1 juillet 2016
Un billet teinté d'ironie soufflé par le camarade Philippe.
Le vote "leave" l'a donc emporté le 23 juin 2016. « Ce
référendum n'est pas la victoire des peuples sur les élites, mais des
gens peu formés sur les gens éduqués
», a commenté l'inénarrable
Alain Minc, suscitant
l'indignation de notre confrère Louis Hausalter. Dans la foulée,
bien des "réinformateurs" auront dénoncé la condescendance prêtée au Pays
légal. Celui-ci serait-il peuplé de nouveaux réactionnaires ?
De fait, les propos d'Alain Minc ne sont pas sans rappeler (dans une
certaine mesure, n'est-ce pas ?) ceux tenus jadis par Charles Maurras. Le
28 juin 1941, dans les colonnes de L'Action Française,
ce dernier se défendait du « reproche imprévu de mépriser le
peuple
», tandis qu'il lui refusait « le hochet d'une
fausse souveraineté, qu'il ne peut même pas exercer et que l'on ne peut
même pas concevoir
». Et d'expliquer : « Nous
respectons trop le peuple pour aller lui dire : "Il suffit de
compter les voix des incompétents, pour résoudre les questions d'intérêt
très général qui exigent de longues années d'étude, de pratique ou de
méditation. Il suffit de recueillir et d'additionner les suffrages des
premiers venus pour réussir dans les choix les plus délicats."
»
« Dire au peuple ce qui n'est pas serait lui manquer de respect
»,
poursuivait-il ; « lui débiter des fables pernicieuses, c'est
tantôt le haïr, tantôt le mal aimer
» ; « profiter,
pour lui faire ce mensonge, de la confiance naïve qu'il a voulu placer
en vous, c'est abuser de lui, le trahir et vous dégrader vous-même
».
Qu'on se le dise : au moins Alain Minc a-t-il préservé sa
dignité !
NB – Les citations sont tirées du Dictionnaire
politique et critique.
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15 juin 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
La question posée aujourd'hui, à l'approche du référendum sur le Brexit,
l'a déjà été à maintes reprises, comme en témoignent les archives d'Aspects
de la France.
En 1950, alors que fut proposée la création de la CECA (Communauté
européenne du charbon et de l'acier), le gouvernement britannique « considérait
que l'appartenance à un groupement exclusivement européen affaiblirait
ses liens avec le Commonwealth et la défense atlantique
»,
comme l'explique Helen Parr dans le Dictionnaire critique de
l'Union européenne (Armand Colin, 2008). Cependant, Londres ne
tarda pas à reconsidérer sa position, tandis que se développait le Marché
commun. En effet, « celui-ci était devenu le premier partenaire
commercial de la Grande-Bretagne
». De plus, « la
Communauté était en train de s'imposer sur la scène internationale, au
risque d'isoler la Grande-Bretagne
». Aussi sa demande
d'adhésion fut-elle présentée en juillet 1961.
L'Action française contre l'élargissement
Albion se heurta toutefois à l'hostilité de Paris. Dans les colonnes d'Aspects
de la France, on était loin de le déplorer : « pas
d'élargissement du Marché commun sans révision du traité de Rome
»,
résumait le titre d'un article signé Finex, publié dans le numéro du
7 décembre 1967 ; sans quoi, expliquait-il, « le poids
[...] du vote de la France
[...] serait diminué en valeur
relative
». « Ceux qui prônent l'entrée de la
Grande-Bretagne dans le Marché commun n'avancent aucun argument relevant
de l'intérêt français
», tranchait Pierre Pujo ; « on
ne nous a pas encore dit comment l'économie française supporterait la
concurrence anglaise
», déplorait-il notamment.
Un traité n'en fut pas moins signé quatre ans plus tard. « Il
faut écarter d'emblée la théorie selon laquelle tout élargissement d'une
aire économique serait un bien
», commentait Georges Mollard,
dans le numéro du 27 janvier 1972. De son point de vue, l'économie
était manifestement un jeu à somme nulle ; qu'importent Ricardo et
ses "avantages comparatifs" : « toute l'expérience acquise
tend au contraire à montrer que ce qui serait bon pour l'un serait
mauvais pour un autre
». En tout cas, « les nouveaux
arrivants ne sont pas disposés à oublier leurs intérêts nationaux
»,
prévenait Pierre Pujo ; la « cohésion
» de la Communauté
européenne s'en trouvera même fragilisée, annonçait-il. La hantise d'une
Europe fédérale n'en continuait pas moins d'animer les collaborateurs du
journal. Le 15 mai 1975, par exemple, Aspects de la France
dénonçait la « chimère européenne
» du président Valéry
Giscard d'Estaing.
Déjà un référendum en 1975
Le mois suivant, les Britanniques étaient appelés, déjà, à s'exprimer sur
le maintien de leur pays dans la Communauté européenne. Comme l'expliquait
Pierre Pujo dans son éditorial du 12 juin 1975, le chef du
gouvernement britannique avait « cru trouver dans le recours à la
procédure du référendum
[...] le moyen d'esquiver ses
responsabilités de Premier ministre et de surmonter la division de son
parti sur la question européenne
». L'histoire se répète !
« Malgré le référendum britannique, "l'Europe" recule
»,
titrait alors Aspects de la France. Échec venait d'être fait
au Brexit. « Les partenaires de la Grande-Bretagne
[...] auraient
tort de croire qu'ils trouveront désormais en elle un associé animé d'un
grand enthousiasme communautaire
», prévenait Pierre Pujo.
