21 décembre 2017 Article publié dans L'Action Française 2000
Rencontre en images avec un officier de Marine pionnier de la Résistance.
Issu d'une famille royaliste, Honoré d'Estienne d'Orves (1901-1941) fut un pionnier de la Résistance. « Libre dans ses idées, il refuse de se soumettre face à la défaite, à contre-courant de l'opinion dominante », souligne son petits-fils, Augustin, en introduction d'une bande dessinée qui lui est consacrée. Au fil des pages, le lecteur est ballotté d'une période à l'autre, au risque, parfois, de s'y perdre un peu. Le héros nous livre lui-même ses souvenirs, accompagnant des images souvent sans dialogue.
Éduqué dans la foi
« Je reçois une éducation qui fait la part belle à la famille, à la France, à la foi, mais aussi aux arts et à la curiosité intellectuelle », raconte-t-il notamment. Formé à l'école Polytechnique, il entre dans la Marine en 1923. Quand sonne le glas de l'armistice, tandis qu'il sert en Égypte, la flotte n'est-elle pas intacte ? Du moins l'était-elle jusqu'au drame de Mers el-Kebir… « Après ce massacre, je ne pouvais plus accepter de rallier l'armée anglaise », explique-t-il. Quelques mois plus tard, cependant, il est accueilli à Londres par l'amiral Muselier, chef des Forces navales françaises libres. En décembre 1940, il revient en France, où il installe une liaison radio. Trahi, il est arrêté et condamné à mort, suscitant le respect de ses juges. Le 29 août 1941, à l'heure de son exécution, il donne l'accolade à un officier allemand :« nous avons fait tous les deux notre devoir », lui dit-il devant des soldats ébahis.
Nécessaire pédagogie ?
Le dessin n'est pas des plus détaillé. Quant à la police utilisée, elle n'est pas particulièrement lisible. Par ailleurs, était-il bien nécessaire de préciser dans une note de bas de page ce que furent la Grande Guerre ou la bataille d'Angleterre ? Peut-être cette BD est-elle destinée aux plus jeunes… On regrettera que l'amiral Darlan y soit présenté comme le chef d'un gouvernement « collaborationniste » ; la plupart des historiens ne parlent-ils pas plutôt de « collaboration » ? Ces réserves mises à part, la publication de cette BD relève d'une heureuse initiative.
12 octobre 2017 Article publié dans L'Action Française 2000
France Culture a consacré une émission à Germaine Berton, qui assassina Marius Plateau, chef des camelots du Roi, en janvier 1923.
Le chant des camelots du Roi a retenti sur France Culture le 29 août 2017. Sa diffusion ponctuait une émission de cinquante-deux minutes mettant à l'honneur Germaine Berton, l'assassin de Marius Plateau. Militante anarchiste, elle avait seulement vingt ans quand elle commit son crime (mais elle avait déjà tenté de se donner la mort). Sans doute avait-elle été inspirée par un imaginaire forgé dès l'enfance : à l'école, elle s'était amusée à mettre en scène le procès de Louis XVI, allant jusqu'à reconstituer sa décapitation. Quant aux horreurs de la guerre, elles avaient nourri son anti-militarisme.
