La France à la conquête de l'espace ?
16 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000
Quarante ans après le premier pas de l'homme sur la Lune, l'espace est au cœur de la compétition mondiale. Fortes du succès d'Ariane, la France et l'Europe sauront-elles tenir leur rang ? Décollage pour un survol des enjeux de la politique spatiale.
Le 21 juillet, nous fêterons les quarante ans du premier pas de l'homme sur la Lune, dont la reconquête est d'ores et déjà lancée. La Russie, la Chine, le Japon et l'Inde envisagent de s'y installer durablement. Ils seront probablement devancés par les États-Unis, engagés dans le programme Constellation s'appuyant sur la vision « Moon, Mars and beyond » exposée par le président Bush en 2004. Premier alunissage en 2020 ! Par comparaison, l'Europe apparaît bien timorée... Le monde est saisi d'une frénésie spatiale : en 2007, on estimait à 2 500 le nombre de satellites en orbite autour de la Terre, dont un millier avaient été lancés en seulement dix ans.
Passions en jeu
En visite à Kourou le 11 février 2008, le président de la République observa que l'espace demeurait, pour moult États, « une affaire de rang et de statut ». Or, selon Nicolas Sarkozy, « le maintien d'un effort budgétaire et industriel aussi considérable ne peut se justifier des décennies durant par le seul souci de prestige ou de démonstration de force ». Sachons raison garder, sans négliger les passions mobilisatrices : le programme Apollo avait enthousiasmé la jeunesse américaine, suscitant de nouvelles vocations scientifiques.
Cela dit, la politique spatiale obéit à des préoccupations essentiellement scientifiques, économiques et sécuritaires. « L'espace constitue la quatrième dimension de la défense nationale » soulignent les parlementaires Christian Cabal et Henri Revol. Dans les années suivant la première guerre du Golfe, les États-Unis ont multiplié par cent la bande passante (le débit) utilisée par leurs soldats impliqués dans un conflit. En 2006, la Chine a neutralisé un satellite espion américain pendant quelques minutes. Plus spectaculaire encore : début 2007, elle a détruit un satellite météorologique lui appartenant par un tir de missile. Jusqu'alors, seuls les États-Unis et la Russie étaient réputés capables d'anéantir un système spatial.
On le voit, « l'espace est un enjeu de souveraineté pour la France : la crédibilité de la dissuasion nucléaire, les compétences technologiques de nos entreprises, leur place sur les marchés internationaux en dépendent ». Notre pays peut s'enorgueillir du succès de ses lanceurs : près des deux tiers des satellites opérationnels en 2007 avaient été lancés par Arianespace ; la fiabilité d'Ariane 5 – première qualité d'un lanceur – l'a même autorisé à pratiquer des tarifs supérieurs à ceux de la concurrence. Maillon essentiel de la filière spatiale, les fusées y occupent pourtant un poids économique marginal : « La fabrication des lanceurs et les lancements représentent 3 % des revenus du secteur, la fabrication de satellites 11 %, la construction et la commercialisation des moyens au sol 24 % et le segment d'opération des satellites et de ventes des services associés 62 %. » Selon les chiffres cités par le président de la République, l'industrie spatiale européenne dégage un chiffre d'affaires annuel de 5 milliards d'euros ; elle représente 30 000 emplois, dont 40 % situés en France. Mais le secteur a souffert : « Le chiffre d'affaires de l'industrie spatiale en France a [...] commencé par croître de plus de 60 % entre 1996 et 2000. Puis une baisse de 28 % est intervenue entre 2000 et 2005. »
Un secteur dual
Dans leur rapport déposé en février 2007, Christian Cabal et Henri Revol avaient relevé les difficultés rencontrées, plus précisément, par la filière des lanceurs : « Ce secteur dual, c'est-à-dire mettant en œuvre des technologies voisines pour des applications civiles ou militaires, employait plus de 4 500 personnes en 1984. En 2006, les effectifs ont fondu de 60 % pour ne plus comprendre que 2 600 emplois. C'est l'arrêt des programmes de la dissuasion sol, du missile balistique mobile Hadès et de la navette européenne Hermès qui est responsable de l'hémorragie. » Arianespace avait été affecté, également, par l'éclatement de la bulle Internet, provoquant un effondrement du marché des satellites de télécommunications.
Or, poursuivent les parlementaires, « la France est le seul pays en Europe où les marchés institutionnels et les marchés commerciaux sont au même niveau. [...] Les marchés institutionnels – civil ou militaire – ont représenté 95 % du chiffre d'affaires de l'industrie spatiale américaine en 2005. L'importance des commandes sur le marché commercial est certes une indication rassurante sur la compétitivité instantanée de l'industrie qui en bénéficie. Mais cette situation crée une dépendance dangereuse vis-à-vis de marchés essentiellement cycliques. »
La loi du marché ?
