En route vers l'exaflops !
29 juillet 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
La technologie participe pleinement des rivalités internationales. En témoigne l'importance des supercalculateurs exposée ci-dessous – un instrument parmi d'autres au service de la "puissance", sans laquelle la "souveraineté" n'est qu'une coquille vide.
Lundi dernier, 26 juillet 2010, le président de la République a participé à la 35e conférence internationale sur la physique des hautes énergies. Fier d'accueillir l'événement, qui ne s'était plus tenu en France depuis vingt-huit ans, l'Élysée avait souligné la « signification particulière » que lui conférait la présentation des premiers résultats du LHC – un accélérateur de particules installé à Genève « ayant battu tous les records de puissance ».
Un impératif industriel
Ces travaux requièrent des calculs intensifs. Outre la recherche scientifique, l'industrie et la finance partagent ce besoin, mis en exergue par Pierre-Heny Suet, Joël Hamelin et Jean-Loup Loyer dans une "note de veille" du Centre d'analyse stratégique publiée courant juillet. Un besoin auquel répondent des supercalculateurs, qui réalisent en un jour la tâche qu'un ordinateur personnel mettrait cent cinquante ans à accomplir. Leur puissance, traduite en opérations par seconde, ou flops, double presque chaque année, et les simulations numériques s'affinent à mesure que croissent leurs performances. Alors qu'il construisait quelque soixante-dix ailes pour valider la fiabilité d'un avion dans les années quatre-vingt, Boeing n'en fabrique plus qu'une dizaine aujourd'hui ; quant au CEA, il développe désormais des têtes nucléaires sans pratiquer aucun essai. C'est dire combien la compétitivité, voire l'autonomie stratégique de la France, dépendent de l'accès aux supercalculateurs.
Les plus performants sont implantés aux États-Unis, qui disposent de 56 % de la puissance cumulée des cinq cents premiers ordinateurs mondiaux, devançant l'Union européenne (30 %), la Chine et le Japon. La France, qui s'était laissé distancer, aurait consacré d'importants efforts depuis 2007 pour revenir dans la course. En trois ans, sous l'impulsion d'une structure créée à cet effet (GENCI), elle a multiplié par trente ses capacités. Le Centre d'analyse stratégique a salué l'« une des meilleures dynamiques de croissance mondiales en 2009 ». Cela dit, la machine la plus performante de l'Hexagone stagne au dix-huitième rang mondial. De nouveaux progrès sont attendus cette année, avec l'extension des capacités de la machine Jade du CINES, et la mise en service d'un supercalculateur pétaflopique (1) par la direction des applications militaires du CEA. Enfin, d'ici un ou deux ans, Bruyères-le-Châtel (Essonne) accueillera un Très Grand Centre de calcul (TGCC). Cette initiative s'inscrit dans le projet PRACE (Partnership for Advanced Computing in Europe), grâce auquel les scientifiques français ont accès, depuis le 1er juin, au supercalculateur de Jülich (Allemagne), le seul approchant aujourd'hui le pétaflops en Europe.
Bien qu'ils ne représentent que 30 % du marché mondial, les États-Unis fournissent 95 % des grands ordinateurs. Outre-Atlantique, le développement des nouvelles générations de supercalculateurs serait largement financé sur fonds gouvernementaux. « Vouloir préserver une certaine autonomie européenne [...] demande que soit compensé le handicap existant », ont averti les héritiers du Plan. Le cas échéant, il faut espérer que l'État saura épargner à Bull les déboires qu'il a traversés jadis... Sinistres conséquences d'un colbertisme décadent !
Bull, seul en Europe
Le "champion national" de l'informatique n'en est pas moins devenu, depuis les retraits de Siemens et de Philips, le seul constructeur européen de supercalculateurs. Mais les microprocesseurs utilisés dans ces machines demeurent à 99 % nord-américains. Autrement dit, la France reste totalement dépendante d'approvisionnements extérieurs pour le composant de base. « La Chine, en revanche, vient de s'affranchir de cette dépendance en construisant un supercalculateur de classe téraflops basé sur des processeurs Loongson 3A chinois. » Pékin entend bien maîtriser chacun des maillons de la chaîne technologique.
L'exploitation des supercalculateurs requiert une programmation plus complexe que celle d'une machine ordinaire. Une tâche pour laquelle seules quelques dizaines de spécialistes bénéficieraient en France des compétences nécessaires. Or, « pour Hewlett Packard, par exemple, le logiciel représente désormais plus des deux tiers des coûts de production »... D'où la proposition du Centre d'analyse stratégique de créer des formations qualifiantes en calcul intensif de la licence au doctorat.
« À l'heure où le nombre d'étudiants inscrits en science connaît une baisse très préoccupante, c'est à vous de faire vivre l'amour de la science », a lancé le chef de l'État a l'adresse des chercheurs. Selon Nicolas Sarkozy, « c'est la destinée de l'homme que de créer sans cesse ». Une fois n'est pas coutume, Maurras ne disait pas autre chose : « Animal industrieux, voilà, je pense, la définition première de l'homme », a-t-il écrit dans un texte révélé par Maurras.net. « Il ne peut rien laisser en place. Il lui faut défaire et refaire, décomposer pour le recomposer sur un autre plan tout ce qu'il trouve autour de lui, et son système de remaniement perpétuel l'aura conduit, de proche en proche, à interposer sa main, son travail, sa peine et son art entre toutes les matières premières que la nature lui fournit et que jadis il utilisait telles quelles. [...] L'admirable, l'humain et le divin de cette triomphale aventure, c'est que jamais la joie d'aucune réussite n'y fit retarder l'âpre effort industriel. »
Assez de romantisme !
Aussi la tentation de fuir un univers gangrené par la technologie relève-t-elle du romantisme. À la différence du président de la République, cependant, nous nous garderons de nous en remettre à la science dans l'espoir « que l'humanité progresse réellement ». « Le progrès ou, pour mieux parler, les progrès, loin de nous délivrer de notre condition, la précisent en la compliquant », écrivait encore Maurras. « À l'homme volant s'ajoutera la ville volante, vertigineuse colonie d'une métropole adorée et dans laquelle la discipline sociale, la stabilité sociale sera, comme aujourd'hui sur le pont d'un navire, la condition première de cet heureux triomphe de l'art humain servi par la richesse et la diversité de lois de l'univers. Bien assurés de l'immuable, émerveillons-nous des belles métamorphoses cachées dans l'abîme du Temps. La vérité politique et sociale qui nous conduit n'a pas la forme du regret. Elle est plutôt désir, curiosité, solide espérance apportant les moyens de réaliser l'avenir avec une imperturbable sécurité. » En route vers l'exaflops !
(1) Selon les préfixes du système international d'unités, 1 téraflops = 10 puissance 12 flops ; 1 pétaflops = 10 puissance 15 flops ; 1 exaflops = 10 puissance 18 flops ; etc.