Faire un islam bien français
14 septembre 2016
Soucieux de "franciser" l'islam, le Gouvernement va créer une nouvelle fondation. Cette expérience sera-t-elle plus fructueuse que les précédentes ?
La France « s'enorgueillit que l'islam soit la deuxième religion
du pays
». Du moins le Premier ministre, Manuel Valls, l'a-t-il
prétendu dans
les colonnes du Huffington Post (5 septembre
2016). Cette religion n'en demeure pas moins étrangère à la nation aux
yeux des pouvoirs publics : dans
un entretien à La Croix (28 août 2016),
Bernard Cazeneuve n'a-t-il pas exprimé sa volonté de « réussir la
construction d'un islam de France
» ? Cela « dans le
respect des valeurs de la République
», ce qui rend la tâche
d'autant plus ardue... « C'est une cause nationale
», martèle
Jean-Pierre Chevènement. C'est à lui qu'il appartiendra de présider
la Fondation pour l'islam de France, créée à cet effet.
Un aveuglement sidérant
À l'automne 1999, alors qu'il était ministre de l'Intérieur et jetait les
bases du Conseil français du Culte musulman (CFCM), il semblait faire
preuve d'humilité : « le temps est passé où l'État pouvait,
en une telle matière, dicter sa volonté
», avait-il reconnu. Dans un
rapport d'information (5 juillet 2016), les sénateurs Nathalie
Goulet et André Reichardt se montrent dubitatifs quant à la capacité de
l'État à façonner l'islam. D'autant qu'il pourrait être tenté de choisir
des interlocuteurs adhérant à sa propre conception de l'islam, cela
« au risque de conforter une illusion
».
Il est vrai que
les pouvoirs publics n'ont pas toujours fait preuve d'une grande
clairvoyance – c'est le moins que l'on puisse dire. Comme le rappelait
Solenne Jouanneau, maître de conférences à l'Institut d'études politiques
de Strasbourg, dans
un entretien à La Vie des idées (26 mai 2015),
« dans les années 1970, Paul Dijoud, secrétaire d'État aux
travailleurs immigrés, considérait même qu'il existait un intérêt à
favoriser le maintien de la pratique religieuse chez les étrangers,
celle-ci étant de nature à favoriser le retour de ces derniers
».
Par ailleurs, comme le soulignent les rapporteurs du Sénat, « jusqu'à
la fin des années 1980, l'État français abordait ses relations avec la
"communauté musulmane" à travers le prisme des pays d'origine de la
plupart des musulmans vivant dans notre pays
».
Dans les années quatre-vingt-dix, cependant, l'État entreprit de « donner
un "visage" à l'Islam de France
». Il se tourna d'abord vers la
Grande Mosquée de Paris, à laquelle il accorda, quelque temps durant, le
monopole du contrôle des abattages rituels. Mais il fit preuve « d'inconstance
au gré des changements de ministre de l'intérieur
». De ces
tâtonnements émergea finalement le CFCM. Lequel apparaît, aux yeux des
parlementaires, « comme le champ des luttes d'influence qui se
jouent entre les fédérations et, à travers elles, plusieurs pays
étrangers
». Sa légitimité s'avère très contestée : parmi
les représentants d'associations musulmanes auditionnés par Nathalie
Goulet et André Reichardt, « plusieurs d'entre eux ont opposé les
"bledards"en situation de responsabilité dans les instances dirigeantes
des fédérations musulmanes aux musulmans nés en France, développant
leurs actions par des structures de terrain
».
Un produit de l'intégration
Les temps changent. « Avant les années 1990
», par
exemple, « les boucheries halal étaient rares
», rappelle
Florence Bergeaud-Blackle, anthropologue, dans
un entretien au Point (31 août 2016). « Certains
musulmans fréquentaient les boucheries casher
»,
explique-t-elle ; « d'autres abattaient à la ferme, mais
d'autres encore, et on a tendance à l'oublier, considéraient également
comme licite la viande des boucheries conventionnelles
».
Autrement dit, l'islam d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier. Il est le
produit paradoxal d'une certaine intégration. « L'islam qui est
pratiqué en France est un islam profondément français
»,
affirme même Solenne Jouanneau. « Car l'islam pratiqué en France
n'est pas un islam hors sol
», explique-elle ; « il
se nourrit de la confrontation des musulmans aux structures juridiques,
socio-culturelles, politiques de la société française
». Pour
le meilleur ou pour le pire : n'est-il pas question, ces jours-ci, du
dévoiement, au profit du terrorisme islamiste, du féminisme occidental ?
NB – Il s'agit d'une version légèrement plus longue de l'article publié dans L'Action Française 2000.