Débat entre cigales et fourmis
5 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
Afin de pérenniser le fonds européen de stabilisation financière bricolé dans l'urgence – le "FMI européen" –, les Vingt-Sept sont convenus d'un accord dont les ambiguïtés reflètent les divergences franco-allemandes.
Moins d'un an après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les chefs d'État ou de gouvernement des vingt-sept pays de l'UE sont convenus, à l'issue de leur réunion des 28 et 29 octobre, d'une nouvelle révision du droit primaire européen. Il s'agira d'une « révision light », selon l'expression du président de la République, censée pérenniser le fonds européen de stabilisation financière. Mis en place dans l'urgence pour répondre à la crise de la dette souveraine, celui-ci se heurterait vraisemblablement au juge constitutionnel allemand s'il était maintenu, au-delà de 2013, en l'état des traités, vis-à-vis desquels il s'est autorisé quelques accommodements.
Diktat franco-allemand
L'affaire semblait pliée dès la semaine précédente. Du moins Nicolas Sarkozy et Angela Merkel l'avaient-ils laissé entendre en exposant leur position commune arrêtée le 18 octobre, suscitant la colère de Viviane Reding. « Les décisions de l'Union européenne ne sont pas prises à Deauville », a-t-elle protesté. Dans un entretien accordé au quotidien allemand Die Welt, elle a jugé « complètement irresponsable de mettre sur la table des chimères à propos de nouveaux traités » (Euractiv, 28/10/2010). Le risque est grand d'ouvrir la boîte de Pandore. Or, le processus de ratification sera d'autant plus hasardeux que la réforme sera substantielle : le spectre d'un nouveau référendum irlandais hante les arcanes européennes.
Le chef de l'État a balayé les commentaires du commissaire luxembourgeois. « Je ne la connais pas personnellement et je n'attache pas plus d'importance à ce qui a été dit », a-t-il lancé à un journaliste qui l'interpellait à ce sujet. « En revanche, a-t-il poursuivi, j'attache beaucoup d'importance à la décision unanime du Conseil européen. Cela a un autre poids. » Du moins, à ses yeux. Derrière les anathèmes se dessinent, encore une fois, des rivalités institutionnelles. Les chefs d'État ou de gouvernement ont confié à "leur" président, celui du Conseil européen, Herman Van Rompuy, la tâche de mener les consultations préalables à la révision des traités. Dans un entretien accordé au Monde, Jean-Luc Sauron a souligné « une dépossession de la Commission sur ce volet-là ». Cela confirmerait un rééquilibrage de la mécanique européenne au profit des rouages intergouvernementaux si, parallèlement, le Parlement européen ne poursuivait pas sa montée en puissance.
La quadrature du cercle
Une fois n'est pas coutume, l'assemblée devrait se satisfaire d'une procédure de révision accélérée, à laquelle elle se contentera d'acquiescer. On imagine mal les eurodéputés, adeptes des postures morales, freiner l'institution d'un mécanisme symbolisant la solidarité européenne. Cela dit, les considérations nationales sont toujours de mise, au point de se mêler dans un compromis plein d'ambiguïtés.
Paris prétend dissiper la méfiance des investisseurs à l'égard des obligations émises dans la zone euro... avec le risque de contribuer à l'entretien du laxisme budgétaire honni par Berlin. Aussi le Conseil européen a-t-il souligné, dans ses conclusions, « la très stricte conditionnalité à laquelle doit être subordonnée l'action menée dans le cadre de ce type d'instrument ». Concrètement, les États bénéficiant de son soutien pourraient être conduits à restructurer leur dette, aux dépens de leurs créanciers. Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, se serait vigoureusement opposé à cette annonce, craignant de déclencher la panique sur les marchés financiers. Esquissant une solution à la quadrature du cercle, il appelait à des sanctions plus fermes à l'encontre des États manquant à leurs obligations budgétaires. C'était oublier le fossé séparant les cultures politiques de part et d'autre du Rhin...
Les droits de vote maintenus au Conseil
Finalement, le duo franco-allemand a convaincu ses partenaires d'adopter des sanctions "semi-automatiques". Sanctions financières, mais non politiques, le projet de suspendre le droit de vote des États défaillants étant rangé dans un tiroir. « Le président du Conseil européen entend examiner par la suite, en consultation avec les États membres, la question du droit des membres de la zone euro de participer à la prise de décisions [...] en cas de menace permanente pour la stabilité de la zone euro dans son ensemble », stipulent les conclusions du sommet. « Les oppositions à cette idée ont été virulentes, voire très virulentes », aurait déclaré Jean-Claude Juncker (Euractiv, 29/10/2010). Étant donné la complexité juridique de sa mise en œuvre, on se demande si Berlin ne l'a pas agitée, avec le soutien de Paris, dans l'espoir d'obtenir la satisfaction d'autres exigences (une hypothèse formulée notamment par l'Irish Times). Ce projet reviendra-t-il sur la table ? Les paris sont ouverts.