Régis Debray parle du conspirationnisme
26 janvier 2015
« Le conspirationnisme victimaire est la maladie traditionnelle des faibles, qui s'excusent de leur impuissance en prêtant à leurs ennemis une surpuissance maléfique », analyse Régis Debray, cité par Frédéric Taddeï.
« Les gens qui n'ont pas les moyens de participer au grand jeu s'imaginent être victimes de terribles complots par les surpuissants », a-t-il déclaré au micro d'Europe 1 mercredi dernier, 21 janvier 2015 (à partir de la 28e minute). « C'est une façon de s'excuser de ses propres insuffisances », a-t-il poursuivi. « Je n'ai pas du tout une vision complotiste et policière de l'histoire », a-t-il précisé. Selon lui, « il y a beaucoup de faux mystères » ; « les choses sont toujours beaucoup plus simples qu'on ne le pense ». Régis Debray n'en croit pas moins « que les grandes choses se font en silence et dans le dos des gens » ; « je crois aux très lentes maturations », a-t-il expliqué. Derrière le conspirationnisme, a-t-il observé, « il y a l'idée que les officiels nous mentent et que la vérité est derrière les apparences ». « Il y a l'idée aussi que les grandes choses s'expliquent par de grandes causes très complexes et qu'il faut qu'à à un événement majeur correspondent des préparatifs majeurs. On ne pense pas simplement à l'accident, au hasard, à la coïncidence, au fait que tout est bricolé ici-bas. »
De ce point de vue, précisément, peut-être l'extrême droite n'est-elle pas aussi réactionnaire qu'elle y paraît, tant elle s'avère encline à développer une vision constructiviste de l'histoire... À nos yeux, soit dit en passant, du constructivisme au conspirationisme, il n'y qu'un pas, et encore. Un exemple ? Le souverainisme. Celui-ci procède plus ou moins de la conviction que la construction européenne serait le fruit d'une planification patiemment mise en œuvre. Or, les calculs d'intérêts, toujours opérés dans les capitales, en demeurent le plus puissant moteur, comme en témoignent ses dernières avancées : comment expliquer la mutualisation partielle des dettes souveraines et l'union bancaire, sinon par la panique des gouvernements nationaux confrontés à la crise ? Les souverainistes se complaisent dans des illusions volontaristes. En vérité, personne ne tire vraiment les ficelles de "l'Europe". Tout simplement parce qu'ici comme ailleurs, à l'échelle de l'histoire, ces ficelles n'existent pas. C'est en cela que « tout est bricolé ici-bas ». Chez Friedrich Hayek, on parle d'un « ordre spontané ». Oups ! Régis Debray nous pardonnera-t-il d'avoir associé son nom à celui d'une icône libérale ?