Crise laitière : l'Europe désinvolte

17 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Entamée jeudi dernier, la "grève du lait" suscite des controverses parmi les producteurs. Sans ébranler la technocratie européenne, au moins aura-t-elle révélé à l'opinion publique la situation dramatique des éleveurs.

Une "grève du lait" a été lancée par l'Organisation des producteurs de lait (OPL) et l'Association des producteurs de lait indépendants (APLI), qui revendiquent le maintien des quotas européens – dont l'augmentation progressive doit aboutir à leur surpression en 2015 –, ainsi qu'un lait à 400 euros la tonne ; depuis le 10 septembre, mus par la colère ou le désespoir, certains éleveurs ont cessé les livraisons. Une initiative récusée par la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL, émanation de la FNSEA) : « Qui peut croire à la chimère des 400 euros pour les 1 000 litres ? Cette action qui consiste à jeter le fruit de son travail peut diviser et choquer, y compris nos concitoyens qui sont eux-mêmes éprouvés durement par la crise. »

Des prix instables

« Quand le lait est tiré, il faut le vendre », observe Nicolas-Jean Brehon. « Alors qu'un fabricant peut toujours être incité à se fournir ailleurs. Certains n'attendent même que cela. » (Questions d'Europe, Fondation Robert Schuman, 27/07/2009) D'autant qu'en France, la moitié des achats sont réalisés par des industriels. « Jusqu'au début des années 2000 », poursuit-il, « le secteur laitier fut le secteur agricole le plus régulé ». Mais « les producteurs ayant une quasi-garantie d'écouler les productions à des prix rémunérateurs et les États n'ayant jamais eu le courage politique de fixer les quotas à des niveaux suffisamment rigoureux, le système s'est emballé ». Cela justifia une évolution radicale, entraînant une dépendance vis-à-vis des prix pratiqués en dehors de l'UE, ainsi que des variations de grande ampleur : à la hausse moyenne de 43 % en 2007-2008 succéda une chute de 32 % l'année suivante. « Il est certain qu'aux niveaux actuels, les prix payés aux producteurs ne permettent pas d'assurer l'équilibre des exploitations laitières. »

Quotas en débat

En juillet dernier, la France avait réclamé le gel des quotas laitiers en 2010. Malgré le soutien de l'Allemagne, elle s'était heurtée à l'intransigeance de la Commission européenne – paravent d'une majorité d'États membres : « Quelques pays sont hostiles aux régulations par principe (Royaume-Uni, Suède). D'autres pays sont partisans d'une levée des quotas ou d'une augmentation sensible, afin de faire jouer les avantages comparatifs dont ils estiment pouvoir bénéficier (Pays-Bas, Danemark Pologne). Enfin, certains pays ont été pénalisés par des quotas trop faibles, inférieurs aux consommations nationales (Italie, Espagne). Chaque année, plusieurs pays payent des pénalités pour dépassement de quotas (912 millions d'euros en trois ans). Il n'est pas raisonnable de penser que ces pays accepteront de payer encore... »

En 2007-2008, cependant, seuls huit États avaient dépassé leurs quotas ; les autres se trouvaient en "sous-réalisation", parfois importante. Le danger représenté par une augmentation des quotas s'en trouve contesté. Quoi qu'il en soit, une réponse à la crise apparaît indispensable, pour des motifs sociaux mais aussi politiques : la sécurité alimentaire ne sera pas garantie sans que soit assuré aux agriculteurs un revenu décent.

Entre autres mesures, la Commission a soutenu le stockage privé, pratiqué des "achats d'intervention", réactivé les restitutions (subventions) à l'exportation, promu la consommation des produits laitiers... « Nous sommes au fond de la piscine » reconnaît le commissaire en charge de l'Agriculture, Mme Mariann Fischer Boel. Son action n'en est pas moins jugée bien trop timide. Le 7 septembre, seize États membres, dont la France et l'Allemagne, ont formulé ces propositions résumées par Euractiv : « Le texte suggère d'augmenter temporairement les prix d'intervention européens, que l'UE définit pour acheter aux agriculteurs leurs surplus. Il propose aussi que les gouvernements nationaux puissent aider davantage les producteurs sans demander à Bruxelles son feu vert. Allant plus loin, les seize États suggèrent de mettre sur pied un prix minimum du lait, défini dans chaque pays entre les producteurs et les industriels. »

Contractualisation

La "contractualisation" serait ainsi la « voie à suivre » selon le ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire. « Cette solution [...] doit être analysée avec lucidité », avertit Nicolas-Jean Brehon, qui souligne « les différences de poids entre les parties – 100 000 éleveurs et quelques dizaines de fabricants ». Pour l'OPL, « cette solution risque surtout de rendre les producteurs de lait encore plus vulnérables face aux marchés ». Et de stigmatiser un projet « d'inspiration "nationaliste" », la contractualisation étant « du ressort de notre droit national et [non] commune aux vingt-six autres pays ».

Cette posture "européiste" s'expliquerait-elle par la crainte du dumping ? À bien des égards, celui-ci est déjà à l'œuvre... Ne négligeons pas, en outre, la variété des contextes nationaux : par exemple, en quoi nos partenaires sont-ils concernés par l'usage de nos quotas laitiers à des fins d'aménagement du territoire ? Cela dit, le cadre européen, voire international, ne saurait nous indifférer. La France compte des transformateurs industriels de taille mondiale, comme Danone et Lactalis ; le lait représente 16 % des exportations agricoles nationales, à l'origine d'un solde commercial positif de 3,5 milliards euros.

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