5 mars 2014
Article publié dans L'Action Française 2000
Renault a annoncé la résurrection prochaine d'Alpine,
suscitant un regain d'intérêt pour cette marque fondée en 1955 par Jean
Rédélé.
C'est en souvenir de sa victoire au rallye des Alpes de 1954
que Jean Rédélé avait ainsi désigné ses propres voitures, construites à
Dieppe sur la base de la 4CV. Les éditions Glénat nous proposent, en
bande dessinée, un résumé de leur histoire, ponctuée par leurs succès
en rallyes, engrangés notamment sous la houlette de Jacques Cheinisse,
leur immixtion laborieuse dans les formules monoplaces, leurs
participations aux 24 heures du Mans...
« Faire gagner la France »
On s-y perd un peu dans les résultats sportifs, d'autant que
l'emploi de lettres capitales ne facilite pas la lecture, mais la
politique n'est jamais très loin. Visitant le Salon de l'automobile en
1968, le général De Gaulle interpelle Jean Rédélé :
« À quoi sert la course automobile ? », lui
demande-t-il. « Mais à faire gagner la France, mon
général ! » L'année précédente, l'État avait versé une
subvention à Matra, le grand rival qui, lui, n'avait rien d'un artisan.
Une illustration du "capitalisme de connivence" honni des
libéraux ? Philippe Lamirault, directeur commercial du
Losange, soutient néanmoins le développement d'Alpine. « Il
est maire et conseiller général à Thiron-Gardais, c'est bon pour sa
carrière politique. » Dans la foulée du choc pétrolier, les
courses automobiles sont suspendues. Le contexte économique n'arrange
pas les affaires d'Alpine. Non sans amertume, Jean Rédélé doit se
résoudre à céder à la Régie son enfant chéri. En 1978, ce n'est pas une
Alpine-Renault, mais une Renault-Alpine qui remporte les
24 heures du Mans...
Cette victoire sonne comme le chant du cygne. La production
perdure toutefois jusqu'à la disparition de l'A610 en 1995 (et non 1991
comme indiqué dans la BD). Quel gâchis ! Près de vingt ans
plus tard, Carlos Tavarès, alors numéro 2 de Renault, s'en est
ému auprès du P-DG Carlos Ghosn. « Je crois que nous avons là
un diamant à notre disposition », lui aurait-il expliqué.
Renault finira-t-il par réparer ses erreurs ? Réponse en 2016.
Denis Bernard (scénario), Christian Papazoglakis, Robert
Paquet (dessins), Alpine - Le Sang bleu, Glénat,
48 pages., 13,90 euros.
15 novembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000
Renault va ressusciter Alpine, une marque sportive qui sera le
fer de lance de sa montée en gamme à moyen terme.
L'affaire a tenu en haleine tous les passionnés d'automobiles
un tantinet chauvins. Finalement, l'annonce a été officialisée le
5 novembre 2012, en présence d'Arnaud Montebourg, ministre du
Redressement productif : Renault va bel et bien ressusciter
Alpine. Créée par Jean Rédélé en 1955, au sommet de sa gloire dans les
années soixante-dix, où la berlinette A110 enchaînait les victoires en
rallyes, la marque avait sombré au milieu des années quatre-vingt-dix.
Mondialisation oblige, sa renaissance s'inscrira dans le cadre d'un
partenariat. Renault va s'associer au Britannique Caterham, avec lequel
il collabore d'ores et déjà en Formule 1. C'est un
constructeur réputé pour ses modèles à la légèreté exemplaire, produits
de façon quasi artisanale. Renault et Caterham vont concevoir en commun
des véhicules sportifs qu'ils nous promettent « distincts,
différenciés » et porteurs de leur « ADN
respectif ». Ils seront produits à Dieppe, au sein de l'usine
Alpine, dont l'avenir se trouve ainsi pérennisé.