Redoutable adversaire
En ce début d'année 1923, Germaine Berton prend d'abord pour cible Léon Daudet – « l'ennemi le plus acharné de la classe ouvrière et aussi l'ennemi de la République, », selon ses propres dires. « Elle lui en veut énormément de soutenir l'idée d'occuper la Ruhr à nouveau, donc de rallumer finalement le conflit avec l'Allemagne », explique Anne Steiner ; en outre, « elle le rend responsable de l'assassinat de Jaurès ». Finalement, c'est vers Marius Plateau qu'elle va braquer son arme. Ce faisant, explique Olivier Dard, Germaine Berton pense « qu'au fond elle exécute un deuxième couteau, mais en réalité elle porte un coup très important à l'Action française ». Celle-ci est alors « à son apogée », souligne-t-il ; « elle pèse énormément à la fois dans le monde intellectuel, dans le monde littéraire également, mais aussi dans le monde politique » – cela en dépit d'une assise parlementaire très étroite. Or, poursuit l'historien, Marius Plateau s'attachait à la structurer « pour en faire une véritable organisation politique ». Chef des camelots du roi, il était « le plus redoutable des adversaires », selon le témoignage donné jadis par Victor Méric, un journaliste d'extrême gauche ; « il cognait tout le temps ; la matraque lui tenait lieu de doctrine », affirmait ce dernier. « Il y a effectivement une violence physique qui s'exerce à l'occasion des manifestations », confirme Olivier Dard ; mais cela « aussi bien à l'Action française que chez les syndicalistes, des socialistes, etc. ». Selon ses camarades, placardant des affiches appelant à lui rendre hommage, Marius Plateau aurait été « assassiné sur l'ordre de Berlin » ; cela « dit beaucoup de l'interprétation de l'Action française sur ce crime », remarque Frédéric Lavignette.
Le procès de l'Action française
Quoi qu'il en soit, Germaine Berton n'exprime aucun regret. Bien au contraire : « elle est extrêmement fière de ce qu'elle a fait, elle aurait même voulu faire plus », selon Fanny Bugnon. « Ce n'est pas rien de tuer un homme », confesse-t-elle. Elle n'en assume pas moins son geste tout au long de son procès. Cela « a désarmé l'accusation », rapporte Francis Démier. À l'époque, rappelle-t-il, « toute une partie de l'opinion […] s'inquiète de la radicalisation de la droite ». « Comment peut-on condamner Germaine Berton alors qu'on a acquitté l'assassin de Jaurès ? » Telle est, en substance la question posée par Henry Torrès. Avocat « remarquable », ce dernier mobilise la gauche pour défendre Germaine Berton. Léon Blum figure parmi les témoins. « En fait c'est le procès des républicains contre l'Action française », résume Fanny Bugnon. La Justice qui tranche est bien celle de la République : à la veille de Noël, Germaine Berton est acquittée. Celle-ci « ne reste pas vraiment dans les mémoires », constate Fanny Bugnon ; « elle est très peu célébrée », semble-t-elle regretter, tandis que Marius Plateau « est plus connu ».
Études de genre
Pourquoi ? « Parce qu'on est dans une période où les femmes ne sont pas des sujets politique », répond-elle, manifestement inspirée par les études de genre ; « elles sont des citoyennes sans citoyenneté », poursuit-elle. Cela justifierait l'intérêt porté aujourd'hui à Germaine Berton, selon l'explication donnée par Séverine Liatard en introduction de l'émission : « En transgressant ainsi violemment l'ordre social et sexué, le personnage interroge et fascine. » Germaine Berton s'éteignit en 1942, à l'âge de quarante ans, à l'issue d'une énième tentative de suicide, réussie cette fois-ci.
21 septembre 2017 Article publié dans L'Action Française 2000
Alors que s'achevait l'opération Dynamo, Charles Maurras célébrait à la une de L'Action Française l'amitié franco-britannique. Et puis…
Au lendemain de l'évacuation de Dunkerque, la solidarité franco-britannique s'affichait toujours à la une des journaux. Y compris dans les colonnes de L'Action Française. Comme le rapportait Thierry Maulnier, dans l'édition du 5 juin 1940, « les deux opérations de la retraite et de l'embarquement paraissaient l'une et l'autre impossibles » ; or « elles ont été l'une et l'autre réussies », pouvait-il se féliciter. Certes, poursuivait-il, « une partie de l'héroïque arrière-garde […] a succombé sous le nombre », tandis qu'« un certain nombre d'unités navales légères, françaises et anglaises, se sont vaillamment sacrifiées pour assurer le salut de l'armée », « mais le résultat constitue un exploit inoubliable ». « Quand les commandements anglais et français ont décidé l'évacuation des troupes retraitant de Belgique […], on n'espérait pas rapatrier la moitié des hommes que nous avons pu sauver », rappelait, dans le même numéro, M. Picot de Plédran. Et d'ajouter : « La résistance de Dunkerque demeurera l'une des pages les plus éclatantes de notre armée et de notre Marine. »
Un nœud spirituel
Charles Maurras n'était pas en reste. « Il était sans précédent qu'une opération aussi compliquée eût été menée à bien par un seul État », écrivait-il à la une du quotidien royaliste ; « or, deux États s'en sont tirés », poursuivait-il ; « c'est le comble de la coopération unitaire dans la dualité la plus complète ». Ce faisant, expliquait-il, « le nœud spirituel de la coalition […] vient d'affirmer sa force ». Aussi formulait-il le vœu suivant : « que cela tienne, que cela dure et se développe ». Nul ne semblait imaginer qu'un armistice serait sollicité quelques jours plus tard…
Maurras gaulliste !
