Y a-t-il des ghettos en France ?
17 juin 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
Le Centre d'analyse stratégique ouvre le débat, à l'approche d'une réforme de la politique de la Ville.
La politique relève parfois d'une affaire de sémantique. Aussi le Centre d'analyse stratégique s'est-il demandé si la désignation de "ghettos" français relevait d'un « abus de langage » ou de la « réalité ». Cela afin d'éclairer le débat sur la politique de la Ville, dont la réforme devrait redéfinir, d'ici à 2011, les logiques de "zonage" du territoire, ainsi que la distribution des moyens financiers. « Un traitement trop strictement spatialisé des problèmes sociaux fait l'objet de critiques en ce qu'il pourrait contribuer à solidifier ce qu'il a pour objectif de défaire », préviennent Marine Boisson et Catherine Collombet.
Le spectre de la "ghettoïsation" serait apparu dans les années soixante-dix, où les populations immigrées furent « les dernières à entrer dans ces grands quartiers d'habitat social en cours de dépréciation, lorsque celles nées en France et les classes moyennes [commençaient] à en sortir ». Trente ans plus tard, les "zones urbaines sensibles" (ZUS) compteraient 23,6 % d'immigrés, contre une moyenne de 3,7 % dans les autres quartiers. « Selon l'étude menée par Michèle Tribalat et Bernard Aubry, en 2005, la proportion des jeunes issus de familles dont au moins un des parents est étranger ou immigré s'élevait à moins de 20 % sur l'ensemble du territoire mais dépassait les 60 % dans vingt communes. [...] Outre les raisons historiques à la concentration urbaine de l'immigration, les immigrés sont orientés vers ces zones en raison de la forte proportion de logements sociaux à bas loyer et de la taille des logements. En 2006, sur 2,3 millions de ménages immigrés [...], 700 000 étaient locataires dans le parc HLM, la part résidant dans le parc social n'ayant cessé d'augmenter (+ 9 points entre 1996 et 2006). [...] Les ménages qui recourent le plus au parc social sont originaires d'Algérie (70 % des ménages locataires d'origine algérienne le sont dans le parc social), du Maroc (64 %) et d'Afrique subsaharienne (60,5 %) quand, à l'inverse, seul un ménage locataire immigré d'Asie sur trois réside en logement social. »
Quelle mixité ?
Outre ce phénomène de concentration, les « conduites d'adaptation à la marginalisation » des habitants pourraient traduire, également, un processus de ghettoïsation. Les trafics ou la rupture radicale avec l'ordre scolaire participeraient d'une organisation et d'une ambiance « devenues "autoréférentielles, comme tournées vers l'intérieur de la cité", où les personnes, en réponse à une situation vécue de relégation, jouent un rôle actif : affirmation d'un clivage vis-à-vis de l'extérieur, violence et racialisation omniprésente des rapports sociaux ». Cela dit, « on serait encore loin de l'homogénéité ethnique et du degré de déshérence des ghettos américains ». En effet, les banlieues françaises mêlent des dizaines d'origines géographiques, et les taux de pauvreté et de criminalité n'auraient « aucune commune mesure » avec ceux observés dans le South Side de Chicago. En outre, bien que soient régulièrement stigmatisées des "zones de non droit", l'État demeurerait « très présent dans ces quartiers. [...] En attestent l'augmentation de la part de la population dépendante des prestations sociales (allocations chômage, RSA, etc.) ; l'effort mis en œuvre par la politique de la Ville (plus de 5 milliards d'euros en 2009) ; la présence continue et parfois conflictuelle des policiers dans ces territoires. »
Tandis qu'on oppose couramment « l'idéal de mixité sociale » au délabrement des banlieues, les rapporteurs expriment quelques réserves qui donnent à réfléchir : « Il n'est pas toujours évident que le fait de mélanger des populations différentes permette de générer entre elles des relations sociales fructueuses. Dès 1970, des études ont mis en évidence des tensions et des conflits de cohabitation dans les grands ensembles, du fait même de regroupements hétérogènes contraints. Des travaux sociologiques [...] ont pu a contrario démontrer que des concentrations urbaines de type communautaire [...] peuvent être, à certains moments de la trajectoire des individus, des vecteurs de soutien et d'accès au travail. [...] La question n'est ainsi pas forcément de faire disparaître la concentration, ni de réduire les écarts de ces quartiers par rapport à d'autres, ni de les démolir comme hier on voulait les normaliser, ni d'empêcher de nouveaux immigrés d'y entrer. L'enjeu peut aussi être d'affirmer la spécialisation de ces quartiers, d'y garantir l'accueil et la promotion sociale, d'adapter les services publics à une même population ainsi regroupée. » Mais cela dans une perspective d'assimilation.