« La prétention de nos gouvernants de se présenter comme les
meilleurs "européens" peut être de bonne tactique dans les négociations
»,
concédait-il de façon plus étonnante « Travaillons à réaliser le
concert des nations européennes tant sur les problèmes politiques et de
défense que sur les questions économiques et monétaires
»,
poursuivait-il ; « mais n'oublions pas que la France ne
tiendra son rang, tant vis-à-vis des superpuissances que de ses
partenaires européens, que dans la mesure où elle représentera
elle-même, sur tous les plans, une force
». En effet, qu'est-ce
que la souveraineté sans la puissance ?
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18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Comment L'Action Française traitait l'actualité au
printemps 1916, un siècle avant la commémoration officielle de la bataille
de Verdun.
Il y a cent ans, le
29 mai 1916, à la une de L'Action Française, des
communiqués officiels rendaient compte brièvement des opérations
militaires. Sur la deuxième page du journal, quelques lignes étaient
consacrées à la bataille de Verdun : « on pouvait prévoir,
après l'acharnement des dernières luttes, que les Allemands
s'abstiendraient de toute attaque avant d'avoir reconstitué leurs
divisions décimées par le feu
», soulignait le commandant Z.
Mais il n'en fut rien : « l'ennemi a dirigé un violent
bombardement », observait-il ; depuis deux jours, en revanche,
il n'y avait eu « aucune attaque d'infanterie
».
Kant et Rousseau accablés
Dans un petit article non signé, L'AF s'interrogeait sur la
Grèce, alors « en proie à l'invasion bulgare
» :
« les neutres n'échapperont pas à leur destin
»,
prévenait l'auteur ; « quoi qu'elle fasse, sa cause devrait
être désormais liée à la nôtre : nous nous heurtons aux mêmes
ennemis, son "ennemi héréditaire" le Bulgare et le bloc germanique,
destructeur des peuples
». Nulle complaisance n'était tolérée à
l'égard de l'ennemi. Léon Daudet en débusquait les espions et autres
complices présumés, à l'image des collaborateurs de Maggi (les petits
cubes alimentaires) – « une boîte allemande à masque suisse
»,
dénonçait-il. Charles Maurras, quant à lui, se disait « heureux
d'applaudir aux paroles
» d'un certain Paul Helmer : « c'est
la nation allemande tout entière qui a voulu la guerre
»,
affirmait ce dernier ; « c'est elle tout entière qui doit
être châtiée
», poursuivait-il. Le Martégal prêtait des
origines philosophiques au conflit en cours : « l'État boche
procède d'un type d'individualisme absolu trouvé chez Kant, maintenu et
copieusement développé dans Fichte, comme l'État jacobin émane et évolue
du libéralisme absolu admis également comme point de départ par Rousseau
»,
expliquait-il.
Renvoyés à des considérations plus terre-à-terre, les lecteurs étaient
invités à soutenir l'effort de guerre via la
souscription d'obligations. Une liste de combattants tombés au champ
d'honneur était publiée en une ; c'était déjà la cinq cent
soixantième... Mais toute légèreté n'était pas bannie des colonnes du
journal, où se poursuivait un « feuilleton
» – en
l'occurrence, L'Île au trésor de Robert Louis
Stevenson.
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4 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Journaliste, historien, Jacques Bainville (1879-1936) est toujours resté
très lié à l'Action française, tout en rayonnant au-delà. Nous remercions
son biographe, Christophe Dickès, de nous avoir éclairé sur ce point. La
place ayant manqué dans les colonnes du journal, nous publions ci-dessous
l'intégralité des réponses qu'il nous a apportées
Présenter Jacques Bainville « comme un historien d'Action
française
» reviendrait-il à entretenir « une fausse
vérité
», comme cela a été dit dernièrement au micro de Radio
Courtoisie ?
Il me semble difficile de séparer Jacques Bainville de l'école d'Action
française. Dès les premières années de l'AF, Bainville tient à populariser
l'idée de monarchie. Ceci est très net dans sa réponse à l'Enquête
sur la Monarchie de Maurras : il explique qu'il est
nécessaire d'adopter un comportement pédagogique à l'égard de la
population afin de faire comprendre les bienfaits des idées monarchiques.
Plusieurs années après, en 1924, il publie son Histoire de France
qui a précisément cette vocation : réhabiliter l'histoire et le
travail des rois de France alors qu'ils étaient dénigrés par l'histoire
républicaine et progressiste. Bainville est un vulgarisateur, dans le bon
sens du terme. On le sait, il fait partie des historiens dits engagés. Il
est considéré comme tel dans les études historiographiques. Or cet
engagement en faveur des idées monarchiques défendues par l'AF ne souffre
aucune contestation. Il faut aussi lire son carnet intime de 1929 que j'ai
publié aux éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il parle
de l'AF de la façon suivante en 1929 : « La faiblesse de l'AF
n'est pas, comme le croyait Barrès, de ne s'adresser qu'à la raison et
de ne pas tenir compte des puissances des sentiments. C'est de ne
s'adresser qu'aux sentiments nobles, désintéressés, à l'amour du bien
public, à la vertu.
» Mais au-delà de ces sentiments, Bainville
a complètement intégré dans son analyse politique le modèle maurrassien de
l'empirisme organisateur.
Jacques Bainville accordait-il une importance particulière à son
travail pour L'Action Française, ou bien collaborait-il
avec elle au même titre qu'avec d'autres journaux ?
Selon les archives des Renseignements généraux, la fameuse sous-série F7,
Bainville fait partie des structures de l'AF dans les années
d'avant-guerre. Avec le temps, son engagement militant sera moindre. Mais
Jacques Bainville a été toute sa vie rédacteur de L'Action
Française. Il avait à l'AF son bureau et ses amitiés, qu'il n'a
jamais trahies. Il disait de Maurras qu'il lui devait tout, sauf la vie.
