Six mois en Afghanistan
7 octobre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
Confrontés au choc des cultures, les soldats du 27e bataillon de chasseurs alpins ont évolué sous le feu des talibans, dans un paysage majestueux, de novembre 2008 jusqu'à juin 2009. Aperçu d'un récit captivant.
« Là-bas, très loin de la France, c'est vraiment la guerre... » Patrick de Gmeline – un historien militaire – l'a constaté au plus près des combats. Intégré dans la réserve du 27e bataillon de chasseurs alpins (27e BCA) basé à Cran-Gevrier (Haute-Savoie), il a côtoyé, des mois durant, les soldats de la task force Tiger, engagée en Afghanistan de novembre 2008 à juin 2009. Fort de riches descriptions, son livre (1) nous convie à leur rencontre. « Au-delà du seul récit des faits militaires, qui a ses limites, j'ai voulu proposer au public un récit privilégiant les hommes », annonce-t-il d'emblée.
Huit mois de préparation
L'auteur rend compte des huit mois de préparation intense, ponctués par des événements douloureux, voire tragiques, telle l'embuscade de Surobi, où dix Français trouvent la mort. La nouvelle tombe lors de la permission estivale, nourrissant l'inquiétude du chef de corps, le colonel Nicolas Le Nen. De retour au sein du bataillon, celui-ci ne constate aucune désertion. Sa confiance en ses hommes s'en trouve renforcée : « Ils ont à peine vingt ans, peu d'instruction, certains issus de milieux que l'on appelle maintenant "défavorisés", et ils sont des exemples pour toute une jeunesse. » Un sergent confie que ce drame « ne change rien à sa résolution : il préfère, comme il le dit, "combattre les terroristes chez eux plutôt que d'attendre et de les voir arriver en force chez lui" ».
« Vous servez un pays et une nation qui se sont forgés, au fil des siècles, à coups d'épées », rappelle le chef de corps, à l'approche du départ. « Cette idée de nation est le creuset dans lequel se sont fondues et se fondent encore l'unité et la cohésion de notre peuple, mais aussi nos valeurs essentielles de liberté, d'égalité et de fraternité. Vous verrez dans quelques mois ce que constituent un pays et un peuple qui ne constituent pas une nation, des tribus afghanes qui s'entredéchirent, des seigneurs de la guerre et de la drogue exploiter les paysans, des femmes et des filles asservies par leurs maris, leurs pères et leurs frères... »
Près de sept heures de vol sont nécessaires pour découvrir de « magnifiques paysages, alternant les plaines vertes, irriguées de nombreux cours d'eau, les vastes surfaces arides, rocheuses, dénudées, les montagnes élevées, couronnées de neige sous un ciel qui peut être très bleu ». Dans la vallée de Tagab, où évoluent les compagnies du 27e BCA, « les villages sont composés de maisons à toits en terrasses, construites [...] en terre séchée de couleur ocre. Elles sont séparées par des murs épais, hauts de deux mètres cinquante, qui délimitent des rues ou plutôt des ruelles. Les portes des maisons s'ouvrent, comme des trous sombres, dans ces murs qui protègent des intempéries et défendent en même temps, transformant les habitations en autant de petits fortins. »
Où sont les femmes ?
Les hommes paraissent « dignes et fiers », mais jamais, ou presque, on ne croise le regard de leurs épouses. « La femme, chez le paysan le plus inoffensif – s'il y en a un ! – est vraiment considérée comme moins que rien », constatent les militaires français. « Si un muret se présente [...], elle doit le franchir seule, sans l'aide de l'homme qui marche loin devant, et le faire franchir aux plus jeunes enfants. Sans compter que leurs vêtements ne leur facilitent pas la tâche. Elles sont presque toutes "burqanisés" – terme inventé par les alpins – et leurs longues robes entravent leurs mouvements... » Tandis qu'il dirige une distribution de matériel scolaire, un lieutenant est furieux : « Il s'aperçoit que les filles n'ont pas droit à ces fournitures. L'une d'elle, même, qui tente de s'approcher, reçoit des pierres lancées par des garçons ! » À l'opposé, l'auteur décrit, à l'entrainement, « près de l'un des VAB de la Légion, un caporal féminin, sourcils froncés sous son casque ». Se trouve-t-elle vraiment à sa place ? Une fois n'est pas coutume, des considérations opérationnelles rendent l'engagement des personnels féminins indispensable : ils sont les seuls habilités à fouiller des Afghanes.