Envisageant toutefois le pire des scénarios, Winston Churchill avait annoncé que si son pays était envahi, il poursuivrait la lutte, réfugié dans quelque partie de l'empire britannique. « Nous avons, nous aussi, de belles portes de sortie du côté de l'Algérie et de toute l'Afrique du Nord », réagissait Charles Maurras, dont les propos auraient pu inspirer l'appel du 18 juin ! Cela étant, demandait-il, « comment peut-on penser que l'on en puisse venir là » ? Et de marteler : « Tout le monde est résolu à se défendre. Personne ne se rendra. Personne n'acceptera aucune paix des Boches. »
On connaît la suite. Un mois plus tard, le ton avait radicalement changé. Il n'était plus question de galvaniser les troupes. De plus, l'attaque des navires mouillant dans le port de Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940, avait nourri le ressentiment à l'égard de l'allié d'hier. Dans le numéro du 19 juillet, Charles Maurras soulignait « la misérable faiblesse du concours donné par l'Anglais à notre défense ». Il dénonçait, en outre, « la retraite soudaine des corps britanniques et la honteuse opposition faite dans les eaux de Dunkerque par la Marine anglaise à l'embarquement des nôtres sur ses vaisseaux qu'elle se réservait très strictement ». Et de constater : « Tristement et par force, nous sommes réduits au rôle de spectateurs. » « La faute n'en est pas à nous », poursuivait-il ; « elle est l'œuvre de l'Angleterre ». Dont acte.
17 mai 2017 Article publié dans L'Action Française 2000
Un historien nous invite à la rencontre de l'amiral Schwérer, qui devint président de la Ligue d'Action française à l'issue d'une brillante carrière militaire.
Nos lecteurs se souviennent-ils de l'amiral Schwérer (1862-1936) ? Jean-Noël Grandhomme, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Lorraine-Nancy, vient de lui consacrer un article dans la revue Guerres mondiales et conflits contemporains. Breton d'origine alsacienne, Antoine Schwérer entre à l'École navale en 1878 ; la marine à voile disparaît sous ses yeux : « entre les bâtiments de guerres modernes et ceux sur lesquels j'étais embarqué en 1880 », écrit-il dans ses Souvenirs, « il y a certainement plus de différences qu'entre ces derniers et ceux du temps de Louis XIII, et à cette transformation du matériel a correspondu un changement complet des habitudes, du caractère et de la mentalité du personnel ».
Avec l'amiral Lacaze
Jean-Noël Grandhomme retrace un parcours jugé « brillant ». En 1894, par exemple, à bord du croiseur Dubourdieu, il est chargé de dresser une carte générale du magnétisme terrestre. En 1914, alors que la guerre vient d'être déclarée, il négocie les accords franco-britanniques confiant à la Royale la direction des opérations en Méditerranée. L'année suivante, il commande des canonnières sur le front. Puis il devient chef de cabinet de l'amiral Lacaze, ministre de la Marine. Au cours du premier semestre 1917, comme le rapporte Jean-Noël Grandhomme, « la Marine […] joue un rôle important dans les affaires d'Orient et elle contribue au transport en France des contingents russes qui y sont envoyés par le tsar » ; « pourtant, Lacaze est de plus en plus ulcéré par les critiques systématiques de certains députés, notamment socialistes ». Alors que ce dernier donne sa démission, « Schwérer se solidarise évidemment avec lui ». Sa carrière se poursuit néanmoins jusqu'en 1924, où il est placé dans la deuxième section (réserve).