L'idée que Bainville aurait pris ses distances avec l'AF vient du fait
qu'après-guerre, ses succès d'écrivain lui ont permis de s'émanciper et de
s'engager pour plusieurs journaux en dehors du cercle monarchiste : La
Liberté, Le Petit Parisien, etc.
Mais cette émancipation et cet engagement professionnel ne doivent pas
occulter la persistance de son antiparlementarisme et de son
antilibéralisme. Ceux qui veulent sortir Bainville de l'AF raisonnent par
anachronisme en estimant que le modèle de la Ve République
aurait convenu à Bainville. En effet, l'intégration de la politique
étrangère comme un domaine réservé du président de la République, sous la
Ve République, aurait pu remporter son adhésion. D'ailleurs, du
point de vue des idées, il me semble évident que ce domaine régalien a été
intégré à la constitution de la Ve République sous l'effet de
la pensée politique de Charles Maurras. Le colloque organisé par le
professeur Georges-Henri Soutou et Martin Motte sur l'influence de Maurras
sur la politique étrangère de la France l'a très bien montré
(Georges-Henri Soutou et Martin Motte, Entre la vieille France et
la seule France, Economica-ISC, collection Bibliothèque
stratégique, 2010). Il ne faut donc pas faire de contresens : c'est bien
Maurras et Bainville qui ont inspiré la politique étrangère de le la
France et le fameux domaine réservé. Non l'inverse.
Sa distance vis-à-vis des antidreyfusards et sa défiance à
l'égard de l'antisémitisme ne plaçaient-elles pas Jacques Bainville en
marge des nationalistes qu'il côtoyait ?
Votre question montre toute la complexité de l'époque de l'affaire
Dreyfus mais aussi de l'Action française en général. Lionel Jospin s'était
pris une volée de bois vert de la part des historiens en plaçant la gauche
du côté des dreyfusards, la droite du côté des antidreyfusards... La
grille de lecture est bien plus nuancée. Bainville est dreyfusard sur le
plan judiciaire, antidreyfusard sur le plan politique car il est estime
que les conséquences de l'affaire seront catastrophiques pour la France.
Quand l'affaire atteint son paroxysme, il observe tout cela d'Allemagne.
Et il s'inquiète de la division française face à l'empire wilhelmien en
devenir... Cette idée va jouer sur son engagement monarchiste. Ceci dit,
il faut rappeler qu'il n'avait aucun engagement politique ni littéraire à
cette époque. Rappelons aussi que quand Dreyfus est condamné en 1894, il a
à peine quinze ans !
Jacques Bainville se définissait-il lui-même comme nationaliste ?
Oui, c'est évident. Toute son œuvre sur l'Allemagne et la France en est
la preuve évidente. Les intellectuels du IIIe Reich justifient
le nationalisme allemand contre la France en partant de l'œuvre de
Bainville. Pour eux, il s'agit de répondre à la conception westphalienne
de l'Allemagne prônée par Bainville dans la tradition politique de
Richelieu.
Alors qu'il était réputé pour sa modération, comment
s'entendait-il avec Léon Daudet, qui disait vomir les tièdes ?
C'était tout simplement son meilleur ami. Jacques Bainville est celui qui
va reconnaître le corps de Philippe Daudet à la morgue en 1923... C'est
vous dire les liens qui unissaient les deux familles. Une autre
anecdote : Hervé, le fils de Jacques, n'a entendu son père se mettre
en colère qu'à une seule reprise : alors que Léon Daudet était en
exil en Belgique, les Bainville déjeunaient chez eux ; or un
journaliste a eu le malheur de sonner à la porte et de les déranger ;
Bainville est entré dans une colère noire, chassant manu militari
l'impétrant. Bainville était un faux calme et il ne supportait pas une
telle intrusion dans l'intimité familiale et amicale. Dernière
anecdote : après son élection à l'Académie française, Bainville rend
hommage aux Daudet, Pampille (Marthe Daudet) et Léon : « Je
crois que si nous avons montré quelque chose, c'est que l'amitié n'est
pas une chimère.
[...] Il y a vingt-huit ans, depuis la
fondation du journal, que nous sommes assis, Léon Daudet et moi, à la
même table de travail.
[...] Je crois que si on voulait la
scier, elle résisterait comme du granit, bien qu'elle ne soit que de
bois blanc.
»
Soucieux de la place de la France au sein du concert des nations,
se distinguait-il en cela d'un Maurras prônant la politique de « la
seule France
» ?
C'est une excellente question à laquelle j'ai répondu à l'occasion du
colloque que j'évoquais précédemment. Sur les principes, Bainville était
maurassien. Plus maurassien d'ailleurs que Charles Maurras lui-même.
Encore une fois, l'empirisme organisateur constitue la base de l'analyse
politique bainvillienne empruntée à Maurras. C'est une des conclusions de
ma thèse de doctorat. Néanmoins, dans les faits politiques, Bainville fait
évoluer Maurras, notamment sur l'entente cordiale. Je me permets de
renvoyer vos lecteurs à ma contribution à ce colloque.
Constatant qu'à la différence de Maurras, Bainville ne s'était
pas enthousiasmé devant Athènes, vous avez parlé d'une « nuance
importante
» dans un précédent entretien ; que
vouliez-vous dire ?
Bainville voyage en Grèce comme tout intellectuel de la IIIe République se devait de le faire. Il tire de ce voyage le livre Les
Sept Portes de Thèbes. Mais le biographe de Bainville, Dominique
Decherf, montre bien que ce voyage ne lui a tout simplement pas plu. Il a
beaucoup de mal à s'extasier devant des ruines et des pierres qui, tout
simplement, ne l'inspirent gère... C'est ici que l'on voit que Bainville
est plus "romain" que "grec".
