Le mythe de l'obsolescence programmée : un privilège de riches

3 octobre 2014

Les conspirationnistes prônant la "dissidence", ainsi que les esprits fantaisistes en quête de "décroissance", sont-ils aussi loin du pouvoir qu'on l'imagine généralement ? Visiblement, un certain nombre de politiciens puisent aux mêmes sources intellectuelles.

Force est de le constater, à la découverte d'un amendement au projet de loi « relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ». Déposé par le député Éric Alauzet, défendu par Cécile Duflot, il a été adopté en commission avec la bénédiction du gouvernement. Afin de lutter « contre l'obsolescence programmée des produits », il s'agirait d'assimiler à une tromperie « l'hypothèse d'une durée de vie du produit intentionnellement raccourcie lors de sa conception ».

« Je parle [...] de produits dont des ingénieurs ont révélé qu'ils ont, à la demande de leur direction, volontairement fragilisé les composants », a soutenu Cécile Duflot, selon laquelle « l'obsolescence programmée n'est pas un scoop ». Il est vrai que ce fantasme est largement partagé. « C'est une de ces idées qui tient une bonne place dans la conscience populaire, mais qui ne convainc guère les économistes, pour plusieurs raisons », exposées notamment par Alexandre Delaigue, enseignant à l'université de Lille I « Si les économistes sont sceptiques vis-à-vis de l'obsolescence programmée », précise-t-il, « c'est que cette stratégie apparemment subtile n'a en réalité aucun sens ». Nous renvoyons nos lecteurs à ses explications.

« Comme nous sommes des enfants gâtés par la société de consommation », poursuit-il, « nous voudrions que tout soit à la fois durable, esthétique, pratique, et peu cher ». Paradoxalement, peut-être le confort et la profusion nourrissent-ils la frustration des consommateurs, qui masquent leur responsabilité derrière un bouc émissaire, désigné en la personne d'un industriel cupide complotant contre leur pouvoir d'achat... L'obsolescence programmée, mais aussi l'idéologie de la décroissance, dont elle est peut-être un mythe fondateur, c'est un privilège de riches, une fantaisie intellectuelle vraisemblablement réservée aux Occidentaux.

« L'idée » de légiférer contre l'obsolescence programmée « me paraît d'autant plus intéressante que nous voulons changer de modèle », a déclaré Ségolène Royal. De quel modèle parle-t-on, au juste ? « Dans nos pays développés », explique Alexandre Delaigue, « les produits fabriqués en grande série ne coûtent pas cher, parce que nous disposons d'un immense capital productif ; par contre, le travail est très cher ». « La situation est inverse dans les pays en développement. Résultat ? Chez nous il est bien moins coûteux de racheter du matériel neuf que de consacrer du temps de travail à le réparer. » À l'inverse, au Ghana, par exemple, « le travail est abondant et ne coûte (et ne rapporte) presque rien ».

De ces deux modèles, quel est le plus enviable ?

NB – Que nos lecteurs ne se méprennent pas. La "culture du jetable" nous chagrine nous aussi. D'ailleurs, au moment de choisir un ordinateur, nous privilégions toujours les gammes professionnelles afin de bénéficier d'un accès aisé aux composants. En outre, nous avons bon espoir que la Toile contribue à diffuser les connaissances nécessaires à la réparation de produits jusqu'alors condamnés... Sans parler des opportunités offertes bientôt par la généralisation de l'impression 3D ! Mais quand il s'agit de politique, on ne saurait se satisfaire de bons sentiments.

Mise à jourC'est désormais la loi qui l'affirme, après avoir été adoptée en ces termes le 22 juillet 2015 : « L'obsolescence programmée se définit par l'ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement. L'obsolescence programmée est punie d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits. »

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