Renouer la tradition
À nos yeux, cette annonce constitue une concrétisation
réjouissante de la « montée en gamme » de l'industrie
française prônée par le gouvernement, au demeurant peu enclin à
promouvoir le plaisir automobile... Si le projet aboutit, il restera
toutefois à transformer l'essai, dans un domaine où Renault a multiplié
les aventures sans lendemain (Safrane biturbo, Spider,
Clio V6). Or, la légitimité d'un constructeur s'acquiert dans
la durée. Souvent cité en exemple, le groupe Volkswagen a persévéré des
années durant pour ériger Audi au rang de référence mondiale. Mais si
la France parvient à se refaire une place dans l'automobile haut de
gamme, ce sera vraisemblablement en se frayant son propre chemin, sans
verser dans la froideur germanique ni céder à l'exubérance italienne.
L'inoubliable berlinette nous semble typiquement
franchouillarde, en ce qu'elle symbolise une certaine débrouillardise
nationale : dérivée d'une modeste 4CV, faisant appel à des
composants de grande série, elle n'en tenait pas moins la dragée haute
à des concurrentes plus huppées, forte d'une agilité hors pair. Son
héritière renouera-t-elle avec la tradition ? Dévoilée d'ici
trois ou quatre ans, celle-ci renoncera vraisemblablement au moteur en
porte-à-faux arrière qui avait caractérisé toute la lignée. Depuis la
disparition de l'Alpine A610 en 1995, seule la Porsche 911 est restée
fidèle à cette architecture. Son succès ne s'est pas démenti, preuve
que la tradition a du bon !
7 mars 2011
Une fois n'est pas coutume, ce blog s'écarte de ses
thématiques habituelles pour se plonger dans la presse automobile des
années quatre-vingt-dix.
Il y a vingt ans jour pour jour, le 7 mars 1991,
s'ouvrait le salon automobile de Genève où fut présentée au public
l'Alpine A610 – dernière immixtion d'un grand constructeur tricolore
sur le segment du grand tourisme.
Pureté du profil
L'Alpine « a pris des formes et du poids »,
commente Auto Moto en avril 1991. Quoique la
ligne se trouve quelque peu alourdie, le profil conserve sa pureté.
Henri Pescarolo ne s'y trompe pas : « l'Alpine joue
la continuité dans une finesse et une élégance très latine »,
écrit-il dans L'Action automobile et touristique
de mars 1991. « Entre la [Porsche] Carrera, dont la ligne
carrément rétro a peu évolué depuis trente ans, et la Nissan
[300 ZX] d'un dessin moderne très japonais »,
l'Alpine lui apparaît « toujours aussi
impressionnante ». D'autant que « si vous vous
appuyez sur les ailes avant, vous serez surpris : elles
s'enfoncent sous votre poids et reprennent aussitôt leurs
formes ».
À la différence de la carrosserie et du volant, le moteur
demeure signé d'un losange. Nouvelle évolution du V6 PRV, porté à 3
litres et suralimenté par un turbo au temps de réponse minimisé, il ne
revendique pas la noblesse d'un flat six
germanique. Cela dit, ses 250 chevaux supportent la
comparaison sans rougir. « Cette Alpine n'a plus rien à envier
aux Porsche, ni même aux Ferrari », s'enthousiasme Auto
Moto. Le premier kilomètre est abattu en
25 secondes et la vitesse de pointe frôle les
270 km/h, selon les mesure de L'Action auto.
Dépassant les 35 mkg, le couple est jugé
« phénoménal » par Auto Moto.
« À l'utilisation, cette caractéristique apparaît
effectivement sous la forme d'une excellente disponibilité et d'une
impression d'invincibilité en reprises », rapporte, à la
mi-mars, Le Moniteur automobile.
« C'est surtout aux allures élevées que les capacités de
remise en vitesse de l'Alpine sont impressionnantes. Entre 150 et 200
km/h, elle paraît ainsi en mesure de tenir tête à n'importe quel caïd
des autobahn. »
Vive et maniable
« On peut aisément soutenir le 250 km/h
compteur sans se faire peur au passage des ponts », poursuit
le magazine. Certes, Henri Pescarolo aurait « apprécié une
meilleure stabilité à très haute vitesse ». Il déplore, en
outre, « le manque d'un autobloquant [qui] autorise des
patinages de la roue intérieure en virage très serré ». Le
pilote n'en tarit pas moins d'éloges au sujet de l'A610 :
« Elle est merveilleusement vive et maniable, mais elle offre
en même temps une bonne neutralité en appui, pour devenir survireuse à
la limite. » Le comportement routier bénéficie d'une
répartition des masses optimisée, seuls 43 % du poids
s'exerçant sur l'essieu avant ; c'était une gageure, étant
donné l'implantation du moteur en porte-à-faux-arrière – une
architecture héritée de la 4CV, et partagée avec la 911 qui la tenait
elle-même de la Coccinelle !