Les opinions libérales de Jacques Bainville étaient-elles
contestées au sein de l'AF ? Il n'y a « rien de plus
terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie
»,
écrivait-il, par exemple, dans L'Action Française du
2 novembre 1925 ; aujourd'hui, de tels propos ne feraient-ils
pas bondir les souverainistes ?
Bainville pensait au système de l'Écossais John Law sous la régence de
Philippe d'Orléans ou encore aux assignats de la Révolution
française : il critiquait l'artificialité du papier-monnaie. Je ne
sais pas s'il a rencontré des objections au sein de l'AF sur son
libéralisme économique. Cela devait être sûrement le cas. Néanmoins, sa
réputation en matière d'investissements n'était plus à faire. Il donnait
des conseils boursiers dans la Revue universelle et rendait accessibles
les difficultés de l'économie dans le journal populaire Le Petit
Parisien. Cela pouvait le distinguer au sein de l'Action
française, dont les composantes sont bien plus complexes que
l'historiographie le laisse souvent entendre.
Des essayistes présentant l'histoire comme le fruit d'une
volonté, d'une planification, voire d'une conspiration, sont parfois
considérés comme les héritiers de Jacques Bainville ; n'est-ce pas se
méprendre quant à la nature de sa pensée ?
À la différence de Maurras, Bainville n'a jamais parlé de la
franc-maçonnerie et encore moins de complot juif. Il ne se reconnaissait
pas dans la théorie maurrassienne des États confédérés. En revanche, il a
critiqué le projet idéologique wilsonien après la Grande Guerre, projet
d'inspiration protestante d'ailleurs rejeté par la représentation du
peuple américain... Bainville n'a jamais fait du conspirationisme un fonds
de commerce et je n'ai jamais trouvé trace chez lui de l'existence d'une
telle planification. D'un point de vue plus général, il estimait que la
nature était plastique. Que l'histoire était faite de renaissances et de
décadences, et que l'homme pouvait agir sur son milieu. D'où le fameux mot
de Maurras : « Tout désespoir en politique est une sottise
absolue.
» Bainville écrivait lui, toujours en 1929 : « Le
nationalisme interdit d'aller jusqu'au bout de la théorie de la
catastrophe.
» Néanmoins, il confesse par ailleurs son
pessimisme, voire une forme de nihilisme mais dont il n'a jamais fait
profession publiquement. Une attitude qui est la conséquence d'une
lucidité sur cette Europe qui, pour la deuxième fois en moins de
vingt-cinq ans, allait sombrer dans le chaos.
Quelle trace l'œuvre de Jacques Blainville a-t-elle laissé dans
l'histoire ?
Je dirai un quadruple héritage : une conception géopolitique de la
France et de son rôle dans le concert des nations ; l'image aussi
d'un Cassandre alors que le conflit franco-allemand avait atteint son
paroxysme dans l'histoire européenne ; un style absolument
remarquable mais aussi des articles aux accents profondément
contemporains : il faut, par exemple, relire L'Avenir de la
civilisation écrit au lendemain de la Grande Guerre. Ce texte
garde toute son actualité et n'a pas pris une ride.
À lire – La Monarchie des Lettres,
anthologie des grands textes de Jacques Bainville (Histoire de trois
générations, Histoire de deux peuples, Les
Conséquences politiques de la paix, des récits de voyages, un
choix de correspondances, mais aussi une centaine d'articles de presse
tirés de la Revue universelle, La Liberté, L'Action
Française, Candide, Le Capital),
introductions et notes de Christophe Dickès, éditions Robert Laffont,
collection Bouquins, 2011, 1 152 pages, 30,50 euros.
NB – Le 19 mars 2016, au micro de Radio
Courtoisie, Michel Rouche, professeur émérite à la Sorbonne, a
fait l'éloge de Jacques Bainville et de son Histoire de France.
Il participait au Libre Journal des lycéens animé par
Antoine Assaf. Cependant, il a évoqué ce « point fondamental
»
à ses yeux : « beaucoup de gens sont persuadés de cette
fausse vérité, à savoir qu'ils considèrent Jacques Bainville comme un
historien d'Action française
», a-t-il déclaré ; or, a-t-il
poursuivi, « lui-même a toujours protesté en disant qu'il n'était
pas membre de l'Action française
» ; et d'affirmer
que « les manifestations qui ont éclaté à la mort de Jacques
Bainville organisées par l'Action française étaient une tentative
d'annexion de la pensée de Jacques Bainville
» ! Il est
vrai que celui-ci a rayonné bien au-delà de l'AF, mais de là à
l'en détacher ainsi, il y un pas que nous nous serons bien évidemment les
derniers à franchir ! L'intervention d'Alain Lanavère s'est avérée
plus consensuelle : « Bainville avait l'immense mérite de
n'être pas universitaire
», a-t-il expliqué « donc
il n'écrit pas l'histoire avec le jargon des universitaires
» ;
« il était un homme tout à fait de son temps, et sa langue est
admirable de clarté
».
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16 juillet 2015
Article publié dans L'Action Française 2000
Observateur attentif des droites radicales, Jean-Yves Camus
est politologue, chercheur associé à l'IRIS (Institut de relations
internationales et stratégiques).
« Protéger les jeunes du risque
d'endoctrinement anti-républicain » : tel était
l'objet du séminaire organisé par France Stratégie (le "laboratoire
d'idées" du gouvernement, héritier du Commissariat général au Plan),
auquel vous avez participé le jeudi 2 juillet 2015. Les royalistes
étaient-ils visés ?
