L'Europe militaire sans illusion
19 décembre 2013
Article publié dans L'Action Française 2000
Les chefs d'État ou de gouvernement de l'Union européenne se penchent sur la défense. Sans doute nous promettront-ils encore monts et merveilles, à défaut de construire une Europe militaire véritablement tangible.
François Hollande croit-il au Père Noël ? L'opération Sangaris lancée en Centrafrique « ne devrait rien coûter à la France », a-t-il assuré à l'antenne de France 24, RFI et TV5 Monde. Les 19 et 20 décembre 2013, le Conseil européen se réunira à Bruxelles. À l'ordre du jour de ce sommet figure la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) – une première depuis 2008. À cette occasion, donc, le chef de l'État proposera que soit créé un fonds susceptible de financer pareille intervention. « Ce sont toujours les mêmes qui assurent la défense des autres mais, contrairement aux mercenaires classiques, rémunérés pour leurs services, ils le font en assumant tous les coûts, y compris humains », proteste Arnaud Danjean, président de la sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen. Ses jérémiades n'y changeront rien. Au contraire : elle participent d'une arrogance française susceptible d'exaspérer nos partenaires, déjà indisposés par le fantasme hexagonal d'une "Europe puissance".
Européisme ingénu
Mme Maria Eleni Koppa, député grec au Parlement européen, cultive, ingénument, l'européisme inhérent à sa fonction. « Malheureusement », observe-t-elle avec dépit, « le manque de confiance et les égoïsmes nationaux continuent à peser sur l'avenir de la PSDC, et finalement sur la construction européenne elle-même ». Comment pourrait-il en être autrement ? Les intérêts des États – ou ceux de leurs dirigeants – demeurent les moteurs les plus puissants de la politique internationale – y compris en Europe. De fait, aux yeux de Paris, les "progrès" de l'Europe militaire se justifient par la nécessité de « pallier l'insuffisance de certaines capacités nationales », selon les termes employés à l'automne dernier par l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées (CEMA). « Au Mali, nous aurions pu agir seuls, mais pas aussi vite », a-t-il souligné ; « le concours de moyens de renseignement britanniques et américains a été précieux, et 30 % de nos besoins de transport ont été assurés par nos partenaires nord-américains et européens ». De son point de vue, « les initiatives de type European Air Transport Command (EATC) pour l'aviation de transport doivent être soutenues dans les domaines où nos insuffisances sont les plus criantes ». Son fonctionnement « peut être comparé à un covoiturage », explique l'Hôtel de Brienne : « Par exemple, lorsqu'un avion français se rend en Afghanistan, il peut revenir avec des soldats allemands, ce qui évite un voyage à vide. »
Outre la France, quatre États ont intégré le Commandement européen du transport aérien (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg), créé en marge de l'Union européenne. Tout comme la Force de gendarmerie européenne (Eurogendfor) ou l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (Occar). D'autres projets devraient voir le jour prochainement sans requérir l'aval de Bruxelles. Par exemple, un rapprochement est envisagé entre Paris, Londres, Rome et Amsterdam, dont les armées mettront chacune en œuvre des drones Reaper d'origine américaine. La formation des pilotes, voire le "maintien en condition opérationnelle" (MCO) des appareils, pourraient faire l'objet d'une mutualisation. À plus long terme, Dassault, EADS et Finmeccanica pourraient produire un drone en commun. Comme le rapportent Les Échos, les industriels s'y engageraient « à la condition non négociable qu'un des trois pays potentiellement intéressés - Allemagne, France et Italie - assume le rôle de contractant unique au profit des deux autres, histoire d'éviter les foires d'empoigne de la plupart des projets européens d'armement précédents ». Allusion, notamment, aux déboires du programme A400M.
L'union fait la faiblesse
Selon notre confrère Jean-Dominique Merchet, auteur d'un petit livre dénonçant « la grande illusion » de la défense européenne, l'industrie d'armement serait « victime de l'idée que plus on embarque de partenaires [...], mieux c'est » - idée dont le seul mérite serait d'être "européenne"... « On peut faire, demain, des Airbus de la défense dans d'autres domaines », tempère Christian Mons, président du Conseil des industries de défense françaises, cité par Nicolas Gros-Verheyde, animateur du blog Bruxelles 2. « Mais encore faut-il avoir un marché commun et non des marchés fragmentés », poursuit-il. « Aujourd'hui, il n'y a pas une demande unique. Chaque état-major conçoit son besoin, en fonction de ses impératifs. » Aussi les échafaudages juridiques seront-ils sans grande incidence sur les coopérations à venir. « Depuis l'adoption du traité de Lisbonne », se désole Arnaud Danjean, « nous nous battons pour que les instruments qui y sont prévus soient mis en œuvre, avant de passer à une nouvelle étape. Ainsi la façon dont pourrait se concrétiser la coopération structurée permanente, prévue par le traité, ne fait même pas l'objet d'une réflexion ; quant aux groupements tactiques (battlegroups) qui, eux, existent maintenant physiquement, ils ne sont jamais utilisés. » L'"Europe de la défense", dans son acception la plus stricte (la PSDC), peut certes s'enorgueillir de quelques succès, à commencer par l'opération Atalante luttant contre la piraterie au large de la Somalie. La France vient d'en reprendre le commandement, confié le 6 décembre au contre-amiral Bléjean, dont l'état-major navigue ces jours-ci à bord du Siroco. À l'origine, cependant, Paris et Madrid ont dû batailler pour convaincre leurs partenaires européens de l'opportunité d'un tel engagement. « La prise de conscience au niveau européen est toujours lente », observe Nicolas Gros-Verheyde. « Car il y a toujours des pays concernés au premier chef et d'autres qui le sont moins. Mais la pression des événements joue souvent en faveur de la mobilisation. »
Changer de perspective
Conscient de ces difficultés, François de Rugy, député Vert de Loire-Atlantique, se dit « malheureusement assez sceptique sur la capacité de l'Union européenne à mettre en œuvre une politique de défense ». En effet, a-t-il expliqué lors d'une discussion en commission, « la défense pose la question du commandement, donc de la décision politique, et donc des institutions politiques qui permettent de prendre des décisions, que ce soit en urgence ou à plus long terme ». Nous partageons son scepticisme, mais sans en être malheureux. De notre point de vue, son affliction procède d'une erreur de perspective. L'"Europe" n'est jamais qu'un instrument parmi d'autres, ici au service de la sécurité nationale. Si, à titre personnel, à la différence de souverainistes plus radicaux, nous lui reconnaissons quelque mérite, c'est sans illusion sur sa portée. Le 16 décembre dernier, alors que les ministres des Affaires étrangères se réunissaient au siège du Conseil de l'Union européenne, les militaires travaillant dans le bâtiment auraient été priés de laisser leur uniforme au vestiaire. C'est dire la considération de l'UE pour le métier des armes !