Vivre dans la mondialisation
21 juillet 2011
Article publié dans L'Action Française 2000
Rompant avec la sinistrose, un rapport officiel vante l'attractivité économique de la France... et les réformes du gouvernement. Un atout agité au vent de la mondialisation, à laquelle nous ne saurions échapper selon le Premier ministre.
Le déficit commercial de la France a atteint un nouveau record en mai dernier, s'élevant à 7,42 milliards d'euros. Cela rend d'autant plus criantes les faiblesses de la compétitivité nationale, pointées par moult observateurs. À l'occasion du lancement de la nouvelle Yaris, toujours fabriquée à Valenciennes, Toyota n'en a pas moins confirmé la viabilité de son implantation hexagonale. « On peut produire une petite voiture en France », assure Didier Leroy, P-DG de Toyota Motor Europe, dans un entretien accordé à La Tribune (08/07/2011). « Les coûts salariaux sont importants. Mais, si vous produisez dans un pays à bas coûts, ce que vous économisez en main d'œuvre peut être entièrement contrebalancé par les coûts logistiques. Or, dans un rayon de 350 kilomètres autour de Valenciennes, on a un marché potentiel de 130 millions de personnes ! Le fait de fabriquer en France n'est pas en soi un handicap. Nous avons d'ailleurs quarante-trois fournisseurs pour la Yaris III dans l'Hexagone et 80 % de nos achats sont effectués en Europe occidentale. »
Aux yeux des plus optimistes, la démarche du constructeur japonais apparaîtra comme une illustration flagrante de l'attractivité de la France, dont le Centre d'analyse stratégique (CAS) vient de publier un "tableau de bord" élogieux. « 2010 aura été l'année du rebond », s'enthousiasme l'héritier du commissariat général du Plan : « La France a été choisie, chaque semaine en moyenne, par quinze entreprises étrangères pour des investissements nouveaux, à l'origine de 32 000 emplois. » Le rapport s'intéresse aux investissements d'origine étrangère (IDE), réputés tels s'ils sont réalisés par une société détenue à plus de 50 % par des capitaux étrangers : « Avec 57,4 milliards d'IDE entrants [...] la France est en 2010 la troisième destination mondiale derrière les États-Unis et la Chine-Hong-Kong. [...] Par rapport à la richesse nationale (stocks d'IDE/PIB), la France accueille deux fois plus d'investissements étrangers que l'Allemagne, l'Italie ou les États-Unis. » En outre, « comme en 2009, la France est en 2010, au premier rang européen en matière d'accueil d'implantations industrielles, qui comptent pour 57 % des emplois créés ».
Selon les rapporteurs, « la capacité à former des talents venus de l'étranger traduit, autant qu'elle conditionne le rayonnement, la compétitivité et l'attractivité ». Or, la France serait le quatrième pays mondial d'accueil des étudiants « en mobilité internationale », derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. 11 % des étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur en France étaient étrangers en 2008 – une proportion comparable à celle de l'Allemagne, mais nettement inférieure à celle du Royaume-Uni.
Parmi les facteurs de l'attractivité nationale figurent le traitement fiscal de la "recherche et développement" (R&D) et le prix de l'électricité. L'évaluation des compétences scientifiques des élèves de quinze ans, ainsi que la capacité d'innovation des entreprises, placent la France dans la moyenne des pays comparables. Les barrières à l'entrepreneuriat ne la distingueraient pas davantage, quoique la création d'une entreprise y soit jugée plus facile qu'outre-Rhin : à cet effet, sept jours auraient été nécessaires en 2010, contre quinze en Allemagne. Parmi les États de la zone euro, la France afficherait même « une des meilleures maîtrises de ses coûts salariaux unitaires relatifs », l'Allemagne faisant toutefois « figure d'exception », avec une amélioration de sa "compétitivité-coût" à partir de 2003. À l'avenir, la simplification administrative et fiscale devrait constituer une priorité. Les auteurs rappellent que « la charge fiscale effective pesant sur les entreprises en France apparaît beaucoup plus faible que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne le laisse supposer ». En la matière, la France se trouve dans une situation inverse à celle de l'Irlande.
« Les chiffres rassemblés dans le présent tableau de bord positionnent la France aux premiers rangs européens sur un grand nombre de facteurs objectifs », martèle le Centre d'analyse stratégique. Le jugement pourra fluctuer selon que l'on compare Paris à Berlin ou Athènes... De fait, on ne relève pas vraiment de surprise dans ce rapport, dont la diffusion relève, à certains égards, d'une opération de communication réussie. D'ailleurs, ses auteurs versent ouvertement dans l'apologie du gouvernement, vantant la suppression de la taxe professionnelle « sur les investissements productifs », la consolidation du crédit d'impôt recherche, « l'utilisation offensive de la fiscalité pour servir la compétitivité des entreprises », le succès du statut d'auto-entrepreneur, le recours à la rupture conventionnelle du contrat de travail et le lancement du programme d'"investissements d'avenir".
Cela étant, la méthode Coué présente parfois quelque vertu. C'est pourquoi nous accueillons avec avec bienveillance la volonté de rompre avec la sinistrose. Mais la quête d'attractivité participe de l'inscription dans la mondialisation, dont les critiques ou adversaires sont légion, notamment parmi les royalistes. Le CAS semble d'ailleurs le revendiquer : « La croissance de 22 % du nombre de projets étrangers en 2010 vaut reconnaissance de l'ouverture de notre pays », affirme-t-il. Cela ne manquera pas d'alimenter les débats politiques au cours des prochains mois. « À l'approche des échéances électorales, propices aux contestations systématiques et aux utopies de tous ordres, nous maintiendrons notre ligne de vérité et de réalisme », a prévenu François Fillon, visant vraisemblablement Marine Le Pen. « Ceux qui font croire que l'on pourrait "démondialiser" l'histoire, et se ménager le confort d'une politique solitaire, sans contraintes extérieures, ceux-là entretiennent une illusion dangereuse », a-t-il poursuivi. Aux yeux du Premier ministre, en effet, « la mondialisation, c'est un fait ; ça n'est pas une hypothèse, que l'on pourrait accepter ou refuser selon son bon plaisir ». Alors qu'il affublait chacun de ses modèles d'un style « universel », Toyota annonce qu'à l'avenir « chaque région du monde aura la possibilité de le personnaliser ». Preuve que l'édification du "village global" ne va pas sans flux et reflux.
Quoi qu'il en soit, selon le rapport du CAS, la part de la capitalisation boursière des sociétés françaises du CAC 40 détenue par des non-résidents se serait élevée à 42 % fin 2010 ; en dix ans, le flux d'IDE serait passé de 17 à 42 % du PIB ; enfin, près d'un salarié sur sept du secteur marchand travaillerait dans la filiale d'un groupe étranger, et même un sur quatre dans l'industrie manufacturière. C'est dire le défi que constituerait, aujourd'hui, la mise en œuvre d'une véritable politique de "patriotisme économique".