Cette formulation émane d'une administration. Or, mon regard
est celui d'un universitaire. Sur la forme républicaine du
gouvernement, chacun a son opinion, mais je crois, honnêtement, que le
coup de force n'est pas pour demain. Que l'on s'en réjouisse ou qu'on
le déplore, le sujet, aujourd'hui, ce n'est pas le mouvement
royaliste ! Ce qui importe, c'est de regarder les mouvements
qui posent un danger pour la sécurité intérieure et extérieure de la
France. Au cours de cette réunion, 80 % des discussions ont
donc porté sur l'islamisme. L'interdiction des mouvements comme le
vôtre serait absurde. De toute façon, l'objet des discussions n'était
en aucun cas d'évoquer des mesures de répression : seul le
gouvernement peut décider de mesures de dissolution, qui ne pourraient
en aucun cas supprimer une école de pensée.
Intervenant en tant que « spécialiste
des nationalismes et extrémismes en Europe », vous avez pris
la parole aux cotés de la directrice générale du Centre de prévention
contre les dérives sectaires liées à l'islam. L'extrême droite et
l'islamisme représenteraient-ils un danger commun pour les institutions
ou la société, comme le suggère la dénonciation de
« l'islamo-fascisme » ? Y aurait-il des
points communs, voire des passerelles, entre l'islamisme et les droites
radicales ?
L'islamo-fascisme est un concept parfaitement creux, dont
l'emploi peut, à la rigueur, permettre à des publicistes de "clasher"
dans les débats télévisés, mais scientifiquement, il ne tient pas. Cela
étant, il y a effectivement des points de convergence entre tel ou tel
groupuscule – je dis bien groupuscule – d'ultra-droite et les discours
délirants qu'on peut trouver chez les salafistes radicaux :
sur le complot international, le rôle caché de tel ou tel groupe de
pression qui dirigerait le monde en tenant les ficelles... Il y a
également quelques cas rarissimes – on doit les compter sur les doigts
de la main – de gens qui, tout en ayant eu un engagement à
l'ultra-droite, sont passés ensuite à un engagement islamiste. Mais
aujourd'hui, le problème qui se pose, ce sont les conversions, pas les
passages de l'ultra-droite au salafisme !
La République est sur toutes les lèvres, comme
en témoignent l'organisation de ce séminaire ou le changement de nom de
l'UMP. Son invocation ne serait-elle pas le paravent "politiquement
correct" d'une certaine "islamophobie" ?
Je fais partie des gens qui utilisent le terme d'islamophobie.
Je n'en ai jamais nié la pertinence lorsqu'il s'agissait de parler
d'une forme de détestation de l'islam qui constitue, au sens clinique,
une phobie. Quand on a une phobie de l'islam et des musulmans, sans se
demander si les gens se définissent eux-mêmes comme musulmans, ni s'ils
sont totalement intégrés à la Nation française, quand on part du
principe que tous les musulmans forment une cinquième colonne dans la
République, alors on est un islamophobe. Cela étant, le terme est
parfois aussi utilisé pour entraver la liberté que l'on doit avoir de
questionner l'islam, de critiquer l'islam, comme on peut également
questionner et critiquer le catholicisme, le judaïsme, tout type de
croyance philosophique et religieuse. Je ne dirai pas que l'invocation
de la République sert de paravent à l'islamophobie. Cependant, il est
d'autant plus question de République, d'une façon parfois un peu
totémique, depuis que se pose la question de la radicalité islamiste en
France, et qu'une interrogation réelle se fait jour sur la place qu'on
doit donner à l'islam dans notre pays.
« En Europe occidentale »,
expliquiez-vous à L'Humanité en 2012, « les
populismes d'extrême droite ont réussi à détourner le logiciel
idéologique de la gauche sur les questions sociétales ». Qu'en
est-il du Front national ? Sa critique relativement mesurée du
"mariage pour tous" participe-t-elle de ce phénomène ? Par
ailleurs, Marine Le Pen aurait-elle rompu avec son père parce que
l'antisémitisme ne lui semblerait plus rentable ?
Tout ce mouvement-là est lié à la question de
l'islam : défense des homosexuels dans leurs droits en tant
que minorité, parce qu'on explique que, dans les pays d'islam, ils
n'ont aucun droit, et qu'ils sont menacés ici même par la montée du
fondamentalisme musulman ; défense des femmes, parce que l'islam les
opprime et les force à porter le voile ; défense de la laïcité, parce
que l'islamisme cherche à la détruire ; réappropriation de
toutes les valeurs sociétales qui étaient portées auparavant par la
gauche, parce que certains milieux laïcs considèrent qu'aujourd'hui, il
y a, dans les pays européens un nouveau totalitarisme qui s'exprime, le
totalitarisme islamiste. On vient défendre les libertés individuelles,
les libertés des minorités, contre ce totalitarisme-là. C'est vrai à ce
point que Pim Fortuyn et Geert Wilders ont pris aussi la défense des
Juifs des Pays-Bas, dont ils expliquent qu'ils sont menacés par le
totalitarisme islamiste, ce qui n'était quand même pas l'optique
dominante à l'ultra-droite il y a encore quelque temps... Que
l'évolution du Front national s'inscrive dans la même logique, cela ne
fait aucun doute. Mais il faut être très clair : l'antisémitisme,
électoralement, cela n'est pas rentable du tout ! D'ailleurs, cela
n'est pas davantage rentable que le supposé vote juif. Une étude de
Jérôme Fourquet (Ifop) sur « les votes juifs » montre
combien il est statistiquement insignifiant et divers.
« La France n'est pas que la
République », a déclaré Marion Maréchal-Le Pen, dans un
entretien à la revue Charles. Pensez-vous, comme
l'annonce Bruno Roger-Petit dans Challenges,
qu'il s'agisse d'« un cri de ralliement lancé à ce que
l'extrême droite française a toujours produit de pire depuis deux
siècles » ?
