Le scandale européen de l'été

3 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'annonce de Bruno Le Maire a provoqué un tollé : 500 millions d'euros versés entre 1992 et 2002 devraient être remboursés par les producteurs qui en furent les bénéficiaires indirects. Décryptage d'un nouveau scandale.

Le calme plat règne à Bruxelles pendant l'été, où seules quelques permanences sont assurées. L'Union européenne n'en a pas moins défrayé la chronique des jours ensoleillés, par la faute du ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire. Le 3 août, celui-ci annonça dans les colonnes du Parisien son intention de répondre à l'injonction de la Commission européenne, exigeant le remboursement par des producteurs de fruits et légumes de subventions versées entre 1992 et 2002.

Indignation

Alimentés par l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (Oniflhor), les "plans de campagne" avaient pour but, selon Bruxelles, « de faciliter l'écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés ». Or, « de telles interventions sont fermement interdites par la réglementation communautaire en matière d'aides d'État ». Les sommes litigieuses s'élèveraient à un demi-milliard d'euros, intérêts compris. Un chiffre que Paris espère minimiser.

C'est un mauvais coup pour les producteurs de fruits et légumes, dont les syndicats dénoncent l'effondrement des revenus (- 37 % entre 2007 et 2008 selon la Fédération nationale des producteurs de fruits). Dans un torrent d'indignations, on releva, comme toujours, moult approximations. "L'Europe" a-t-elle « besoin d'oseille » ? Ses ressources budgétaires ne seront pas affectées par un remboursement dont l'État français sera, en définitive, le bénéficiaire. A-t-elle patienté sournoisement jusqu'aux vacances pour prononcer sa sanction ? Nullement : sa décision concluant à l'illégalité des aides remonte au 28 janvier dernier.

Découvrant l'affaire à la faveur du "buzz" médiatique, l'opinion, galvanisée par le chauvinisme, fut d'autant plus choquée que l'exigence formulée par Bruxelles porte sur des subventions indirectes, dont certaines furent versées il y a dix-sept ans. Quid de la prescription ? Fixée par un règlement, elle intervient après dix ans, mais ce délai est interrompu dès lors que la Commission entame des investigations.

Sept ans de procédure

Or, à la suite d'une plainte anonyme, elle avait interpelé la France dès le 31 juillet 2002. La procédure s'est donc étalée sur sept années. Un délai qui n'aurait rien d'exceptionnel selon les indications que nous a fournies la représentation de la Commission européenne en France, étant donné la complexité du traitement d'un tel dossier. D'autant que Paris multiplia les demandes de reports.

D'autres griefs écorchent nos responsables politiques : « Certains documents en possession de la Commission indiquent que les autorités françaises étaient informées de la nature douteuse de ces actions au regard du droit communautaire. Elles-mêmes qualifiaient ces actions de "largement anticommunautaires" et signalaient la "menace d'une obligation de faire rembourser par les producteurs les sommes indûment versées". Un compte rendu du BRM [Comité économique fruits et légumes du bassin Rhône-Méditerranée] rappelle aussi "le caractère confidentiel des plans stratégiques et le besoin de discrétion nécessaire compte tenu du principe anticommunautaire de ceux-ci". »

C'est dire l'inconséquence des gouvernements successifs, feignant d'ignorer à Paris les engagements souscrits à Bruxelles. D'ailleurs, la France n'aurait « pas contesté [...] l'analyse préliminaire de la Commission concernant l'incompatibilité de ces aides avec le marché commun ». Vilipendé pour sa servilité à l'égard de Bruxelles, Bruno Le Maire s'inscrit en partie dans la continuité de ses prédécesseurs ; il assume surtout les responsabilités que ceux-ci avaient fuies jusqu'alors.

Humiliation

Cette affaire n'est pas la première du genre : la récupération des aides au vignoble charentais et celle du plan Rivesaltes furent exigées en 1999 et 2003. Humiliation formelle, ces rappels à l'ordre de la Commission participent d'un mécanisme temporisateur : dans la partie qu'ils jouent en commun, les Vingt-Sept s'accommodent par ce biais des petits accrocs au respect réciproque de leurs engagements. Minimisant la tentation de retirer ses cartes au premier faux pas d'un partenaire, ce sont les "coups francs" sifflés sur un terrain de football : « Nous sommes les arbitres des règles que les Européens se sont données », explique le porte-parole de la Commission, Altafaj Tardio (Le Monde, 04/08/2009). Des règles évidemment discutables : le moindre coût de la main d'œuvre étrangère n'est-il pas, lui aussi, à l'origine d'une distorsion de concurrence ? Qu'importe : « La question [...] n'est pas couverte par la Politique agricole commune. Il n'existe pas de règles européennes sur le sujet. » Imparable logique de la technocratie !

Signalons toutefois que si un État membre en fait la demande avant sa "condamnation" par la Commission, le Conseil des ministres, statuant à l'unanimité, demeure libre de décréter une aide compatible avec le marché commun ; dans le carcan institutionnel européen, des portes restent ouvertes au politique.

2 commentaires pour "Le scandale européen de l'été"

  1. GD

    Le 6 septembre 2009 à 19 h 00 min

    Jean Quatremer salue le « courage politique » de Bruno Le Maire :

    http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/09/bruno-le-maire-palme-du-courage-politique-de-l%C3%A9t%C3%A9.html

    Je rejoins plus ou moins son analyse en considérant que le ministre assume les responsabilités fuies par ses prédécesseurs.

    L'article apporte quelques précisions sur la plainte ayant conduit la Commission à ouvrir une enquête. Les documents officiels proclament que son origine est « anonyme ». Mais elle aurait été déposée par une organisation de producteurs français appelée Roussillon-Méditerranée, qui se serait estimée lésée faute de bénéficier elle aussi des "plans de campagne".

  2. Catoneo

    Le 12 septembre 2009 à 13 h 43 min

    Ces subventions indues distribuées par le gouvernement français corrigeaient les effets pervers de la PAC construite dès l'origine par le gouvernement français dans l'intention de tirer de l'Europe pour notre agriculture un avantage équivalent à celui que l'Allemagne tirerait de son côté pour son industrie.

    Ainsi apaisait-on en sous-main les blessures provoquées par nous-mêmes, politique typique du gribouille française.
    La PAC est à l'agonie.

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