Le « crépuscule de l'euro »
1 décembre 2010
La crise des dettes souveraines suscite l'attente d'une "divine surprise". Mais l'enthousiasme des souverainistes appelle selon nous quelques nuances.
Emboîtant le pas a la Revue critique, le Centre royaliste d'Action française ouvre son blog à François Renie, qui annonce le « crépuscule de l'euro ». De fait, la l'éclatement de l'Union économique et monétaire (UEM) n'est plus un tabou. Depuis quelque temps, les analystes se succédant au micro de BFM Radio (devenue BFM Business) évoquent ouvertement cette perspective.
Cela dit, l'auteur a-t-il dressé un tableau fidèle du mécontentement social attisé par la crise et les mesures d'austérité ? Les rues d'Athènes « accueillent toujours les mêmes foules imposantes », affirme-t-il, signalant que « le gouvernement socialiste de M. Papandréou vient de subir un échec aux élections locales ». À l'opposé, Jean Quatremer estime que « les Grecs sont résignés » : « Non seulement les manifestations ne font pas le plein, mais le PASOK, le parti socialiste grec, au pouvoir depuis octobre 2009, vient de remporter haut la main les élections municipales et régionales dont le second tour a eu lieu le 14 novembre. [...] Sur treize régions, huit (dont l'Attique, région la plus peuplée) vont au PASOK qui réussit même l'exploit d'arracher à la droite Athènes et Thessalonique, les deux principales villes du pays. » Certes, l'abstention refléterait la grogne populaire, « mais pas au point de remettre en cause la rigueur ». D'ailleurs, « en Attique, deux candidats (un de droite, un de gauche) ayant mené campagne contre le mémorandum UE-FMI ont été éliminés ». Notre confrère nous aurait-il menti ?
Nous sommes peu enclin à le croire, étant donné le manque de mesure – voire les relatives approximations – dont semble témoigner son détracteur. Selon lui, « la Commission et le directorat européiste de l'Union » auraient annoncé « une prochaine révision des traités européens, dans le sens, naturellement, d'un durcissement des critères de convergence ». Or, le projet de révision, officialisé à l'issue du Conseil européen des 28 et 29 octobre, porte uniquement sur la pérennisation du Fonds européen de stabilisation financière. L'institution d'un "semestre budgétaire", par exemple, s'inscrit dans le cadre du droit primaire existant.
Enfin, bien que l'euro soit plus au moins calqué sur le mark, l'influence de l'Allemagne n'est pas sans limite. Berlin « détient [...] tous les pouvoirs de fait au sein de la BCE », soutient François Renie. Or, Axel A. Weber, le président de la Bundesbank, est entré en conflit ouvert avec Jean-Claude Trichet, après qu'il fut mis en minorité par le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne décidant le rachat de titres obligataires. L'auteur promet encore « une offensive sans précédent de Berlin [...] pour mettre l'ensemble de l'économie européenne sous contrôle », annonçant que la France, « selon son habitude, suivra les injonctions allemandes [sans] broncher ». C'est oublier l'accueil qui fut réservé outre-Rhin au compromis franco-allemand arrêté à Deauville le 18 octobre. « Le gouvernement allemand a spectaculairement échoué dans sa volonté de faire du Pacte de stabilité un nouvel instrument de discipline budgétaire », commentait alors le Financial Times Deutschland. Il est vrai que la stricte automaticité des sanctions a été refusée par Paris. Quant à la suspension des droits de vote au Conseil, elle a été renvoyée aux calendes grecques par le Conseil européen. C'était prévisible et, pour cette raison, le soutien français accordé à cette revendication n'apparaît pas forcément comme un reniement idéologique.
Cela étant, la France est-elle bien inspirée de négocier les marges de manœuvre qui la précipiteront vers la banqueroute ? En pratique, le poids de la dette entrave le pays bien davantage que le carcan juridique européen, qui n'est somme toute qu'un outil dont la pertinence de l'emploi devrait être évaluée en fonction d'objectifs préalablement définis.
PS - Au lieu de cela, on nous propose un vague projet institutionnel, dont l'auteur regrette certes qu'il ne soit pas davantage abouti. Ce serait « une Europe des ingénieurs et des créateurs, des producteurs et des artistes et non plus l'Europe des énarques et des juristes que nous connaissons aujourd'hui ». Comme si l'une était exclusive de l'autre ! Tandis qu'il imagine que l'UE se fonde « sur la chimère d'un "État européen" », l'auteur néglige la multiplicité des coopérations internationales d'ores et déjà mises en œuvre sans l'intervention de Bruxelles. Parmi celles que nous avons croisées récemment figurent la convention Schengen originelle, le Triangle de Weimar, l'Initiative 5 + 5 Défense, Eurogendfor, le Commandement européen de transport aérien (EATC), l'Agence spatiale européenne... Autant de projets échafaudés indépendamment les uns des autres, ce qui rend d'autant plus inconséquentes les incantations en faveur d'une « Europe des nations ».