Selon le vœu de Nicolas Sarkozy « l'exceptionnelle qualité du service rendu par Ariane doit lui permettre d'équilibrer entièrement son activité commerciale », autorisant éventuellement « une réorientation partielle des moyens publics vers de nouveaux programmes ». Étant donné l'importance stratégique des lanceurs, garants de l'autonomie d'accès à l'espace, la prudence s'impose. Pour Christian Cabal et Henri Revol, « la première impasse française et européenne » serait « l'opinion [...] selon laquelle la croissance du secteur spatial peut être assurée d'abord par le marché. Hormis l'Europe, aucune puissance spatiale ne commet cette erreur. Capitalistiques et à long terme, les investissements spatiaux produisent des externalités que les marchés ne prennent pas en compte et peuvent difficilement financer. La concurrence [...] est biaisée par le dumping d'industries, généralement publiques, plus soucieuses d'influence géopolitique que de rentabilité. Faute d'un soutien public suffisant, les industries spatiales européennes voient leur pérennité compromise par une capacité de [recherche et développement] et une rentabilité insuffisantes... »
Nombre de pays offrent un ministère à leur politique spatiale. En France, le Centre national d'études spatiales joue le premier rôle. Il est impliqué dans de multiples coopérations internationales, jugées indispensables : « À titre d'exemple, le CNES maîtrise la réalisation technique de l'altimètre océanographique Altika de nouvelle génération mais ne peut prendre en charge la plateforme. En conséquence, Altika sera implanté sur un satellite lancé par l'Inde. » Faut-il s'en inquiéter ? « La recherche fondamentale doit faire l'objet de coopérations sans réserves. » Toutefois, « plus on se rapproche de l'acte de produire, moins la coopération peut être développée. La conception, l'ingénierie et les savoir-faire de la production sont des atouts dans la compétition commerciale. Leur exportation doit être proscrite. »
Lego spatial
Nos député et sénateur affirment que « l'Europe doit viser l'autonomie des systèmes spatiaux assurant des fonctions stratégiques pour sa sécurité et son développement économique », mais aussi « contribuer à la standardisation des systèmes spatiaux et rechercher la compatibilité de ses propres systèmes avec le plus grand nombre possible de systèmes appartenant aux autres régions du monde. » Assemblée comme un Lego à partir de modules conçus de part le monde, la Station spatiale internationale (ISS) symbolise les perspectives ainsi ouvertes.
L'Agence spatiale européenne (ESA), dont le siège se trouve à Paris, constitue le vecteur de cette ambition. Bien qu'un accord-cadre formalise sa collaboration avec l'Union européenne depuis mai 2004, elle en est indépendante. Parmi ses dix-huit membres, on compte la Suisse et la Norvège, qui n'appartiennent pas à l'UE. Pratiquant le "retour géographique" – une exigence coûteuse –, elle répartit les investissements sur le territoire des États-membres à la mesure de leurs participations. À Bruxelles, « la prise en compte du spatial par la Commission européenne » serait « fragmentée et sous-dimensionnée » selon les parlementaires. Le traité de Lisbonne conférerait à l'Union une compétence partagée en la matière. Une compétence "pragmatique", censée s'ajouter à celle des États sans s'y substituer. « Mais la Commission ne possède aucune compétence technique dans le domaine spatial. Il serait contre-productif qu'elle veuille s'en doter, alors que l'ESA les possède au meilleur niveau, avec un retour d'expérience de plus de trente années. Il serait également très dangereux d'imaginer l'ESA en tant qu'agence communautaire, car l'espace vivra encore largement de programmes optionnels permettant de faire avancer la coopération entre les États-membres les plus motivés. »
Talon d'Achille
Présentes à bord de la Station spatiale internationale, la France et l'Europe n'ont pas la possibilité d'y conduire un équipage par leurs propres moyens. Les vols habités sont leur talon d'Achille, alors que le CNES juge prioritaire l'étude de Mars in situ. Le président de la République exprime sa « conviction qu'un programme d'exploration ne peut être que mondial, sans exclusivité ni appropriation par l'une ou l'autre des nations ». Il fera valoir quelques atouts devant la "communautés internationale" : « Dans l'exploration robotique, le transport de matériel, les technologies spatiales, l'Europe a des secteurs d'excellence où elle peut apporter ses talents pour le bénéfice de tous. »
Elle dispose en outre de formidables potentialités : après qualification pour les vols habités, équipée d'une capsule dotée d'un dispositif d'éjection, Ariane 5 bénéficierait selon la NASA d'une sécurité cinq fois meilleure que celle de la navette spatiale ; et sans développer un lanceur aussi lourd que les Américains, nous pourrions exploiter les rendez-vous orbitaux pour assembler de grandes structures dans l'espace. « L'Europe a la possibilité de rivaliser avec les États-Unis pour des investissements très inférieurs, en capitalisant sur ses investissements antérieurs et en adoptant une approche système de systèmes » clament Christian Cabal et Henri Revol. Quoi qu'il en soit, les retards se paieront cher : « Il faut trente ans pour mettre en place un secteur spatial performant. »
Cet article s'appuie sur le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de février 2007, rédigé sous la responsabilité de Christian Cabal, député, et Henri Revol, sénateur : « Politique spatiale : l'audace ou le déclin - Comment faire de l'Europe le leader mondial de l'espace ».