C'est alors qu'il rejoint l'Action française. Un moment républicain, il n'aura jamais été démocrate, confiera-t-il par la suite. Candidat malheureux aux élections législatives, où triomphe le Cartel des gauches, il se retrouve bientôt « au cœur d'un nouveau combat, contre un adversaire inattendu : l'Église ». En novembre 1926, lors d'un congrès de la Ligue, il explique que « les croyants d'Action française, […] parfaitement soumis à l'autorité religieuse du souverain pontife […], à tous les ordres qu'il leur donnera en ce qui concerne leur religion, prennent leurs directives politiques en dehors du Vatican ». À son décès, en 1936, Mgr Mignen, archevêque de Rennes, lui refuse des obsèques religieuses : « aucune mansuétude n'est de mise pour celui qui a en quelque sorte brandi l'étendard de la révolte anti-papale », souligne Jean-Noël Grandhomme.
Un travail à poursuivre
L'amiral Schwérer aura présidé la ligue d'Action française cinq ans durant, après avoir succédé à Bernard de Vesins en 1930. « Maurras sait gré de sa fidélité au compagnon des bons et des mauvais jours », rapporte encore l'historien, qui se montre quant à lui moins élogieux : « son militantisme passionné, qui l'a conduit à se retrouver dans le dernier carré, seul contre tous, ou presque – y compris le clergé et le prétendant – a un côté pathétique, ou chevaleresque, selon le point de vue qu'on adopte », écrit-il notamment. Son article ne nous éclaire guère quant aux ressorts de cet engagement. Il ne révèle rien non plus du caractère de l'amiral Schwérer. De fait, « bien qu'il ait été l'un des acteurs importants de la controverse autour de la Jeune École, un expert reconnu dans l'affaire des poudres de la Marine (à l'origine de près de trois cent cinquante morts dans plusieurs accidents avant-guerre), un "poilu" sur le front de Champagne et le plus proche conseiller d'un grand ministre de la Marine, Schwérer est aujourd'hui presque complètement oublié », constate Jean-Noël Grandhomme. Aurait-il entrepris de réparer une injustice ?
Dans les années quatre-vingt-dix, à la différence d'autres opposants au traité de Maastricht, le directeur de L'Action Française Hebdo accueillait avec bienveillance la politique du "franc fort", tout en en dénonçant certaines limites.
Été 1993 : les statuts de la Banque de France sont révisés afin de garantir son indépendance. On en parle peu dans les colonnes de L'Action Française Hebdo, où l'on dénonce plutôt l'entrée en vigueur imminente du traité de Maastricht. Dans le numéro du 15 juillet, Pierre Pujo évoque néanmoins la « politique du "franc fort" » – laquelle « n'est pas la panacée » selon le titre de son éditorial.
« M. Balladur […] a quelque mérite à s'y accrocher dans un pays où, depuis près de quatre-vingts ans, les gouvernements ont manié à répétition la planche à billets et procédé à d'innombrables dévaluations », commente-t-il alors. Selon lui, en effet, « la stabilité de la valeur de la monnaie est un facteur de sécurité et d'enrichissement pour tous » ; elle a même « une valeur morale ». « Cependant », souligne-t-il, « la conversion de l'État français à la stabilité monétaire est trop récente pour effacer les doutes sur la durée » ; c'est pourquoi, prévient-il, « le "franc fort" demeure bien fragile ».
