Une certaine idée de l'Europe ?

3 juillet 2008
Article publié dans L'Action Française 2000

Quelles sont les grandes lignes de la politique européenne de Nicolas Sarkozy ? Jean-Dominique Giuliani – président de la Fondation Robert Schuman – tente de les identifier dans un ouvrage publié en mai dernier, où il brosse le portrait d'« un Européen très pressé ».

L'auteur souligne l'importance – relative, certes, mais inédite – que le candidat Sarkozy avait accordée à la construction européenne pendant sa campagne, annonçant la négociation du traité de Lisbonne et sa ratification par voie parlementaire. Un choix « courageux » selon Jean-Dominique Giuliani, mais qui nous paraît finalement peu coûteux, étant donné l'indifférence de nos concitoyens. Ont-ils été abusés par l'esbroufe présidentielle ? En tout cas, le numéro d'équilibriste de Nicolas Sarkozy semble avoir touché son public : nuancés par un zeste d'euroscepticisme, ses discours ont rassuré les nonistes, ouvrant la voie au "retour de la France en Europe" proclamé le soir de sa victoire électorale.

Symboles

Dès son entrée en fonction, le chef de l'État multiplie les symboles, « comme autant de gestes en direction de l'Union européenne » : pour sa photographie officielle, par exemple, il pose devant la bannière bleue étoilée. Jean-Dominique Giuliani revient sur la façon parfois houleuse dont se sont nouées les relations avec Angela Merkel. En dépit d'une main tendue au Royaume-Uni, la collaboration privilégiée avec l'Allemagne serait « inévitable » de toute façon... Une observation tout juste étayée par quelques considérations économiques. Le lecteur avide d'analyses géopolitiques pointues passera son chemin.

Retour à l'Est

L'auteur signale toute l'importance que le Président accorde à la Méditerranée, mais insiste aussi sur ses efforts visant à resserrer les liens avec les pays de de l'Europe de l'Est, vilipendés par Jacques Chirac à la veille de leur entrée dans l'Union. Le rapatriement des infirmières bulgares retenues en Libye, orchestré triomphalement par Nicolas Sarkozy, aurait largement contribué au succès de son entreprise. Le « passage obligé » par Washington rassure également les États fraîchement libérés du joug soviétique. L'objectif est clair : le président de la République espère développer un pôle de sécurité européen, et, plus généralement, conférer à l'UE le rôle d'un véritable acteur politique.

En matière économique et monétaire, son ambition de "repolitiser" l'Europe apparaît manifeste. Ainsi a-t-il réclamé un assouplissement de la politique de concurrence – nécessaire à la préservation de nos intérêts industriels –, ou une réaction face à la menace des fonds souverains. Ses homologues sont disposés à le suivre sur ce point. En revanche, ils ne sauraient cautionner ses critiques formulées à l'encontre de la Banque centrale européenne, qui se sont certes assagies depuis son élection. Une fois n'est pas coutume, Jean-Dominique Giuliani exprime ici quelque réserve, rappelant cette évidence, vraisemblablement négligée par un politicien en campagne : « La revendication d'un "gouvernement économique" n'a [...] de chance d'aboutir que le jour où certains pays accepteront de se concerter avant de prendre leurs grandes décisions économiques internes. » En attendant, aucune alternative à l'indépendance de la BCE n'est envisageable, à moins d'abandonner la monnaie unique évidemment.

Identité chrétienne

Telle que nous la dépeint Giuliani, l'Europe rêvée par Nicolas Sarkozy bénéficierait d'une forte identité, inspirant la fierté de citoyens conscients d'appartenir à une communauté de civilisation. « Il replace le projet européen dans une perspective historique, morale et politique, dont l'ont éloigné le temps, la bureaucratie et les habitudes. Pour lui, l'Europe doit désormais avoir pour objectif d'être une puissance nouvelle sur la scène internationale. À ce titre, elle a droit à un territoire.. » Le chef de l'État veut en finir avec la fuite en avant de l'élargissement, qui s'oppose au projet d'approfondissement. De son point de vue, l'adhésion de la Turquie serait une perspective d'autant moins acceptable qu'elle saperait les fondements de l'unité européenne, brouillant les repères tant géographiques que culturels. À l'inverse, la reconnaissance officielle des racines chrétiennes de l'Europe lui semblerait indispensable ; leur négation constituerait à ses yeux « une insulte à l'histoire » et même une « faute politique ».

Un vieux fantasme

Un faute, sans doute, mais qui apparaîtrait bien minime comparée à celle qu'il commettrait si, d'aventure, il privait la France de son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Fort heureusement, Jean-Dominique Giuliani ne lui prête pas cette intention. Bien au contraire, il s'interroge sur son inclination à « abandonner sa capacité à décider seul au profit d'institutions européennes » supposées plus efficaces ; « s'il y a des contradictions dans les discours européens de Nicolas Sarkozy, c'est ici qu'il faut les chercher », précise-t-il. Cédant à un vieux fantasme européiste, il l'appelle pourtant à « partager » son siège avec l'UE, au moins provisoirement, pendant que la France assure la présidence de l'Union. On s'agace pareillement de son aversion naïve pour la Realpolitik, et de sa posture "bien pensante" qui le conduit à ériger en vérités universelles des opinions ou des valeurs – telle la "parité" – qui sont loin d'emporter notre adhésion. On lui reprochera enfin de se complaire dans une relative apologie, son ouvrage s'approchant d'avantage de la paraphrase que de l'analyse approfondie.

Jean-Dominique Giuliani : Un Européen très pressé. Éditions du Moment, 22 mai 2008, 277 p., 19,95 euros.

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