D'un mariage à l'autre
20 septembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000
L'institution du "mariage homo" figure parmi les priorités du gouvernement. Les débats qui s'annoncent au Parlement permettront-ils de discerner les multiples questions que ce projet soulève ? En voici un aperçu.
D'ici la fin octobre, un projet de loi sera présenté afin d'établir, selon les termes du gouvernement, « le mariage pour tous ». Plus couramment, on parle d'autoriser le « mariage homo » - et non celui des homosexuels. Aussi laisse-t-on entendre, au moins par facilité de langage, que ce mariage-là ne sera jamais qu'un avatar parodique de son homologue traditionnel. De toute façon, soutient Luc Ferry, « les unions homosexuelles seront toujours, qu'on le veuille ou non, différentes du mariage ». Pourquoi vouloir les désigner comme tel, en dépit de l'acception attachée à la désignation d'une institution ancestrale ? À certains égards, la réforme annoncée vise moins à conférer de nouveaux droits aux homosexuels qu'à ébranler les structures sociales. Citant un appel à « supprimer l'obligation de fidélité, l'obligation de communauté de vie [...] ainsi que la présomption de paternité (ou de parentalité) » inhérentes au mariage, Éric Deschavanne, un professeur de philosophie, le juge « emblématique de la contradiction qui consiste à revendiquer l'accès à un statut que l'on entend à cette fin vider de sa substance ».
Un ordre symbolique
Quoique favorable à l'institution d'une "union civile" équivalente au mariage, Luc Ferry considère « essentiel, ne serait-ce que pour ne pas mentir aux enfants », que la différence entre l'un et l'autre de ces statuts « soit clairement nommée ». Ce faisant, l'ancien ministre s'érige en défenseur, certes timide, d'un "ordre symbolique" délibérément pris pour cible. Pour les uns, explique Éric Deschavanne, « accorder aux couples homosexuels le droit au mariage et le droit à l'enfant permettrait de mettre un terme définitif à "l'hétéronormativité" (ou "hétérocentrisme") » ; il s'agirait « de remédier à l'humiliation multiséculaire subie par les homosexuels ». À l'opposé, leurs détracteurs entendent « poser des limites objectives à l'évolution des mœurs et du droit de la famille ». Telle est, nous semble-t-il, la démarche de Luc Ferry : « Si la logique [...] est à la fois celle de l'égalité et de l'amour, le mariage devrait [...] être accessible à tous les individus, quels qu'ils soient, qui veulent former un couple », observe-t-il. « Pourquoi pas des frères et sœurs, par exemple, s'ils s'aiment et s'ils y trouvent leur compte ? Qui pourrait, si rien ne vient limiter la dynamique ainsi enclenchée, leur refuser ce droit et au nom de quoi ? » Dans une optique réactionnaire, résume Éric Deschavanne, « le droit est "un langage" qui prétend rendre compte de la réalité et on ne peut lui demander de subvertir les représentations communes qui s'inscrivent dans le langage courant. Ce qui se produirait si l'on introduisait dans le droit le mariage homosexuel et l'affiliation d'un enfant à deux pères ou à deux mères. »
Qu'en sera-t-il à l'issue des débats parlementaires ? Si l'adoption plénière était ouverte aux couples homosexuels, des enfants pourraient effectivement se voir réputés nés de deux pères ou deux mères, au risque de bouleverser les repères de la filiation, déjà brouillés par les mutations de la famille dont cette affaire n'est, somme toute, qu'un symptôme. À moins que le volontarisme juridique soit sans grand effet sur les mœurs, comme le suggère la psychologue Caroline Thompson. Dans une famille homoparentale, affirme-t-elle, « l'enfant n'a aucune illusion sur le fait que ses parents soient deux femmes ou deux hommes ». D'ailleurs, poursuit-elle « il n'appellera pas les deux parents "papa" ou "maman" ». Généralement, les "parents" s'accorderaient pour savoir lequel des deux sera ainsi désigné. Considérant, en outre, qu'« il existe quantité d'exemples où l'éducation [...] ne s'est pas faite dans un milieu familial dit traditionnel », Mme Thompson soutient que l'enfant « trouvera ailleurs ce qui n'est pas donné d'emblée » : chez les grands-parents, mais aussi dans « les histoires racontées par la mère sur les pères ». Cela dit, comme le relève Éric Deschavanne, « les objections sont multiples, que l'on pourrait opposer aux prétendues démonstrations de l'innocuité de l'homoparentalité : contradiction des résultats des études [...] ; partialité des enquêtes conduites par des auteurs militants, caractère excessivement restreint des populations de référence ; absence de recul historique. »
Le mariage, une affaire privée ?
De part et d'autre, on ne manquera pas d'invoquer l'intérêt de l'enfant. À ce petit jeu-là, les réactionnaires devront se montrer prudents. Faut-il agiter « le droit d'avoir un père et une mère » ? On se demande comment un nourrisson pourrait en réclamer l'application. Quant à sa mise en œuvre, supposerait-elle d'imposer aux veuves le choix d'un mari ? Ce slogan sera facile à récuser, étant donné les carences juridiques dont souffriraient, paraît-il, les familles homoparentales, où vivraient entre dix mille et trois cent mille enfants. Aux yeux de Jeannette Bougrab, par exemple, « il ne s'agit pas tant de donner un droit à l'enfant mais de reconnaître le droit des enfants. Il faut adopter des mesures permettant au coparent de poursuivre l'éducation de l'enfant en cas de décès du parent biologique plutôt que placer l'enfant dans un foyer. De même, il convient de modifier les règles [...] afin de permettre au coparent de pouvoir léguer des biens à l'enfant qu'il a contribué à éduquer. »
À cet effet, une libéralisation des successions ne serait-elle pas suffisante ? Faudrait-il, plus généralement, laisser les individus contracter à leur guise ? L'institution du mariage civil remonte à 1792. « En un peu plus de deux siècles, quel succès ! », ironise Georges Kaplan. « Les jeunes gens d'aujourd'hui se marient de moins en moins [...] et un mariage civil sur trois finit en divorce ! Comme à chaque fois que l'État a prétendu réglementer et diriger nos vies privées, il n'est parvenu qu'à détruire ce qui fonctionnait si bien depuis des lustres. » Quoi qu'il en soit, l'ouverture du mariage aux couples de même sexe serait-elle, comme il l'espère, « un premier pas sur la longue route qui nous reste à parcourir pour reprivatiser nos vies » ? À l'inverse, elle conférerait une reconnaissance institutionnelle à des mœurs auxquelles l'État devrait, selon nous, rester indifférent.
Les citations de Luc Ferry, Éric Deschavanne, Caroline Thompson et Jeannette Bougrab sont tirées d'un rapport du Conseil d'analyse de la société publié en mai 2007 ; celles de Georges Kaplan sont extraites de son blog Ordre spontané.