Et de poursuivre : « M. Balladur a fait le pari de concilier une politique du "franc fort" avec une reprise de l'emploi. Ce pari n'est pas gagné d'avance. Alors que notre économie dépend largement de ses échanges extérieurs, nous devons faire face aux "dévaluations compétitives" de certains pays de la Communauté européenne, tels la Grande-Bretagne, l'Italie ou l'Espagne, tandis que les États-Unis et le Japon continuent à sous-évaluer leur monnaie respective pour faciliter leurs exportations. La puissance économique de ces deux derniers leur permet de nous imposer le cours de leur monnaie. Ne risquons-nous pas d'être victimes d'un excès de rigueur ? On peut se demander par ailleurs s'il est possible de combiner le maintien d'un "franc fort" avec des charges fiscales et sociales et des réglementations aussi lourdes que celles qui pèsent sur les entreprises françaises sans conduire l'économie sur la voie de la récession. »
Le propos se veut donc nuancé. Quelques jours plus tôt, sur le même sujet, Pierre Pujo s'était montré critique à l'égard du chef de file des opposants à l'Union européenne en gestation. « M. Séguin condamne la politique du franc fort (disons plutôt du franc stable) qui conduit la France à lier son sort à l'Allemagne, à assouplir le statut de la Banque de France pour mieux la mettre sous la dépendance de la Bundesbank », rappelle-t-il dans son éditorial du 24 juin 1993 ; « il souhaiterait que le franc "décroche" du deutschemark et il ne répugne pas à une dévaluation éventuelle ». Or, selon le directeur de L'Action Française Hebdo, « il est permis d'émettre des réserves sur ce point ». En effet, explique-t-il, « une dévaluation renchérirait nos importations qui (l'expérience passée le montre) ne diminueraient pas en volume, relancerait l'inflation et ferait remonter les taux d'intérêts » ; et d'annoncer que « la croissance économique en France ne serait nullement garantie ».
Comment la réforme de la Banque de France fut traitée en 1936 dans l'organe du nationalisme intégral.
Début 1936, alors que le Front populaire n'est pas encore au pouvoir, L'Action Française en annonce le programme. Dans un numéro paru le 12 janvier, Perspicio évoque, entre autres, sa volonté de « faire de la Banque de France, aujourd'hui banque privée, la banque de la France » ; cela afin de « soustraire le crédit et l'épargne à la domination de l'oligarchie économique ».
Le spectre des assignats
Quelques mois plus tard, alors qu'une loi sera bientôt votée à cet effet, Le Petit Journal s'en réjouit, comme le rapporte l'« organe du nationalisme intégral » dans son numéro du 18 juillet : « Un privilège disparaît. Un grand espoir apparaît. La République entre à la Banque de France. Il faut l'y installer. Cette banque peut, si nos gouvernants persévèrent – et nous faisons confiance à leur fidélité – devenir, enfin, non plus la chose de deux cents féodaux, mais la banque des Français. » Signant la revue de presse du quotidien royaliste, Pierre Tuc se montre critique : de son point de vue, « la "réforme" de la Banque de France apparaît en effet comme une belle duperie ». Et de citer L'Ère nouvelle, « fort inquiète » : « On ne résoudra pas la question en faisant clamer par les haut-parleurs que la Banque de France va devenir la banque de la France. Car, si l'on veut faire courir à notre institut d'émission tous les risques que supportent, plus ou moins bien – ou mal – toutes les antres banques, on ne fera que doubler la fonction de celles-ci sans profit avouable pour personne et sans raison. Et si, dans le même temps, on entend demander à la Banque de Fiance d'apparaître comme un instrument docile à satisfaire à toutes les demandes de l'État et des collectivités, solvables ou non, on aura tôt fait de détruire la garantie de la monnaie et d'avilir celle-ci. Jusqu'à quel point ? »
Le même jour, dans la foulée d'une diatribe antisémite, Charles Maurras dénonce les « innovations dangereuses apportées à la Banque de France » ; « les fondateurs de notre institut d'émission y avaient accumulé les forces de résistance destinées à donner confiance, c'est-à-dire à constituer du crédit », rappelle-t-il notamment, craignant manifestement que cet héritage soit dilapidé. Le lendemain, Marie de Roux affirme que « l'étatisation de la Banque est un immense danger économique ». « Nous allons droit à l'assignat, plus ou moins masqué », surenchérit Léon Daudet dans le même numéro ; « la nationalisation de la Banque de France », c'est « la planche à assignats fonctionnant a tour de bras », avait-il annoncé deux jours plus tôt, le 17 juillet.
