Présidence européenne sous surveillance

15 janvier 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Quelques faux pas auront suffi aux Tchèques pour que fusent les anathèmes... Retour sur la situation intérieure du pays et son incidence sur les dossiers qu'il aura à traiter en assurant pendant six mois la présidence de l'Union européenne.

À la tête de l'UE depuis le 1er janvier, la République tchèque a commis quelques impairs. Le 3 janvier, alors que les troupes israéliennes venaient de pénétrer à Gaza, Jiri Frantisek Potusnik, porte-parole du Premier ministre Mirek Topolanek, jugeait l'opération « plus défensive qu'offensive ». « La déclaration a fait immédiatement le tour du monde », déplore Jean Quatremer, « CNN et BBC world service concluant à juste titre que l'Union européenne soutenait implicitement Israël ». Rectifiant le tir, le chef de la diplomatie tchèque, Karel Schwartzenberg, a expliqué qu'« il s'agissait d'une erreur personnelle » : « Cela arrive à tout le monde, cela m'est arrivé aussi quand j'étais jeune. » Un second faux pas est survenu le 8 janvier : dans un communiqué annonçant le dénouement partiel de la crise gazière, Vladimir Poutine était désigné comme président et non Premier ministre russe. Comble de maladresse, le texte ne fut corrigé que partiellement avant sa deuxième diffusion !

Traité en sursis

Cet "amateurisme" rend d'autant plus pressante la ratification du traité de Lisbonne aux yeux de ses promoteurs, désireux d'en finir avec la présidence tournante du Conseil européen. Mais le Parti civique démocrate (ODS, droite libérale), qui dispose d'une fragile majorité, est loin de partager leur impatience. Jan Zahradil, chef de sa délégation au sein du groupe PPE-DE du Parlement européen, affirme que ni son gouvernement ni son parti ne veulent bloquer le traité. « Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'ils sont satisfaits de l'ensemble. Personnellement, je ne suis pas un supporteur du traité. [...] Je ne crois pas qu'attribuer plus de pouvoir au Parlement soit une bonne idée. [...] Il est évident que les tentatives de créer une sorte d'opinion publique ou de conscience paneuropéenne ont été jusqu'à présent sans succès. » Complétant cette observation de bon sens, il reproche au traité de favoriser les grands pays, notamment l'Allemagne et la France, qui deviendraient selon lui « beaucoup plus influents dans le processus de décision de l'Union ». L'atlantisme prôné par l'ODS viserait donc à équilibrer « les ambitions grandissantes de l'UE ». Plus enthousiaste à l'égard de celle-ci, l'opposition dénonce un chantage : en échange de Lisbonne, l'ODS tenterait d'arracher le vote d'un traité autorisant le déploiement d'un radar antimissile américain. Les sociaux-démocrates sont d'autant moins disposés à céder qu'ils espèrent un abandon du projet par le nouvel hôte de la Maison Blanche. Prague souhaiterait d'ailleurs recevoir Barack Obama pour sa première visite présidentielle en Europe.

Le processus de ratification pourrait se heurter également à l'hostilité du président Vaclav Klaus. Bien que la République tchèque soit un régime parlementaire, sa signature est indispensable. Il refusera vraisemblablement de l'apposer tant que l'Irlande ne lui aura pas montré l'exemple. Rien d'étonnant de sa part : en juin 2003, lors du référendum sur l'adhésion à l'UE, il n'avait donné aucune consigne de vote ; depuis, il a banni le drapeau européen du château présidentiel ; le 11 novembre dernier, il avait profité d'une visite officielle à Dublin pour dîner en compagnie de Declan Ganley, "héros" du "non" irlandais.

Eurosceptiques

Ce soir-là, il s'était retrouvé à la même table que Philippe de Villiers. L'euroscepticisme tchèque diffère toutefois de son homologue français : il touche davantage les responsables politiques, et ne se nourrit guère de la peur du "plombier polonais". Bien au contraire : selon Marion Van Renterghem, Vaclav Klaus s'inscrirait dans le sillage des monétaristes. Les conceptions libérales qui priment dans son pays pourraient avoir une incidence sur les dossiers européens. La présidence tchèque ne s'est-elle pas donné pour devise « une Europe sans barrière » ?

Libéralisme

Elle espère lever les restrictions à la libre-circulation des travailleurs, en obtenant au Conseil européen des 19 et 20 mars, sinon la suppression, au moins l'atténuation des "mesures transitoires" protégeant quinze États membres au détriment des derniers adhérents. Elle entend promouvoir le libre-échange, par la relance du cycle de Doha ou l'abolition des barrières commerciales transatlantiques. La République tchèque accueille avec réserve la perspective d'un encadrement accru du secteur des télécommunications, refusant par exemple que soit plafonné le tarif de certains services téléphoniques. Enfin, c'est elle qui devra boucler les négociations avec la Commission et le Parlement sur le "troisième paquet" de libéralisation du marché de l'énergie.

Deux sujets connexes figurent parmi ses dossiers les plus importants : la préparation de la prochaine conférence des Nations Unies sur le changement climatique, qui se tiendra à Copenhague du 7 au 18 décembre, et la sécurité des approvisionnements énergétiques. Enclin à promouvoir le nucléaire, le gouvernement tchèque devra compter avec la pression des Verts... Satanée démocratie !

Parmi les grands rendez-vous du semestre : le sommet du "Partenariat oriental" au printemps ; celui du G20 le 2 avril, censé lutter contre une crise financière à laquelle la République tchèque se montre peu sensible ; celui du soixantième anniversaire de l'OTAN le lendemain. D'ici le 1er juillet, on suivra également les négociations visant à accélérer l'intégration des Balkans à l'UE : c'est une priorité pour Prague, qui escompte, entre autres, la résolution d'un conflit territorial ayant conduit la Slovénie à freiner le processus d'adhésion de la Croatie.

Séduits par le volontarisme de Nicolas Sarkozy, exaspérés par la "grande gueule" de Vaclav Klaus, nos confrères attendront les Tchèques au tournant...

Sources :

  • Dictionnaire critique de l'Union européenne. Armand Collin, octobre 2008, 493 pages, 39,50 euros.
  • Europolitique. Numéro 3665, « Présidence tchèque de l'UE : un relai difficile ». 24 décembre 2008, disponible sur www.europolitique.info
  • Jean Quatremer : « Amateurisme tchèque » ; « La présidence tchèque bouge enfin et regaffe... ». Coulisses de Bruxelles (bruxelles.blogs.liberation.fr), 4 et 9 janvier 2008.
  • Marion Van Renterghem : « Vaclav Klaus, le mouton noir de l'Europe ». Le Monde, 4 janvier 2008.

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