Regards sur l'Europe

2 octobre 2008
Article publié dans L'Action Française 2000

De Daniel Cohn-Bendit à Hubert Védrine, vingt et une personnalités s'expriment sur la construction européenne.

Un ouvrage paru en septembre, dirigé par Michel Rocard et Nicole Gnesotto, rassemble les contributions de personnalités éclectiques censées « rendre à Bruxelles ce qui revient à Bruxelles » et « appréhender la construction européenne [...] comme une réalité vivante ».

"Réalisme"

On y relève moult banalités. Ainsi Michel Rocard affirme-t-il que « l'édification d'une institution commune [...] a comme résultat majeur la réconciliation et la paix ». Une ineptie à laquelle Hubert Védrine apporte un démenti cinglant : « Ce n'est pas l'intégration de l'Europe de l'Ouest qui va l'empêcher [la guerre], mais l'équilibre des forces [...] de l'OTAN et du Pacte de Varsovie... »

Fidèle à son "réalisme", constatant la difficulté de conclure un accord à vingt-sept, l'ancien ministre des Affaires étrangères estime qu'on arrive « au point ultime de l'intégration politique pour l'Europe dans son ensemble ». Il ne cache pas son relatif euroscepticisme : s'appuyant sur des textes juridiques, « certains ont attendu la naissance presque miraculeuse d'une politique étrangère européenne. [...] Mais on le voit bien : cela ne conduira pas à une politique étrangère européenne unique... » Appelant les Européens à « dépasser l'irrealpolitik », caractérisée par « une fatigue historique [...], une aspiration helvétique à une grande Suisse à l'abri des turbulences de la mondialisation » - y compris chez certains nationalistes, serions-nous tentés d'ajouter ! -, il plaide pour l'autonomisation progressive des Européens au sein d'un pôle occidental. Il se démarque ainsi de l'"esbroufe gaulliste" stigmatisée implicitement par Thierry de Montbrial, et se montre bienveillant à l'égard du président de la République, dont la politique pourrait être, selon lui, le levier de cette transformation. Affaire à suivre.

Ultimes frontières

Dans l'immédiat, Michel Foucher lève le voile sur un « secret de polichinelle », celui des frontières ultimes de l'UE : « Dans le scénario d'expansion au fil de l'eau que Washington nourrit, celui qui a effectivement cours, l'Union devra s'étendre à l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe, à la seule exception de la Russie, mais la Turquie incluse. » Dans ces conditions, sans identité forte, quid de l'Europe politique ? Loin d'en entretenir l'illusion, la plupart des auteurs parient plutôt sur la puissance de l'"empire normatif". Renaud Dehousse en révèle une vision plus "morale" que politique : il salue cette Europe ayant « dépassé le stade primitif où les rapports entre États sont avant tout des rapports de force ». Quitte à s'intéresser aux critiques de la realpolitik, on préférera les analyses de Zaki Laïdi, beaucoup plus fouillées.

Jean Quatremer prétend briser un mythe, celui des 60 % de lois d'émanation communautaire. « Le raisonnement en termes de pourcentage est délicat, observe-t-il : le droit ne se prête guère à ce genre de pesée. » Se livrant à son propre calcul, il estime néanmoins que ce sont « seulement 25 % des lois adoptées en 2007 qui étaient d'origine européenne ». De son point de vue, « tout ne se décide pas à Bruxelles, [...] loin s'en faut ». Le sujet – controversé – aurait mérité de plus amples développements. Le journaliste se veut catégorique : « Les États sont non seulement à l'origine des traités par lesquels ils décident d'exercer en commun leur souveraineté, mais ils en contrôlent à chaque instant l'application. Ils sont aux deux bouts de la chaîne et décident donc toujours en dernier ressort. » C'est oublier l'influence de la Cour de Luxembourg, dont Renaud Dehousse rappelle que les juges « loin de s'en tenir à l'intention [...] des parties contractantes [...], se sont abondamment inspirés des objectifs ultimes de l'intégration, énoncés de façon générale dans le préambule du traité de Rome ».

Le pragmatisme de Jean-Louis Bruguière tranche avec l'idéologie inspirant bien des contributions. Tout en promouvant le mandat d'arrêt européen, il s'insurge contre certaines dérives : « Une coopération bien gérée est un facteur d'efficacité. Mais vouloir aller trop vite ou négliger, dans une démarche politique ou doctrinaire, des réalités opérationnelles peut avoir l'effet inverse de celui recherché. C'est ce qui se passe [...] avec les tentatives d'intégration du renseignement. Celui-ci ne se partage que dans une situation donnée et dans une démarche bilatérale... »

Basses attaques

Daniel Cohn-Bendit se distingue par une intervention rédigée sur un ton plus "politicien", où il attaque notamment le souverainisme : une « nécrose », dont les « poussées xénophobes » ne seraient pas « les moindres dégâts » ; par-delà la basse polémique, on relève cette observation de bon sens : « La souveraineté demeure une coquille vide sans l'efficience de l'action politique. »

Au final, on s'interroge sur le public auquel s'adresse un tel ouvrage. Parfois rébarbatif et redondant, il ne présente pas de "vertus pédagogiques" manifestes, véhicule des lieux communs sans franchement ouvrir le débat, et présente des analyses trop superficielles pour satisfaire un lecteur  averti. On y trouvera éventuellement une introduction à d'autres études traitant plus spécifiquement de tel ou tel aspect de la construction européenne, à lire avec un regard critique.

Sous la direction de Michel Rocard et Nicole Gnesotto : Notre Europe ; Robert Laffont, 394 p., 22 euros.

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