La monnaie à la botte des partis
« Le plus important, les questions de crédit et d'escompte, sera désormais soumis aux volontés de gouvernements de passage », déplore encore L'Action Française dans son édition du 16 juillet 1936. Et d'enfoncer le clou trois jours plus tard : « Le nouveau statut de la Banque de France met le crédit du pays à la disposition et au service des partis au pouvoir. Et quand on connaît ces partis et leur émanation, on ne peut s'empêcher d'être justement alarmé. Aussi bien la Bourse, par sa mise volontaire en sommeil, reflète-t-elle exactement l'angoisse grandissante du pays réel qui ne peut être dupe des manifestations d'allure impressionnante de l'équipe judéo-maçonnique [sic] en place. »
« Pierre Gaxotte caractérise admirablement […] l'opération du gouvernement Blum et de la majorité contre la Banque de France », résume Pierre Tuc, dans sa revue de presse du 24 juillet 1936. « La Banque de France est désormais une banque d'État », regrette celui-là. Et celui-ci de rapporter son commentaire paru dans Candide : « La Banque de France, la vraie, celle qui est morte cette semaine, avait été établie pour défendre la stabilité de la monnaie, pour garantir au franc, mesure de toutes choses, une valeur constante et sincère. La nouvelle Banque, celle du Front populaire, est organisée pour fournir à la coalition socialo-communiste la quantité de billets dont elle a besoin. Les opérations de l'ancienne banque (escompte, crédit, etc.), étaient subordonnées au maintien du franc à sa parité or. Pour la nouvelle, la défense du franc n'est qu'une tâche accessoire, secondaire, sacrifiée. La besogne primordiale est d'imprimer des billets et de les répandre là où la majorité parlementaire veut qu'ils aillent. »
Empirisme organisateur
Quelques mois plus tôt, le 21 mai, Pierre Tuc avait cité Claude Barjac rappelant dans L'Ordre que la Banque de France avait toujours été « dans toutes les grandes crises, l'auxiliaire indispensable et toujours présente de l'État » : « Sans elle, le gouvernement aurait fait faillite en 1830. Sans elle, le Trésor aurait dû fermer ses guichets en 1870 et en 1871, Sans elle on ne sait comment aurait pu être menée la dernière guerre. Dans ces grandes circonstances, elle a vraiment joué le rôle de banque d'État, par toutes les avances qu'elle a faites au Trésor ; mais précisément elle l'a fait parce qu'elle n'était pas banque d'État, et parce qu'ainsi elle avait conservé intact un crédit que n'avait plus le gouvernement. Que le gouvernement absorbe la Banque, la Banque fera défaut à l'État le jour où celui-ci aura besoin de ressources que les circonstances ne lui permettront pas de se procurer directement. Ce qui est exact, c'est que Banque et État sont étroitement solidaires l'un de l'autre. Aussi est-il tout naturel que l'État veuille avoir droit de regard sur la Banque, mais ce ne signifie pas qu'il doive lui enlever son caractère essentiel qui est d'être indépendante. On peut tout obtenir de la Banque de France quand son intervention est indispensable, on l'a vu dans le passé, encore y a-t-il la manière. » Une fois n'est pas coutume, les royalistes s'en remettent à la sagesse de l'Empereur : « Je veux, disait Napoléon en 1806, que la Banque soit assez dans les mains du gouvernement et n'y soit pas trop. »
Les débats d'hier sont-ils susceptibles d'éclairer ceux d'aujourd'hui ? Force est de constater que les inquiétudes exprimées jadis sont ravivées aujourd'hui, tandis qu'on parle d'une hypothétique sortie de l'Union économique et monétaire. Dans cette perspective, il est assurément saisissant, voire piquant, de constater le renversement des forces en présence. Cela étant, il serait bien hasardeux d'en tirer quelque conclusion. Tout au plus s'agit-il d'une petite porte entrouverte sur l'histoire.
