Gaz de schiste : prudence contre précaution
19 mai 2011
Article publié dans L'Action Française 2000
Sensibles à l'inquiétude populaire, respectueux du "principe de précaution", les députés ont voté l'interdiction d'une technique permettant l'exploitation des gaz de schiste, une ressource énergétique pleine de promesses.
L'exploitation mais aussi l'exploration des mines d'hydrocarbures non conventionnels seront bannies du territoire national, du moins si elles se font par "fracturation hydraulique". Ainsi en a décidé, mercredi 11 mai, l'Assemblée nationale. Cela en vertu du "principe de précaution" inscrit dans la Constitution depuis 2005. Revenant sur ses propres décisions, le gouvernement avait déclaré l'urgence sur une proposition de loi déposée à cet effet par Christian Jacob, le chef de file des députés UMP.
Moratoire américain
Dans le collimateur des parlementaires figuraient, plus particulièrement, les gaz de schiste. Connus depuis longtemps, ceux-ci ont commencé à être exploités aux États-Unis, à la faveur des innovations technologiques stimulées par la hausse des prix de l'énergie. Afin de libérer le fluide prisonnier, un mélange d'eau, de sable et de substances chimiques est injecté dans la roche à très haute pression. Avec le risque de contaminer les nappes phréatiques traversées par les forages ? C'est, en tout cas, la crainte affichée par nos députés, mais aussi par l'État de New York, où un moratoire sur l'exploitation a été décrété, dans l'attente des conclusions de l'Environmental Protection Agency annoncées pour 2012. Son travail s'avère délicat, en raison du secret industriel qui lui est opposé. « L'EPA a dû par exemple assigner Halliburton devant la justice pour obtenir la liste des produits chimiques utilisés dans le procédé », rapporte Étienne Beeker, dans une note du Centre d'analyse stratégique. Une enquête similaire avait été entreprise en 2004. Elle avait conclu, précise-t-il, « à l'innocuité des processus d'extraction pour les eaux potables, ce qui amène de nombreux experts à être confiants dans les résultats de l'étude en cours ».
En avril dernier, Gérard Mestrallet avait déploré que la France décide « de tourner la page des gaz de schiste avant même de l'avoir ouverte » (Les Échos, 14/04/2011). De la part du P-DG de GDF-Suez, ce discours apparaît éminemment convenu. Cela dit, l'intérêt des industriels doit être relativisé : pour Total, l'impact de la loi serait « négligeable ». C'est, en tout cas, ce que soutient son président, Christophe de Margerie. Le groupe, déjà engagé au Danemark, vient d'ailleurs de s'allier à Exxon Mobil pour exploiter des gaz de schiste en Pologne.
De fait, les enjeux sont loin de se résumer aux convoitises des multinationales. Tandis que le "pouvoir d'achat" semble en passe de s'imposer comme un thème phare de la campagne présidentielle, « l'impact de ces nouvelles ressources sur les prix du gaz est déjà sensible », souligne Étienne Beeker – quoique cette baisse soit « difficilement perceptible par le consommateur français, pour lequel le prix du gaz, indexé dans des contrats de long terme à plus de 80 % sur le prix du pétrole, continue d'augmenter ». Faute d'avoir mené les travaux d'exploration nécessaires, on ignore l'ampleur des ressources du sous-sol français. Celles-ci pourraient être considérables : selon certaines estimations, elles représenteraient quatre-vingt-dix ans de la consommation actuelle de gaz (Les Échos, 21/04/2011). C'est dire l'intérêt qu'elles présentent au regard de l'"indépendance énergétique de la France".
Révolution mondiale
Rien d'étonnant, donc, à ce que le Centre d'analyse stratégique annonce « une révolution gazière qui pourrait bien bouleverser le paysage énergétique mondial ». Entre 2000 et 2008, la part du gaz dans le mix électrique américain serait passée de 18 à 24 %. « Importateurs nets de gaz il y a peu, les États-Unis sont aujourd'hui autosuffisants et ils sont également redevenus le premier producteur de gaz, devant la Russie. De plus, l'attitude de la Chine aura des conséquences considérables pour l'Europe, surtout si ce pays, comme il le souhaite, parvient à exploiter ses réserves très prometteuses de GNC [gaz non conventionnels]. La Russie, pour qui la Chine peut devenir un importateur alternatif important, perdrait une partie de ses débouchés potentiels. Une partie du GNL [gaz naturel liquéfié] en provenance du Moyen-Orient et à destination de l'Asie de l'Est pourrait également être réorientée vers notre continent, qui en profiterait. Les gaz non conventionnels fragiliseraient donc la position de la Russie, notamment dans ses échanges gaziers avec l'Europe. »
Dans ces conditions, si le "principe de précaution" impose de prendre en compte les risques pesant sur l'environnement, la prudence politique requiert, selon nous, leur mise en perspective. D'autant que les inquiétudes sont vraisemblablement décuplées par l'alarmisme écologiste, le sensationnalisme médiatique et le clientélisme électoral. La préoccupation des élus, soucieux d'épargner à leur circonscription la laideur des installations industrielles, apparaît à bien des égards légitimes. « Aujourd'hui, le bonheur public, du moins tel que se l'imagine la puissance du même nom, ne doit pas se faire au prix du malheur individuel », remarque notre confrère Philippe Escande. « Le problème », poursuit-il dans Les Échos (10/05/2011), « c'est que, à ce train-là, la vie promet de devenir de plus en plus difficile. Pour se cantonner au seul cas de l'énergie, aucune technique de production d'électricité, qu'il s'agisse d'hydraulique, de biomasse, d'éolien et à plus forte raison de charbon ou de nucléaire, n'est exempte de risque et toute nouvelle installation en France dans ces énergies pourrait soulever la même colère. » Pour tempérer la grogne des élus, d'aucuns proposent de revoir la fiscalité locale... L'arbitrage politique n'en demeurera pas moins un art difficile.