Moins de trois ans après sa sortie, en décembre 1993, l'A610
se trouve confrontée à la Safrane Biturbo dans les colonnes de L'Action auto :
« La prise de conscience de la vitesse y est plus rapide et la
consommation d'influx nerveux plus importante. La sécurité n'est
vraiment pas négligée mais la conduite, moins assistée, de l'A610 est
plus complète, plus authentique. » En résumé,
« déplacer une Alpine est aisé, la mener rapidement,
envisageable, mais jouer avec ses limites exige du talent.
Heureusement, elle s'avère assez tolérante si l'on prend soin de ne pas
rater de leçons de la bible du pilotage. » Facile, donc, mais
nullement aseptisée ! « C'est l'Alpine qui se montre
la plus généreuse en sensations », conclut Henri Pescarolo,
qui la compare aux Carrera et 300 ZX. « L'Alpine A610
reste une authentique GT, de celles qui font vibrer les cœurs et
mouiller la combinaison », renchérit Auto Moto,
dont la rédaction salue, en septembre 1992, « une véritable
sportive quatre places, ni trop pure, ni trop dure ».
Exceptionnelle et familière à la fois
« Reste le prix », jugé
« prohibitif », un an plus tard, par L'Action
auto, « surtout si l'on tient compte [...] des prix
pratiqué par la concurrence : une Mazda RX-7 coûte près de
100 000 francs de moins ! » Le temps ayant passé, ces
considérations mesquines ne sont plus de mise. Étant donné
les témoignages recueillis dans la presse, l'absence de coffre
constitue, à nos yeux, le seul défaut de cette excellente voiture. Les
sacs de voyage trouvent refuge à l'arrière, où sont aménagées deux
places confinées, séparées par un large tunnel.... Ambiance !
En cas de crevaison, l'emplacement réservé à a roue de secours, sous
le capot avant, s'avère trop étroit pour accueillir la roue
défectueuse. Aussi Le Moniteur automobile
s'interroge-t-il avec philosophie : « Si une housse a
été prévue pour emballer la roue [...] et si des sangles permettent de
l'arrimer sur les dossiers rabattus des sièges arrière, on ne sait pas
encore où l'on mettra les passagers ou les bagages qui s'y trouvaient
en cas de crevaison. Glorieuse incertitude de la voiture de
sport. »
Bien que le volant ne soit pas réglable, « la
position de conduite est parfaite et donne le sentiment de faire
vraiment corps avec la machine », assure Jean-Luc Colin.
S'exprimant dans L'Action auto en
octobre 1992, il juge toutefois « affligeante » la
présentation de la planche de bord. « La finition inspire
[...] globalement confiance », mais « tout cela
manque terriblement de classe », confirme Le Moniteur
automobile. Henri Pescarolo se montre moins critique à l'égard du
tableau de bord : « sans être un exemple
d'harmonie », il lui semble « élégant, clair et
très lisible ». C'est l'avis d'un pilote, qu'on se le dise !
Manifestement, on reprochait à l'Alpine de ne pas suffisamment
cacher ses origines. L'A610 partage effectivement des gènes avec de
banales familiales, telles les R11 TXE et 21 TSE dans
lesquelles nous avons jadis voyagé. « Les commodos d'origine
Renault font pâle figure », regrette Auto Moto
en septembre 1992. « C'est toujours un peu gênant de retrouver
dans une voiture chère et luxueuse les mêmes éléments que dans les
modèles du bas de gamme », estime Henri Pescarolo.
Vraiment ? Exceptionnelle à plus d'une titre, l'A610 nous
apparaît néanmoins familière. La nostalgie aidant, cela participe de
son charmé. Puisse sa côte ne pas trop flamber, dans l'attente du jour
où nous partirons, peut-être, en quête d'un exemplaire !