Ce qu'il y a de pire dans l'histoire des extrêmes droites,
c'est le national-socialisme... La république est la forme de
gouvernement qui, je crois, rassemble la majorité des Français.
Regardons toutefois la carte de l'Europe, ou, plus précisément, celle
de l'Union européenne : la Belgique est une monarchie, le
Danemark aussi, tout comme l'Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, le
Royaume-Uni ou la Suède... Tous ces pays n'en sont pas moins des
démocraties. Autrement dit, la royauté et la démocratie peuvent aller
de pair, même si, évidemment, dans le cas du journal que vous
représentez, la critique de la démocratie est principielle...
D'ailleurs, je crois que c'est aussi la force de la République de
tolérer que soient critiqués les fondements même de nos institutions.
Quel regard portez-vous sur l'Action
française ?
Par rapport à son histoire, évidemment, j'ai des divergences
énormes, qui portent en premier lieu sur l'antisémitisme d'État. En
effet, si jamais cela ne laissait pas entendre qu'il existerait des
Juifs anti-nationaux (ou non nationaux), le terme de juif national
m'irait assez bien : je suis français, je suis patriote, je
suis attaché à mon pays, au modèle civilisationnel qu'il y représente,
y compris dans la période antérieure à 1789 ! Je suis par
ailleurs clairement de cette gauche qui n'oublie pas la Nation.
L'histoire de France est indivisible à mes yeux, et ses racines sont
bien plus lointaines que la Révolution française. Cela dit, j'ai
toujours expliqué que l'Action française ne se résumait pas aux gens
tombés dans la collaboration pro-nazie, que Maurras avait condamnés, et
qui avaient condamné Maurras. D'ailleurs, on redécouvre le rôle des
militants d'Action française dans la Résistance. Toute l'AF ne tient
pas dans la dérive idéologique de Brasillach, Rebatet et quelques
autres. Maurras fait partie du patrimoine intellectuel français. Mais
comme toujours, comme dans la pensée de tous les auteurs – y compris
Voltaire –, on est amené naturellement à retrancher. Sur
l'antisémitisme d'État, les choses ont été faites assez clairement,
notamment par Boutang, assez tôt après la guerre. Incontestablement, on
peut tout dire de Maurras, sauf que c'est un écrivain ou un philosophe
insignifiant.
Publié dans Action française, Islam, Politique | Pas de commentaires
23 juin 2015
Allez, un peu de polémique ! Une réponse succincte à Bruno Roger-Petit...
Nos confères de Challenges n'aiment pas
les royalistes. Leur péché, selon
la tribune inquisitoriale publiée aujourd'hui même par Bruno Roger-Petit ?
Établir une distinction entre la France et la République.
Il est est vrai que leurs convictions les y condamnent
fatalement, de la même façon qu'à l'étranger, des républicains sont
bien obligés de dissiper la confusion entretenue par l'histoire entre la
monarchie et la Belgique, l'Espagne ou le Royaume-Uni...
Ce péché, donc, Marion
Maréchal-Le Pen vient de le confesser. C'est pourquoi, avec
elle, selon Bruno Roger-Petit, on serait « bel et bien de
retour dans le salon de Maurras, bien loin de la libraire-papeterie de
Poujade ou de la tombe du général à
Colombey-les-deux-Églises » – comme si celui-ci n'avait pas
été influencé par l'Action française...
Or, cette distinction établie entre la France et la
République, ce serait « un cri de ralliement lancé à ce que
l'extrême droite française a toujours produit de pire depuis deux
siècles ». Charles Maurras, mais aussi Pierre Boutang, Thierry
Ardisson, Stéphane Bern ou Steevy Boulay, par exemple, sans parler du
colonel Rémy ou d'Honoré d'Estienne d'Orves : des gens aux
idées « pires » que celles d'Henry Coston, Édouard
Drumont, Joseph Arthur de Gobineau, etc. ?
Ah, les goûts et les couleurs !
NB – Marion Maréchal-Le Pen prétend ne pas comprendre pourquoi la "République " a tellement la cote. De notre point de vue, la réponse est simple : c'est à cause de l'islam ! La hantise qu'il inspire s'abrite derrière la paravent de la laïcité, qui est censée être consubstantielle à la République, mais dont l'invocation contribue manifestement à en exclure un nombre croissant de nos compatriotes...
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27 février 2015
Un article publié par U235 explique pourquoi cette notion est
« une absurdité scientifique ».
Le "choc des civilisations" hante les esprits.
« Pourtant », explique
Olivier Schmitt, « pour les spécialistes de
relations internationales, il s'agit d'un concept zombie, qui a été
disqualifié de multiples fois théoriquement et empiriquement, mais qui
refuse manifestement de mourir ». Aussi l'auteur de cet
article se propose-t-il d'« expliquer patiemment pourquoi la
notion est une absurdité scientifique ».
Au passage, il égratigne un africaniste bien connu des
militants et sympathisants d'Action française : « Du
fait du caractère malléable des identités », écrit-il,
« toute explication des conflits sur cette base (comme par
exemple les arguments de Bernard Lugan sur l'Afrique) est une
absurdité. Le fait que certains éléments du monde musulman aient décidé
de rentrer en conflit avec des pays occidentaux ne peut pas être réduit
à une logique d'affrontement ontologique entre identités
religieuses-civilisationnelles-culturelles, mais doit être remis dans
le contexte d'un affrontement de projets politiques. Car c'est bien là
la faiblesse des explications culturalistes des conflits : en
se focalisant sur le facteur culturel-identitaire comme cause, souvent
par racisme non avoué, elles sont aveugles aux logiques politiques
conduisant au conflit lui-même. Manipulable, l'identité est un enjeu
d'un conflit, elle n'en est jamais la cause, qui
est toujours politique. » Politique d'abord, donc. Bernard
Lugan se verrait-il reprocher de ne pas être suffisamment
maurrassien ?