L'histoire est pleine d'ironie. Les statuts de la Banque de France furent jadis réformés à l'initiative du Front populaire, afin d'exercer un certain contrôle politique sur ses activités. C'est un peu ce que réclament les souverainistes aujourd'hui ! Mais comment cette réforme fut-elle accueillie à l'époque par L'Action Française, « organe du nationalisme intégral », comme ce journal se définissait lui-même ?
Un premier indice nous est donné par la lecture de son numéro du 24 juillet 1936. « Pierre Gaxotte caractérise admirablement […] l'opération du gouvernement Blum et de la majorité contre la Banque de France », écrivait Pierre Tuc dans une revue de presse parue ce jour-là. « La Banque de France est désormais une banque d'État », regrettait alors Pierre Gaxotte. Extrait de son commentaire publié auparavant par Candide :
« La Banque de France, la vraie, celle qui est morte cette semaine, avait été établie pour défendre la stabilité de la monnaie, pour garantir au franc, mesure de toutes choses, une valeur constante et sincère. La nouvelle Banque, celle du Front populaire, est organisée pour fournir à la coalition socialo-communiste la quantité de billets dont elle a besoin. Les opérations de l'ancienne banque (escompte, crédit, etc.), étaient subordonnées au maintien du franc à sa parité or. Pour la nouvelle, la défense du franc n'est qu'une tâche accessoire, secondaire, sacrifiée. La besogne primordiale est d'imprimer des billets et de les répandre là où la majorité parlementaire veut qu'ils aillent. Les deux conceptions s'excluent. Le Front populaire affirme repousser l'inflation : il l'organise. L'Humanité a exprimé à cet égard des réserves significatives : c'est sur le terrain monétaire que les communistes fausseront un jour compagnie à l'équipe Blum. L'opération se prépare de loin. En attendant, la planche à billets est en place. Le mécanisme commence à tourner. »
Ces propos, pour le moins critiques, sont les premiers nous ayant été proposés par Gallica à la faveur d'une recherche sur le sujet dans les colonnes de L'Action Française. Peut-être aurons-nous l'occasion d'en rapporter quelques autres !
Extrait d'un éditorial d'Aspects de la France publié dans les années quatre-vingt.
Depuis la Libération et jusqu'à sa disparition au profit de l'euro, le franc subit des dévaluations à répétition. Au sens le plus strict, la dernière remonte au 6 avril 1986. Commentant l'événement quelques jours plus tard dans les colonnes d'Aspects de la France, Pierre Pujo se montrait désabusé. Extrait de son éditorial du 10 avril :
« Lors de chaque dévaluation, les dirigeants français prennent des résolutions de rigueur et de sagesse, moyennant quoi nos partenaires étrangers nous accordent leur absolution en se prêtant à un rajustement des monnaies. […] Hélas, les bonnes résolutions françaises ne durent pas et nous retombons bientôt dans nos fautes passées ! Notre malédiction s'appelle la démocratie dont les effets démagogiques sont bien pires en France que chez nos voisins d'outre-Rhin. Tant que la démocratie poursuivra chez nous ses débordements, il ne faut pas s'attendre à voir les choses changer. On continuera périodiquement à réévaluer le Deutsche Mark et à dévaluer le franc. »
Cela ne manquera pas de nourrir les réflexions sur l'éclatement potentiel de l'Union économique et monétaire. À l'époque, celle-ci n'était même pas en gestation… Le moment venu, le directeur d'Aspects de la France puis de L'Action Française 2000 ne manqua pas de s'opposer à sa constitution, gardons-nous de travestir sa pensée ! Cela étant, peut-être n'est-il pas inutile de rappeler avec lui qu'« une dévaluation est le signe d'un affaiblissement économique du pays ». À méditer.