Les infirmières françaises doivent attendre un mois avant que des femmes se présentent à elles, après que trois cents hommes eurent déjà défilé dans leur service. « Si elles viennent au début accompagnées d'un mari ou d'un frère, elles vont venir progressivement seules, en confiance. » La distance est de mise lors des premiers contacts avec la population. Patrouillant dans une ambiance qu'ils jugent moyenâgeuse, les soldats ont fière allure, revêtus de leur treillis, encombrés par le Famas, affublés d'un gilet pare-balles... « Des Martiens sur les Champs-Élysées, à Paris, ne feraient pas plus d'effet », commente Patrick de Gmeline. Un officier accepte, non sans hésitation, l'invitation d'un villageois qui le convie à prendre le thé. Pénétrant chez son hôte, qui se révélera très aimable, il veille « à immédiatement retirer ses gants et son casque : il sait que les Américains, dans ces circonstances, ne le font pas, ce qui contribue à les faire (très) mal voir ».
Le passage par la base aérienne de Bagram avait déjà provoqué un semblant de choc culturel. « Une base ? Non, une ville, avec ses 13 000 habitants et, surtout, ses infrastructures si représentatives de la puissance [...] américaine. [...] En somme une petite parcelle des riches États-Unis au milieu sinon du désert, du moins d'un monde oriental dont la pauvreté est flagrante. » Les Français sont partagés entre le rire et la stupéfaction... « Mais cette force matérielle est peut-être aussi une faiblesse. Le ménage [...] est fait par des "locaux", autrement dit des Afghans venus des villages voisins, c'est-à-dire de la misère. Comment perçoivent-ils cette abondance déplacée dans ce pays aux mains des talibans qui ont la part belle pour leur propagande, au moins sur ce point ! » Plus tard, un lieutenant s'indigne : « Les pays riches ont oublié qu'ils ont de la chance... Ils sont devenus fous ! » Pour quelques-uns, en effet, « l'Afghanistan est aussi une sorte de fuite d'un pays, le leur pourtant, où la vie est devenue ultramédiatisée, sans plus de valeurs hormis matérielles, guidée par le seul culte de l'argent, pleine de contradictions. Ce n'est pas en faisant de l'Afghanistan un pays occidentalisé, américanisé, qu'on lui donnera un idéal de vie. »
Sur le terrain, l'attention est requise à chaque instant. Outre les embuscades, plane la menace des IED, les engins explosifs improvisés. Les soldats évoluent avec trente, parfois cent kilos sur le dos. Au cours des arrestations, ils doivent compter avec des policiers afghans témoignant « d'un zèle très relatif », quand la fouille d'une maison ne se transforme pas « en déluge de feu ». Les alpins opèrent souvent de nuit, profitant de l'avantage procuré par les lunettes de vision nocturne, et s'approchant de leur objectif aussi discrètement que possible. Cependant, des veilleurs guettent à la sortie de leurs bases de Nijrab et Tagab...
Point d'orgue des opérations : la conquête de la vallée d'Alasay, « dans laquelle les soldats afghans et alliés ne sont pas entrés depuis un an et où les Soviétiques, il y a quelques années, ne s'aventuraient que difficilement ». Au cours des combats, un soldat afghan est étranglé par un taliban arrivant par derrière. « Ils ont vraiment des couilles ces insurgés », remarque un sergent. Alors qu'un missile Milan atteint sa cible, « un cri de triomphe jaillit des poitrines... comme lorsqu'un joueur de foot marque un but. [...] Tels des gosses, les alpins saluent chaque impact de cris de sioux. » Mais la guerre n'est pas un jeu. En témoigne, dans cette bataille, la mort, à vingt-trois ans, du caporal Nicolas Belda. « Malgré le bruit assourdissant, le silence tombe sur les hommes dont l'œil s'est figé. »
La TF Tiger, une troupe d'élite
« Aveuglés par leur fierté toute moyen-orientale de guerriers, [les talibans] sont tombés dans le piège tendu : accepter un bras de fer qu'ils n'étaient pas capables de remporter. » Cette victoire renforce l'estime gagnée auprès des Américains, qui auraient volontiers confié une telle opération aux forces spéciales. « Les soldats US sont visiblement bluffés par l'esprit traditionnellement débrouillard des "Frenchies", leur sens du système D. Combien de véhicules américains, embourbés ou en panne, ont été remis dans l'axe ou réparés par des alpins techniciens ! » Un sergent ironise : « Des généraux américains [...] doivent encore se demander [...] comment des soldats peuvent faire cela sans porter un t-shirt Navy Seals, des lunettes Ray-Ban et un hélicoptère par personne ! »
Au fil des pages, humour et émotion sont au rendez-vous. Mais on retient surtout la noblesse des caractères dépeints par Patrick de Gmeline, qui forcent l'admiration. D'aucuns jugeront peut-être son ouvrage apologétique. Faut-il s'en offusquer ? « Nous ne sommes pas dupes, la majorité des Français ne comprend pas ce que nous faisons », déplore un lieutenant. « C'est difficile pour un soldat de ne pas se sentir soutenu par un élan national. » Ce livre vient rendre justice à nos soldats. Ce n'est pas le moindre de ses mérites.
(1) Patrick de Gmeline : Se battre pour l'Afghanistan - Soldats de montagne contre les talibans ; Presses de la cité, mai 2010, 398 p., 21 euros.