« Au final », conclut Olivier Schmitt,
« la persistance du concept de "choc des civilisations", en
dépit de ses multiples réfutations, est révélatrice de la difficulté à
penser la complexité des interactions sociales, au sein du cadre
national ou dans les relations internationales. » Voilà qui
nous renvoie plus ou moins à notre marotte conspirationniste...
Publié dans Action française, Idées, International, Monde | Pas de commentaires
5 mars 2014
Article publié dans L'Action Française 2000
L'Action française d'avant-guerre n'était pas fermée aux
femmes. Bien au contraire, certaines la rejoignaient précisément pour
combattre une République misogyne, comme l'explique le travail d'une
étudiante en histoire à l'IEP de Paris.
Tous les domaines se prêtent aux "études de genre" – y compris
l'histoire de l'Action française, susceptible d'illustrer le parcours
de « femmes outsiders en
politique », selon le titre d'un ouvrage paru l'été dernier
(en 2013). Camille Cleret y consacre un article à
« l'engagement féminin d'Action française ». Depuis
toujours, souligne-t-elle, « la signification politique de
l'engagement féminin d'Action française fut inévitablement contestée et
caricaturée » : « qualifiées alternativement
de "duchesses douairières", ou de "demoiselles à dot" », les
militantes d'AF « étaient systématiquement jugées avec mépris
par les adversaires de la ligue ». Or, « initialement
et officiellement cantonnées dans la sphère des activités charitables,
ces militantes surent se réapproprier le "politique d'abord", mot
d'ordre de l'Action française, afin d'acquérir un rôle et, pour
certaines d'entre elles, des responsabilités au sein de cette
formation ».
Ligue féminine
Les femmes désireuses de s'engager à l'Action française
étaient appelées à rejoindre une structure spécifique, l'Association
des dames et des jeunes filles royalistes, héritière d'une ligue
féminine indépendante, la Ligue royaliste des dames. « Née en
1904 de l'opposition aux mesures touchant alors les congrégations
religieuses », celle-ci « se distinguait cependant
d'autres formations féminines fondées dans le même contexte en raison
de la priorité conférée, dès ses origines, au combat politique sur le
combat religieux ». Cette préoccupation se traduisait dans
l'orientation donnée aux "œuvres sociales royalistes", qui occupaient
« une place prépondérante dans la vie de ces
femmes ». « Ventes et fêtes de charité, arbres de
Noël, distribution de layettes, de nourriture et de vêtements, colonies
de vacances : ces activités de bienfaisance mentionnées dans
les colonnes du quotidien s'inscrivent dans la lignée des œuvres de
charité pratiquées depuis des siècles par les femmes chrétiennes mais
impliquent toutefois une finalité politique clairement
assumée. » Témoin, l'ouverture d'un "restaurant de charité",
conçu, selon ses promoteurs, comme « un centre de propagande
ouverte ».
Des « efforts quotidiens » visaient à
« "semer" les différents journaux affiliées à l'Action
française » : « Telle ligueuse faisait lire
L'Action Française à son boulanger, une autre à son bijoutier, la
dentiste en faisait la promotion auprès de ses patients, et la modiste
auprès de ses clients. Ces femmes "papotaient", pour reprendre
l'expression d'Eugen Weber, mais elles papotaient avec détermination,
ce qui ne les empêchait d'ailleurs pas occasionnellement de descendre
dans la rue pour manifester leur mécontentement. » Au
lendemain du 6 février 1934, notamment, « elles se
rendirent ainsi à l'école du Louvre pour interrompre une conférence
donnée par Mme Caillaux ».
Maurras adulé
Au-delà des structures officielles, « lectrices,
sympathisantes, correspondantes, admiratrices participaient à leur
manière au rayonnement de la ligue », rapporte Camille Cleret.
Ces femmes semblaient « unies par un même engouement – on
pourrait même parler de dévotion – envers la figure de Maurras, leur
"cher maître" » : « La correspondance de ce
dernier laisse clairement transparaître cette ferveur partagée par des
femmes aux profils sociologiques et professionnels très
dissemblables. » Quelques-unes « appartenaient aux
milieux dirigeants de la ligue ». Deux personnalités
retiendraient plus particulièrement l'attention « par leur
présence dans les archives et dans les rubriques du
quotidien » : la marquise de Mac Mahon,
« oratrice de talent », fonda la Ligue royaliste des
dames ; quant à « l'énergique » Marthe
Daudet, alias Pampille, seconde épouse de Léon Daudet, elle devint en
1936 « la propagandiste en chef de l'Action française, tentant
alors de centraliser les différents services de propagande de la
ligue ».
Paradoxe apparent
« De telles destinées » apparaissent
« surprenantes » aux yeux de Camille
Cleret, qui les inscrit « dans le cadre d'une ligue [...]
affichant clairement un idéal de virilité ». De son point de
vue, la « singularité » du militantisme féminin
d'Action française reposerait, précisément, « sur la
discordance entre les objectifs réactionnaires de femmes viscéralement
attachées à la tradition et la modernité assumée de leurs activités
politiques ». S'agit-il vraiment d'un paradoxe ?
« Ferventes monarchistes, les ligueuses envisagent la
restauration tant attendue comme un vecteur de promotion de la
condition féminine visant à redonner aux femmes le rôle politique et
social que la Révolution leur avait injustement ôté. » Selon
Paul Bourget, il existait même « un féminisme de la
tradition », comme il existait « un féminisme de
l'anarchie » ! « Mme Pierre
Chardon, conférencière d'Action française dans les années 1930,
classait ainsi les femmes royalistes dans la mouvance féministe »,
relève Camille Cleret. « De plus, les militantes d'Action française
entretenaient des liens avec des organisations féministes modérées.
