïques

Avec de bonnes raisons et de louables intentions, ce courant avait milité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour le dépassement des États-nations, par définition archaïques, égoïstes et dangereux, leur politique étrangère y compris, comme les deux guerres mondiales étaient censées l'avoir montré, et la construction d'une Europe très intégrée. Il a inspiré au moins deux générations d'élites, même s'il est toujours demeuré minoritaire dans le grand public.

Politiquement, le centre en a été longtemps l'incarnation. La droite française s'est ralliée à la construction européenne en espérant que naîtrait ainsi une "Europe puissance", sous leadership français. Désespéré sous De Gaulle, un peu plus à l'aise sous Pompidou, le courant intégrationniste a repris espoir sous Valéry Giscard d'Estaing (avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel, plus qu'avec l'institutionnalisation du Conseil européen). Et surtout sous Mitterrand avec la relance de la construction européenne au Conseil européen de 1984, la nomination de Jacques Delors à la tête de la Commission et jusqu'en 1995, avec cet extraordinaire leadership européen à trois, avec Helmut Kohl, qui a conçu Maastricht et a réussi à le faire ratifier. C'est dans ces années-là que la gauche, dans son immense majorité déjà pro-européenne par antinationalisme, s'est mise à son tour à croire à "l'Europe puissance" et plus encore à une improbable "Europe sociale", qui réconcilierait ses divers objectifs. En même temps, enhardi par ces avancées et la perspective d'une monnaie unique dont il attendait un choc politiquement fédérateur, le courant fédéraliste redevenait très ambitieux.

La fuite en avant institutionnelle des années qui ont suivi Maastricht - traité d'Amsterdam, traité de Nice, Convention, traité "constitutionnel" - est la résultante de deux forces. D'une part la volonté de presque tous les États membres, à commencer par l'Allemagne et la Grande Bretagne, d'élargir aussi vite que possible pour différentes raisons l'Union européenne aux anciens membres du pacte de Varsovie libérés par la fin de l'URSS, ce qui nécessitait un nouveau traité ; et d'autre part la volonté des forces fédéralistes (Commission, Parlement européen, médias proches de la Commission, journalistes français, allemands et italiens, think tanks spécialisés, milieux économiques) de donner à chaque fois aux nouvelles institutions un caractère plus intégré, y compris pour la politique étrangère, en attendant "la prochaine étape" carrément fédérale.

Pas d'échappatoire

Ce retour en arrière est indispensable pour comprendre pourquoi, pour les tenants de cette thèse, pendant cette quinzaine d'années, ce qui concernait la politique étrangère et de défense française, sa définition, sa conduite, son adaptation paraissait de moins en moins important. Puisque la diplomatie française était vouée à se fondre un jour dans une politique étrangère européenne commune (en oubliant au passage la distinction fondamentale entre "commune" et "unique"), puisque c'était souhaitable et inéluctable, pourquoi s'accrocher à des traditions ou zones d'influence dépassées (francophonie, Afrique, monde arabe, Nord-Sud) qui énervaient nos partenaires européens (supposés eux, des européens parfaitement désintéressés) et agaçaient les Américains [...] ? Pourquoi, si ce n'est par goût de la gloire, maintenir ces voyages des ministres ou du président français, ces missions, ces initiatives, ces sommets franco-quelque chose, le siège français au Conseil de sécurité, l'obsession de la francophonie, etc., alors que le sens de l'histoire imposerait d'"européaniser" lentement mais sûrement notre politique étrangère ?

Aucun parti, aucun leader (pas même Jacques Delors, plutôt réaliste, ou Valéry Giscard d'Estaing, parce qu'ancien président français) n'a complètement préconisé cette ligne. Mais elle a pesé très lourd sur le débat public de 1992 à 2005. Cette tendance qui taxait de frileux tout ce qui n'était pas elle, aurait mérité une interpellation critique. [...] Les autres pays européens renonçaient-ils ainsi à eux-mêmes (voir les zones d'influence de chaque État membre) ? Européaniser, n'est-ce pas en fait abandonner ? En quoi une Europe refuge de nations fatiguées d'elles-mêmes pourrait-elle être forte ?

Mais plus que ces interrogations légitimes, c'est plutôt le désaveu brutal en 2005 [...] qui a donné un coup d'arrêt à cette fuite en avant. Même si le traité simplifié est, comme c'est probable, ratifié, avec un haut commissaire pour les relations extérieures cumulant les fonctions actuelles de Javier Solana, M. PESC, et de Benita Ferrero-Waldner, commissaire européen pour les Relations extérieures - progrès bienvenu -, et que la France fait tout pour qu'il réussisse dans sa mission, il y aura demain, comme aujourd'hui, une politique étrangère française et britannique, et allemande, etc. Nous n'allons pas nous en remettre à "l'Europe", contrairement à ce que certains annonçaient ou préconisaient, ni mettre sac à terre.

Pas d'échappatoire possible. Nous allons devoir continuer à penser et à repenser notre politique étrangère, pour nous-mêmes, et aussi pour peser de tout notre poids dans l'élaboration de la partie européenne commune des politiques étrangères des Vingt-Sept, la Politique étrangère de sécurité et de défense commune, et dans son renforcement, auquel nous avons intérêt.

Ministre fédéraliste

24 septembre 2009

Hervé Morin affiche sans complexe ses convictions fédéralistes.

Quelques passages nous ont interpellé dans l'intervention prononcée ce jeudi matin par le ministre de la Défense, Hervé Morin, dans l'amphithéâtre Foch de l'École militaire : « Je vais en choquer certains », a-t-il averti, mais « j'espère qu'un jour l'Europe sera une construction fédérale ». Dans cette perspective, "l'Europe de la défense" n'apparaît « pas seulement comme une construction technique », mais comme « un instrument d'une construction politique ».

Le ministre mesure-t-il les conséquences de son ambition ? Apparemment : « Nous acceptons l'idée d'avoir des dépendances mutuelles » en matière d'armement, a-t-il affirmé sans ambiguïté ; car « nous ne pourrons pas construire l'Europe de la défense en maintenant l'ensemble des savoir-faire en France. »

Serait-il possible, alors, de les conserver sans la construire ?

Ce discours s'inscrivait dans une série d'interventions consacrées aux « nécessaires progrès de l'Europe de la défense », prononcées à l'invitation de la a fondation Robert Schuman. Nous reviendrons sur cette journée, où nous avons salué le très sympathique Jean Dominique Merchet. 🙂