Le libéralisme à l'épreuve de la prostitution
20 juin 2014
À entendre la plupart de nos camarades, le libéralisme serait le principal inspirateur de nos élites. Outre la politique économique et sociale, la proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » témoigne du déni dans lequel se complaisent des esprits en quête d'un ennemi imaginaire.
La dénonciation de la "marchandisation du corps humain" relève du lieu commun, repris à l'envi par Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur d'un rapport d'information rédigé au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat, déposé le 5 juin 2014. « Les jeunes filles [...] doivent comprendre que leur dignité et leur sécurité s'opposent à la marchandisation de leur corps contre de l'argent ou des cadeaux, quels qu'ils soient », écrit-elle notamment. « Des siècles durant, des nourrices bretonnes ou bourguignonnes ont, moyennant finances, nourrit au sein les enfants de la bourgeoisie francilienne », rappelle Georges Kaplan. « Le fait est qu'avant la loi du 18 décembre 1989, une femme pouvait, en toute légalité, vendre son lait sans que personne n'y trouve rien à redire. Ce qui caractérise ces trois dernières décennies, ce n'est donc pas la "marchandisation du corps" ; c'est précisément l'inverse : la généralisation du principe d'indisponibilité du corps humain. »
Quoi qu'il en soit, « sensibiliser les enfants à l'égalité entre filles et garçons devrait être entrepris dès le plus jeune âge », selon Mme Gonthier-Maurin. L'Éducation nationale en viendra-t-elle à dissuader les jeunes filles de se laisser inviter au restaurant ? En tout cas, la délégation du Sénat « conteste le "droit" qu'auraient les femmes de se vendre et celui [...] qu'auraient les hommes de les acheter ». Robert Badinter apparaît bien isolé, lui qui, lors de son audition par la commission spéciale du Sénat « a fait valoir que le droit pénal n'avait pas à intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles entre adultes consentants, qui constituait un élément de la liberté individuelle ». « Il n'est pas de tolérable qu'un être humain achète les services sexuels d'un autre être humain », martèle Mme Gonthier-Maurin. À ses yeux, la « valeur pédagogique de la loi est suffisamment importante en soi pour justifier la mise en œuvre de la pénalisation du client en France ».
La loi en discussion a pour objectif de « proscrire les rapports sexuels imposés par la contrainte économique », explique-t-elle. « Selon Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du nid, on ne peut [...] parler de consentement s'agissant de personnes qui "se battent pour survivre", de même que, de son point de vue, l'on ne saurait présumer véritablement consentants ceux qui, pressés par le besoin, travaillent pour un salaire inférieur au SMIC... » Voilà une comparaison éclairante. Qu'est-ce que le Smic, en effet ? C'est un seuil défini par l'État, distinguant arbitrairement des emplois qui seraient dignes et d'autres qui ne le seraient pas, et contestant implicitement la capacité des individus à exercer leur liberté sous la pression de circonstances données. Au respect du "libre arbitre", cher aux libéraux, il s'agit de substituer des règles supposées éthiques aux dires de l'État. Le rapporteur ne s'en cache pas : « Au risque que ces propos soient caricaturés au nom d'un prétendu moralisme excessif, le terme de travail doit être vigoureusement proscrit pour qualifier ce qui ne saurait être considéré que comme une aliénation : celle qui consiste, pour un être humain, à louer son corps contre de l'argent. » À l'inverse, sans doute faudra-t-il voir une "libération" dans la responsabilité conférée à l'État d'encadrer la façon d'en disposer. CQFD.