Suzanne Desternes, par exemple, était à la fois membre du comité
directeur de l'Union nationale pour le vote des femmes et conférencière
attitrée de l'Action française. » En conséquence,
« le modèle féminin promu par l'Action française était [...]
assez ambivalent pour être perçu de manière totalement contradictoire
par des observateurs extérieurs et par les femmes
elles-mêmes ». Ainsi Marie-Thérèse Moreau, présidente de la
section féminine des Jeunesses patriotes, refusa-t-elle d'adhérer à la
ligue « en raison de sa "mauvaise réputation
antiféministe" », tandis que « la journaliste Marthe
Borély s'en éloigna après la Première Guerre mondiale en raison des
opinions trop peu conservatrices à son goût de Charles Maurras sur
cette question ».
Le genre, déjà...
Tout cela témoigne, selon Camille Cleret, « de la
relation complexe entretenue par l'Action française avec les femmes et
la question du féminisme ». Relation qu'elle se risque
toutefois à simplifier ici ou là. Ainsi suggère-t-elle que
l'antisémitisme de quelque militante ou sympathisante l'aurait conduite
à « s'attribuer, par le discours racial, une position sociale
que son statut de femme lui interdirait normalement ». Par
ailleurs, en conclusion, l'auteur invite à « renverser le
mythe d'une féminité allergique à l'extrême droite et à la xénophobie,
mythe qui consiste à essentialiser une nature dite féminine associée à
la douceur mais également à la fragilité, à la faiblesse et donc à
transformer les femmes en éternelles victimes d'un système patriarcal
oppressif ». De telles hypothèses, en l'absence d'un
argumentaire nuancé, nous semblent formulées avec une
certaine légèreté.
Cela étant, cette étude prouve que certains débats ne datent
pas d'hier. « Les collaborateurs de l'Action française étaient
surtout obsédés par le risque de confusion des genres »,
affirme Camille Cleret, prenant Léon Daudet à témoin :
« la femme ne doit pas se faire le singe de
l'homme », avait-il prévenu. « La masculinisation de
la femme serait un fléau pour notre civilisation et pour elle-même. Car
elle y perdrait son ascendant et son prestige. Qu'elle se fasse
doctoresse, avocate, suffragette, ministresse, tout ce qu'elle
voudra : mais qu'elle reste femme. » L'histoire ne
serait-elle qu'un éternel recommencement ?
Christine Bard, Bibia Pavard (dir.), Femmes
outsiders en politique, L'Harmattan, 202 pages, 21
euros.
Publié dans Action française, Féminisme & Genre, Histoire, Livres, Société | 3 Commentaires
15 janvier 2014
Article publié dans L'Action Française 2000
En pleine Guerre froide, la reconnaissance par la France de la
République populaire de Chine fut mal accueillie par l'Action
française.
Dans son numéro du jeudi 23 janvier 1964, Aspects
de la France dénonça « une politique dont le seul
souci apparent » était « de prendre, en toutes circonstances, le
contre-pied des États-Unis ». « L'insolence de
M. De Gaulle ne fera qu'agacer les Américains et
avivera leur désir de prendre ses distances avec un allié de jour en
jour plus rétif », était-il déploré dans l'éditorial, signé
"AF".
« Nous allons jaunir », se désolait Claude
Chavin, prédisant qu'on nous ferait « payer au centuple les
coups de boutoir, les crocs-en-jambe et les virages de notre politique
extérieure ». Cela dit, nuançait-il, « les
fautes » n'étaient « pas que de Paris ».
Évoquant la crise du canal de Suez, il rappelait que « les
Américains, à leur heure, avaient choisi Nasser ». À ses yeux,
le président de la République n'en apparaissait pas moins comme le
pendant occidental de Mao, semant la zizanie dans son propre camp. La
soif de « grandeur » du général, tout comme sa quête
d'« indépendance », lui inspiraient la plus grande
circonspection : « Comment ne pas songer en même
temps au Second Empire, à Napoléon III, à ses guerres au nom
du principe des nationalités [...] tout cela finissant à
Sedan »
Mouvements d'humeur et de vanité
« M. De Gaulle sait fort bien qu'en
piquant le colosse américain [...] il touche la fibre cocardière qui
existe au cœur des Français », lisait-on encore à la "une" du
journal : « La France, voyons, est une nation
majeure, indépendante, qui ne veut être à la remorque d'aucune autre,
si puissante soit-elle... Hélas, le mot a trop servi pour avoir gardé
quelque vertu, surtout, comme l'écrit l'éditorialiste du Bulletin de
Paris, "lorsqu'il s'agit d'une nation qui, comme nous, peut être en
très peu de quarts d'heure à peu près anéantie par les fusées
soviétiques et qui ne doit son existence qu'au bouclier
américain". »
Alors que Paris venait de larguer l'Algérie, l'AF ne
manifestait pas la moindre complaisance à l'égard du chef de
l'État : « Le vrai courage », écrivaient nos
prédécesseurs, « celui qui n'ignore pas les réalités, c'est le
chancelier Erhard qui l'a eu, lorsqu'il a reconnu que l'Allemagne
n'avait pas à rougir d'être protégée militairement par l'Amérique
puisque cette protection est la garantie suprême de son existence. Nous
ne croyons pas à l'habileté d'une politique qui, hier, amputait le
territoire national de quinze départements et qui nous conduit
aujourd'hui aux pires aventures. Nous nous refusons à confondre le
courage et l'honneur avec des mouvements d'humeur et de
vanité. » Dans quelle mesure les temps ont-ils vraiment
changé ?
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