Paris et Londres sur les mêmes bateaux
16 septembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
Paris et Londres promettent d'accroitre leur coopération en matière de défense. Quelques perspectives se dessinent effectivement, mais les réalisations ne seront sans doute pas à la mesure de l'enthousiasme affiché par les politiques.
L'Entente cordiale va-t-elle se reconstituer à la faveur de la Crise ? Le vendredi 3 septembre 2010, Hervé Morin a reçu à Paris Liam Fox, son homologue britannique. Dans un contexte économique difficile, tandis que Londres achève la revue stratégique de sa politique de défense, les ministres se seraient dits « prêts à développer leur coopération bilatérale avec l'objectif de mutualiser plusieurs équipements militaires », selon un communiqué diffusé par l'hôtel de Brienne.
Convergence de vues
Afghanistan, lutte contre le terrorisme, soutien au Pakistan, lutte contre la piraterie, Kosovo, Proche-Orient, Iran, Géorgie... La France et le Royaume-Uni « ont une très grande concordance de vues sur tous les dossiers majeurs », ont observé les sénateurs Josselin de Rohan et Daniel Reiner dans un rapport enregistré le 9 juillet. Lors de leur rencontre, les ministres ont confirmé, notamment, leur volonté commune de réformer l'Alliance atlantique avec comme objectifs « une réduction de la bureaucratie, un contrôle budgétaire plus accru, la diminution des états-majors ». De part et d'autre de la Manche, entre chacune des trois armées, les relations seraient « excellentes » ; leur collaboration se serait « indiscutablement renforcée » depuis le sommet de Saint-Malo de 1996, si l'on en croit les parlementaires. En juillet 2009, par exemple, des procédures de "soutien mutuel outre-mer" ont été définies, permettant à l'un des pays d'utiliser, si nécessaire, les installations de l'autre. En février dernier a été signé un accord pour opérer en commun des acquisitions d'urgence. Depuis quatre ans, un "groupe de haut niveau" promeut la coopération en matière d'armement. Mais concernant les programmes, le bilan s'avère « mitigé » aux yeux des rapporteurs. Le journaliste Jean-Dominique Merchet l'a confirmé : « Si l'on exclut l'aventure, coûteuse et chaotique, de l'A400M, le seul domaine de coopération est celui des missiles de MBDA [une entreprise franco-britannique], avec l'Aster et le Météor, qui sont des programmes déjà bien engagés. La suite pourrait être prise par le missile tactique naval, si les budgets le permettent. » (Secret Défense, 14/09/2010)
« Sur les tankers, le maintien en condition opérationnelle de l'A400M et les moyens navals, nous pouvons aller vers plus de mutualisation », a annoncé Hervé Morin. L'utilisation commune de pétroliers-ravitailleurs et autres navires de soutien serait, selon notre confrère, l'une des pistes « les plus sérieusement explorées par les états-majors des deux pays ». D'autant que des bâtiments sont appelés à une renouvellement prochain dans chacune des flottes : « D'où l'idée d'étudier s'il ne serait pas possible de faire quelque chose en commun. »
Un député sans tabou
N'ayant « aucun tabou », le député Hervé Mariton a confié à Romain Rosso qu'il ne lui paraissait « pas inconcevable d'avoir, dans l'avenir, un outil militaire (avion ou bateau), qui porte alternativement les couleurs de la France et celles du Royaume-Uni » (L'Express, 03/09/2010). L'Union Jack va-t-il bientôt flotter sur le Charles-de-Gaulle ? La presse britannique l'a plus ou moins envisagé, non sans émoi. Aussi Liam Fox a-t-il mis fin aux rumeurs en jugeant « irréaliste » le partage des porte-avions. En pratique, cela s'avérerait d'autant plus délicat que les porte-aéronefs britanniques seraient incapables d'accueillir les Hawkeye français, ces avions dédiés à la surveillance aérienne dont la carlingue est coiffée d'une sorte de soucoupe. Si l'affaire a fait grand bruit, elle restera évidemment sans lendemain. « La coopération peut aussi toucher les questions liées à la dissuasion », a prévenu Hervé Mariton. Le cas échéant, elle sera vraisemblablement menée en toute discrétion. En outre, il faudra compter avec la "relation spéciale" que Londres entretient avec Washington : rappelons que les marins français ne sont pas autorisés à pénétrer dans la partie arrière des sous-marins britannique armés de missiles Trident américains.
Partenaire privilégié de la France, le Royaume-Uni n'en reste pas moins en marge du Commandement européen du transport aérien (EATC), inauguré le 1er septembre sur la base néerlandaise d'Eindhoven. « Le fonctionnement peut être comparé à un covoiturage », selon les explications de la Défense nationale : « Par exemple, lorsqu'un avion français se rend en Afghanistan, il peut revenir avec des soldats allemands, ce qui évite un voyage à vide. » La France participe au projet aux cotés de l'Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas, avec des avions de transport tactique de type Hercules, Transall, Casa, et stratégique de type Airbus – soixante appareils au total. « Le processus opérationnel reste similaire à celui qui était en vigueur jusqu'à présent, si ce n'est qu'au lieu de déclencher les missions depuis [...] Villacoublay, elles se déclencheront à partir d'Eindhoven. Les appareils sont toujours répartis sur leurs bases aériennes respectives, mais ce sera bien l'EATC qui se chargera de la planification, du tasking des aéronefs et de la conduite des missions. »
Covoiturage militaire
L'EATC sera en mesure de conduire des missions de transport à compter du 31 décembre prochain, avant d'atteindre sa pleine capacité opérationnelle en juillet 2013. C'est un premier pas dans la direction tracée par Pierre Lellouche le 27 aout : « Face au "mur budgétaire" incontournable qui est devant nous, les Européens n'ont d'autre choix qu'entre, d'une part, une approche résolument nouvelle, s'appuyant sur le partage des tâches et des compétences, et, d'autre part, un réflexe suicidaire de protection de ce qui subsiste encore, ici ou là, de leur industrie de défense, avec le risque très réel de disparition de la capacité industrielle européenne dans ce domaine. Il est donc indispensable de passer d'une logique de "coopération à l'ancienne", fondée sur le "juste retour", des coûts exorbitants et la duplication inutile de matériels, à une logique radicalement nouvelle : celle du partage des capacités et de la spécialisation des compétences. » De son côté, Hervé Morin entend créer avec le Royaume-Uni « des liens extrêmement forts menant vers une interdépendance » (Euractiv 06/09/2010). Le discours du ministre tranche quelque peu avec celui de MM. de Rohan et Reiner, pour qui « la coopération France-Royaume-Uni est un élément fondamental et indispensable de notre souveraineté et de notre indépendance militaire, c'est-à-dire aussi de l'autonomie de notre politique étrangère ».
Les politiques ont beau fantasmer en agitant à tous crins l'étendard de la « mutualisation », ils devront compter avec les réalités. Si nécessaire, les militaires les leur rappelleront. Partisan convaincu, lui aussi, de l'alliance avec les Britanniques, l'amiral Guillaud, chef d'état-major des armées, ne préfère-t-il pas parler d'« optimisation » ?