Arianespace : un succès à conforter
7 février 2013
Article publié dans L'Action Française 2000
Après avoir enchaîné les succès, la fusée Ariane V entrevoit désormais le lanceur qui lui succédera dans dix ans, et dont dépendra l'avenir d'une filière industrielle où la France excelle.
Ce jeudi 7 février 2013 était programmé le premier tir de l'année d'une fusée Ariane. Sans prendre trop de risques, on peut parier qu'il se sera conclu par un nouveau succès – la cinquante-quatrième réussite consécutive. Fort de la fiabilité de son lanceur vedette, secondé désormais par des fusées Soyouz et Vega, Arianespace domine largement son marché, dont il a accaparé 60 % des commandes au cours de l'année passée. Son carnet en serait rempli pour les trois ans qui viennent !
Proton & SpaceX
Parmi ses principaux concurrents figure International Launch Services (ILS), dont la fusée Proton accumule les déboires. Son dernier échec – le cinquième en six ans – remonte au mois de décembre, où un satellite de télécommunication avait été déposé sur une mauvaise orbite. À la faveur d'un petit exploit, les ingénieurs de Thales Alenia Space (TAS) ont rattrapé les dégâts. Toutefois, la durée d'exploitation du satellite livré à Gazprom Space Services devrait s'en trouver réduite à onze ou douze ans, contre une quinzaine d'années promises à l'origine. Les assureurs s'en mordent les doigts... Autre rival de poids : SpaceX, dont Jean-Yves Le Gall, le P-DG d'Arianespace, raille volontiers les promesses extravagantes. « Quelle confiance accorder à un concurrent qui annonce envoyer dans quinze ans, quatre-vingt mille personnes sur Mars ? », a-t-il demandé à La Tribune. « On rêve », a-t-il prévenu.
Fusée low cost
En coulisses, cependant, on craint que les prix soient durablement tirés à la baisse. Aussi le successeur d'Ariane V est-il d'ores et déjà présenté comme un lanceur "low cost". Selon le Quai d'Orsay, « Ariane VI aurait notamment l'avantage d'être modulable en fonction de la charge à lancer – entre deux et huit tonnes. Le lanceur serait également en mesure de transporter un seul satellite, ce qui permettrait de répondre plus rapidement à la demande d'un client, sans attendre la commande d'un second satellite. Arianespace entend aussi réduire les coûts de fabrication et rendre l'offre plus flexible. Ainsi, Ariane VI ne serait constituée que d'un seul étage qui serait réallumable. » Son lancement inaugural devrait intervenir d'ici dix ans. Ainsi en ont décidé les ministres des vingt États membres de l'Agence spatiale européenne (ESA), réunis à Naples les 20 et 21 novembre. Cela n'était pas gagné d'avance, tant était contestée l'opportunité de lancer le développement d'une nouvelle fusée. Berlin privilégiait celui d'une version modernisée d'Ariane V, dont bénéficiera tout particulièrement le site industriel de Brême. Astrium et Safran, les deux entreprises françaises les plus impliquées, étaient du même avis, au grand dam du CNES (Centre national d'études spatiales). Aussi Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a-t-elle dû batailler afin que la France s'adresse d'une seule voix à ses partenaires européens. Sa tâche aurait été d'autant plus ardue que son prédécesseur, Laurent Wauquiez, aurait traité le dossier avec désinvolture.
Deux projets en un
En définitive, les États membres de l'ESA se sont accordés pour moderniser Ariane V tout en concevant une nouvelle fusée, les deux projets devant être menés en synergie. « Alors, tous gagnants ? Sûrement, mais Paris a toutefois réussi un joli tour de force en imposant dans le calendrier de l'ESA [...] le programme Ariane VI », a commenté, dans La Tribune, notre confrère Michel Cabirol. Toutefois, « si aujourd'hui tout le monde semble satisfait, dès 2014 va resurgir la question du partage de la charge de travail entre les différents pays contributeurs au programme Ariane VI, notamment entre la France et l'Allemagne. » Or, « plus rustique, Ariane VI pourrait - à nombre de lancements égal - ne faire vivre que la moitié des dix mille personnes qui travaillent dans la filière lanceur en Europe, estiment certains experts ». Une inquiétude que tempère François Auque, le président d'EADS Astrium, pariant sur le succès commercial du futur lanceur.
Le rôle stratégique de Kourou
Pour la France, martèle le gouvernement, « le programme Ariane concerne des milliers d'emplois et des compétences industrielles majeures. En effet, le groupe français Astrium est aux commandes de la réalisation de la fusée. La filiale du groupe EADS emploie dix-huit mille salariés. Elle voit dans ces projets une marque de la véritable consolidation de l'avenir du spatial européen. Pour l'actuelle Ariane V, le groupe se charge notamment d'assembler le premier étage de la fusée dans son usine des Mureaux en région parisienne. Il travaille sur la conception du réservoir en lien avec Cryospace, filiale à 55 % d'Air liquide et à 45 % d'Astrium. Plusieurs composants d'Ariane sont fabriqués par d'autres entreprises françaises comme Snecma, filiale de Safran, en charge des moteurs Vulcain. Au total, près de deux cents entreprises participent à la fabrication de cette colossale fusée de sept cent soixante-dix tonnes. Pour éviter les risques inhérents aux opérations de transport, les propulseurs à poudre de la fusée, conçus par Europropulsion (Snecma et l'italien Avio), sont assemblés directement sur le site de Kourou. C'est là qu'est établi, depuis 1973, le centre spatial guyanais, base de lancement des fusées européennes. »
La chambre haute vient d'ailleurs d'examiner un accord, en attente de ratification depuis sa signature le 18 décembre 2008, censé « fournir une base juridique unifiée et actualisée à l'utilisation par l'Agence du Centre spatial guyanais » (CSG), selon les explications du rapporteur Bertrand Auban, sénateur de la Haute-Garonne. L'engagement de l'ESA en matière de financement et d'utilisation de la base de lancement va s'en trouver pérennisé, se félicite-t-il. Tandis que la zone euro peine à s'extirper de la crise, alors que l'intervention solitaire de la France au Mali dissipe moult illusions, peut-être la politique spatiale est-elle l'exemple d'une coopération européenne réussie ?