Des concombres émancipés...
16 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000
Vingt-six fruits et légumes sont libérés des normes communautaires qui prohibaient les produits difformes. Une fois n'est pas coutume, Bruxelles semble inspiré par le bon sens. Les producteurs s'en réjouissent-ils ?
Les concombres mal formés reviennent sur les étals. Le 7 juillet, le Bulletin de réinformation de Radio Courtoisie, dirigé ce jour-là par Romain Lecap, a salué « la libération de vingt-six fruits et légumes des diktats de la Commission européenne » (1). Leur taille, leur forme et leur couleur étaient encadrées par un règlement dont l'abrogation est effective depuis le 1er juillet.
Rationalisation
Selon la Commission, cela constitue « un élément majeur dans ses efforts de rationalisation et de simplification des règles de l'UE ». Des normes sont maintenues pour dix produits représentant 75 % de la valeur des échanges de l'Union (2) ; mais les États membres sont libres de passer outre : « Concrètement, cela signifie qu'une pomme qui n'est pas conforme [...] pourra être vendue dans le commerce de détail, pour autant qu'elle soit pourvue d'une étiquette portant la mention "produit destiné à la transformation" ou une mention équivalente. »
Mme Mariann Fischer Boel, le commissaire danois en charge de l'Agriculture et du Développement rural, se félicite : « Les consommateurs auront [...] la possibilité de choisir parmi une gamme de produits la plus large possible. Il est absurde de jeter des produits parfaitement comestibles au simple motif qu'ils sont de taille et de forme irrégulières. » Elle esquisse même, par omission, une caricature des règles édictées par ses prédécesseurs. En effet, selon une synthèse officielle du règlement de 1996 portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, « le respect des normes [n'était] pas imposé avant l'emballage et le conditionnement, ainsi que dans le cas des produits destinés à la transformation ». Des abricots boursoufflés pouvaient donc servir aux confitures. Cela dit, Bruxelles ferait-il un pas sur la voie du bon sens ?
Des producteurs mécontents
Interrogée sur le sujet, la FNSEA nous a dirigé vers la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), signataire le 28 avril 2008 d'un communiqué demandant « le maintien global des trente-six normes européennes des fruits et légumes, seule garantie de la loyauté et de la sécurité des transactions commerciales, pour assurer un approvisionnement de qualité au consommateur ».
Mme Fischer Boel l'assure : « Nous n'avons pas besoin de légiférer sur ces questions au niveau de l'UE. Il est de loin préférable de laisser cela à l'appréciation des opérateurs économiques concernés. » Cette perspective inquiète justement le Copa-Cogeca (3) : « Les normes [...] assuraient une transparence du marché et permettaient aux opérateurs d'avoir un langage commun pour définir des paramètres homogènes pour la qualité des fruits et légumes. » De plus, elles « veillaient à ce que les fruits et légumes importés sur le marché communautaire respectent les mêmes règles de qualité que la production européenne. [...] Les initiatives privées visant à établir de nouvelles normes de commercialisation vont se développer dans les vingt-sept États-membres, ce qui va à l'encontre du marché unique. » En conséquence, rapporte Julie Majerczak, « les diktats seront imposés par la grande distribution au lieu de venir de Bruxelles » (Libération, 11/11/2008).
Tandis que la FNFP dénonce l'« effondrement » du revenu des producteurs de fruits (- 37 % entre 2007 et 2008), les prix pourraient être tirés vers le bas. Une chance pour les consommateurs ? Selon le Copa-Cogeca, poursuit notre consœur, « il deviendra plus difficile de comparer les prix et la qualité sera incertaine, puisque les lots ne seront plus nécessairement homogènes ».
La fin du diktat ?
L'affaire se révèle beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Le Copa et la Cogeca « rappellent que dix-neuf États-membres se sont opposés à la modification de ce règlement des fruits et légumes ». Perdu dans les méandres du droit communautaire, nous n'avons pas réussi à le vérifier. Libération avait signalé le 11 novembre « l'opposition des pays producteurs, dont la France ». Réuni le lendemain, le Comité de gestion avait rejeté le projet, avant d'émettre, un mois plus tard, le 4 décembre 2008, un avis favorable. À l'unanimité. Nos représentants auraient-ils courbé l'échine, négociant éventuellement quelque contrepartie ? Le cas échéant, "l'Europe" renoncerait certes à imposer son "diktat", mais contre l'avis de la France !
(1) Les produits concernés sont les suivants : abricots, artichauts, asperges, aubergines, avocats, haricots, choux de Bruxelles, carottes, choux-fleurs, cerises, courgettes, concombres, champignons de couche, aulx, noisettes en coque, choux pommés, poireaux, melons, oignons, pois, prunes, céleris à côtes, épinards, noix en coque, pastèques et chicorées Witloof.
(2) Pommes, agrumes, kiwis, laitues, pêches et nectarines, poires, fraises, poivrons, raisins de table et tomates.
(3) Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne et Comité général de la coopération agricole de l'UE.