L'Alliance en transformation
3 juin 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
L'OTAN prépare l'adoption d'un nouveau concept stratégique, censé l'inscrire dans le monde de l'après-11 Septembre. Le Commandement allié pour la Transformation, avec un Français à sa tête, est étroitement associé aux travaux.
L'OTAN s'achemine vers l'adoption d'un nouveau concept stratégique. Réunis à cet effet en novembre prochain, les chefs d'État ou de gouvernement des vingt-huit pays membres s'appuieront sur les recommandations d'un "groupe d'experts" présidé par Mme Madeleine K. Albright, dont le rapport a été publié le 17 mai, et qui aurait travaillé « en très étroite collaboration » avec le Commandement allié Transformation (ACT), selon le témoignage du Français placé à sa tête, le général Stéphane Abrial – lequel s'est défini comme le « gardien de l'avenir militaire de l'Alliance atlantique » lors d'une conférence prononcée à Paris jeudi dernier, 27 mai, à l'invitation de l'IFRI.
Trois menaces
Outre la perturbation des axes d'approvisionnement énergétique et des voies maritimes, trois menaces pèseraient plus particulièrement sur les Alliés : une attaque de missile balistique, avec ou sans charge nucléaire ; des attentats perpétrés par des groupes terroristes internationaux ; des cyberattaques. Des menaces qui présentent « des variantes hybrides, combinant par exemple la clandestinité d'un groupe terroriste avec la puissance normalement associée à un État-nation – comme les armes de destruction massive, qui peuvent se monnayer ou se voler ». Dans ces conditions, une défense efficace devrait souvent commencer « bien au-delà du territoire de l'Alliance ».
Les rapporteurs réaffirment néanmoins la vocation régionale de l'Alliance, qui « ne saurait régler à elle seule tous les problèmes de sécurité de la planète ». Ils appellent à fixer des « principes directeurs » orientant les interventions de l'OTAN au-delà de ses frontières, et plaident pour le renforcement des partenariats – où l'on recherchera la synergie plutôt que l'unité de commandement, suivant les conseils du général Abrial. « Le concept stratégique devrait [...] donner aux partenaires d'opérations de l'OTAN la possibilité de faire régulièrement et véritablement entendre leur voix. » En outre, « d'autres organisations [...] peuvent prendre la direction des opérations lorsqu'il s'agit d'atteindre des objectifs aussi essentiels que la reconstruction économique, la réconciliation politique ». En application des enseignements tirés de l'expérience afghane, « il faut continuer d'insister sur la nécessité de protéger les civils. [...] L'objectif premier est d'établir une approche civilo-militaire globale qui permette aux autorités locales de gagner la confiance et la loyauté de la population. » L'"approche globale" est « un fil rouge qui parcourt l'ensemble de mon action », a souligné le général Abrial. Mais selon le groupe d'experts, « les efforts de l'OTAN pour opérer avec des partenaires civils manquent encore de cohérence ».
Si l'UE constitue un partenaire « essentiel », sa coordination avec l'OTAN demeure insuffisante ; le différend opposant Chypre et la Turquie n'arrange rien à l'affaire... Le général Abrial a toutefois ouvert « un dialogue suivi » avec l'Agence européenne de défense, qui détient au sein de l'Union les compétences les plus proches de celles de l'ACT. Évoquant l'ONU, Mme Albright et ses collègues observent que son personnel « s'est parfois montré déçu par le niveau de sécurité et de soutien que l'OTAN lui apportait ». Sur le terrain, les deux institutions se disputent parfois les responsabilités. Signe des temps, le rapport stipule que « l'OTAN devrait travailler avec l'ONU afin de donner une suite favorable à la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur le rôle des femmes dans la paix et la sécurité ».
Défense antimissile
La coopération avec la Russie est encouragée. Elle apparaît « hautement souhaitable » en matière de défense antimissile, domaine que les rapporteurs voudraient inscrire « au nombre des missions essentielles de l'Alliance ». « La question est sur la table », a reconnu le général Abrial. Sans y répondre, il s'est interrogé sur les menaces auxquelles répondrait un dispositif antimissile, sur son coût et ses effets d'éviction. En revanche, le retrait des armes nucléaires américaines stationnées en Europe ne serait plus à l'ordre du jour.
« Il convient [...] de passer du dispositif certes puissant, mais statique, de la Guerre froide à une posture plus souple, plus mobile et plus polyvalente », ont résumé les experts. Naturellement, « le principal obstacle à la transformation militaire est l'insuffisance des dépenses et des investissements de défense en Europe. [...] Un fossé particulièrement large s'est creusé entre les capacités des États-Unis et celles des autres pays de l'OTAN, et ce déséquilibre, s'il n'est pas corrigé, pourrait nuire à la cohésion de l'Alliance. » « La crise va nous forcer à une réforme indispensable », a commenté le général Abrial. Afin de rentabiliser au mieux les ressources disponibles, il entend mettre en réseau les capacités de transformation des Alliés, en créant, par exemple, un « catalogue de formations ». Dans un registre similaire, les rapporteurs promeuvent « de nouveaux mécanismes informels de mutualisation des moyens, en particulier pour le transport ».
L'alpha et l'oméga du nouveau concept
De leur point de vue, « l'élaboration d'un nouveau concept stratégique offre l'occasion de faire connaître l'OTAN à des populations qui en savent peu à son sujet et qui doutent peut-être de son intérêt pour leur existence ». Dans cette optique, on comprend mieux la relecture qui nous est proposée de l'histoire : « En 1949, ce n'est pas à cause des forces qu'ils redoutaient que les États membres de l'OTAN se sont alliés, c'est parce qu'ils se faisaient mutuellement confiance et qu'ils avaient foi dans les valeurs démocratiques. » Y compris le Portugal de Salazar ? « Les idéaux fondateurs de l'OTAN devront être l'alpha et l'oméga du nouveau concept stratégique », conclut le groupe d'experts.
Gageons que ces considérations idéologiques seront sans grande incidence sur le travail de l'ACT. Celui-ci pourrait bientôt « monter en puissance ». Une chance pour la France, qui en détient désormais le commandement ? « Nous faisons partie de ceux qui tiennent la plume », s'est félicité le général Abrial. Moins d'un an après sa prise de fonction, sans doute est-il trop tôt pour tirer un premier bilan. Associant les industriels à ses travaux, il a notamment assuré qu'une place plus juste serait accordée aux entreprises européennes. Affaire à suivre.
2 commentaires pour "L'Alliance en transformation"
Catoneo
Le 3 juin 2010 à 12 h 10 min
Le poste ACT du général Abrial est primordial et il est bien dommage qu'une presse sous-informée ou déshonnête ait présenté ce commandement comme un hochet sans valeur.
Mais on ne sort pas de l'intoxication gaullienne comme ça. Il faut du temps et une meilleure capacité d'analyse stratégique que celle qui présida à cette posture de coq déplumé.
La France seule est un slogan historique... désuet.
GD
Le 3 juin 2010 à 13 h 47 min
Vous savez que mon intuition va dans votre sens. Sans bien connaître l'OTAN, j'imagine que nous avons tout à gagner à "tenir la plume", pour reprendre l'expression du SACT. Nous n'avons qu'une voix parmi vingt-huit ? Peut-être, mais pourquoi préférer se retrouver placé devant des faits accomplis ?