7 décembre 2016 Article publié dans L'Action Française 2000
Quelques citations de Charles Maurras, apôtre de la Realpolitik.
La justice internationale s'incarne aujourd'hui dans l'Organisation des Nations unies, la Cour pénale internationale, la Cour européenne des droits de l'homme… Autant d'institutions s'inscrivant à bien des égards dans la continuité de la Société des nations (SDN), établie en 1920 en application du traité de Versailles.
La SDN vue par l'AF
Sa création fut accueillie avec circonspection par l'Action française. « Nous n'avons jamais rien auguré d'excellent de la Société des nations », rappelait Charles Maurras dans L'Action Française du 12 décembre 1937. « Elle pouvait avoir, néanmoins, certains avantages », concédait-il. De son point de vue, « la Société des nations avait un sens tant qu'elle exprimait l'assemblée des nations victorieuses » de la Grande Guerre. Or l'Allemagne y fut admise en 1926, au grand dam du Martégal : « du moment que l'assassin venait trôner au milieu de ses juges », déplorait-il, « sa volonté de ne rien expier et d'échapper à toute vindicte, s'étalait, s'affichait en long et en large, et littéralement s'imposait ».
Les intérêts gouvernent
De fait la SDN, s'avérait bien impuissante à faire régner sa loi : dans L'Action Française du 19 avril 1935, Charles Maurras parlait d'« un fouet tout théorique, idéal et moral » administré aux Allemands. Lesquels s'en plaignaient certes, mais sans vraiment en souffrir selon lui. Il se méfiait de l'invocation de la morale, du droit et plus généralement des idées sur la scène internationale : « les idées y sont toujours le masque des intérêts », écrivait-il dans L'AF du 8 novembre 1937. « La politique étrangère est réglée par de grands intérêts, souvent d'ailleurs assez mobiles ou variables », expliquait-il encore dans dans le numéro du 20 juillet 1943.
En pratique, de toute façon, le droit international ne s'applique que si les rapports de force lui laissent le champ libre. Les Philippines viennent d'en faire l'expérience l'été dernier, à l'occasion d'un différend territorial les opposant à la Chine : bien qu'un tribunal international ait tranché en faveur de Manille, Pékin n'en a cure.
6 juillet 2016 Article publié dans L'Action Française 2000
Un livre signé Luc Beyer de Ryke.
Tandis qu'on commémore le centenaire du premier conflit mondial, se
souvient-on que la Belgique fut « un des rares – sinon le seul –
pays à avoir connu une collaboration dès la Grande Guerre »,
comme le rappelle Luc Beyer de Ryke ?
À cet égard, le nationalisme flamand constitua un « vivier »
que ne manqua pas d'exploiter à chaque fois l'occupant allemand. Lequel
fut accueilli comme un « libérateur » par certains
militants indépendantistes, emprisonnés à titre préventif... Leur défiance
était entretenue au sein même de l'armée belge, où « des
intellectuels [...] s'indignèrent de l'état de sujétion auquel
était réduite la piétaille des tranchées » – « la
plupart du temps rurale, flamande et patoisante ». La hantise
du communisme aidant, la Flamenpolitik « exerça des ravages »,
rapporte Luc Beyer de Ryke.
Observant « la braise toujours incandescente [...] de la
collaboration », il en a rencontré les acteurs ou leurs
descendants, livrant leurs témoignages dans un style vivant, brossant des
portraits souvent pittoresques. Francophone de Flandre, l'auteur s'est
attaché à « mieux comprendre l'histoire [des] fractures et
[des] déchirements » de son pays. Dans l'espoir, sans doute,
de mieux en protéger la fragile unité.
Luc Beyer de Ryke, Ils avaient leurs raisons, éditions
Mols, mars 2016, 205 pages, 21,50 euros.