L'Europe retient son souffle...

1 octobre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Le référendum organisé en Irlande le 2 octobre va-t-il enterrer le traité de Lisbonne ? Peu de sondages l'ont annoncé, mais rien n'est joué : à une semaine du scrutin, on comptait encore 20  % d'indécis. Si la Crise explique l'impopularité du gouvernement, elle pourrait néanmoins profiter au "oui"...

Appelés à s'exprimer une seconde fois sur le traité de Lisbonne, les Irlandais en scelleront vraisemblablement le sort le vendredi 2 octobre. Ce texte apparaît comme « un simple aménagement du règlement intérieur de l'Union » aux yeux de Jean-Luc Sauron, maître des requêtes au Conseil d'État. Sur place, loin de relativiser l'enjeu de cette consultation, le Premier ministre Brian Cowen évoque « l'une des plus grandes questions nationales depuis l'indépendance de l'Irlande en 1922 ».

Un vote protestataire ?

À une semaine du scrutin, les sondages confirmaient l'avance du "oui" : selon une enquête TNS publiée par le quotidien Irish Times, 48 % des personnes interrogées envisageaient d'approuver le traité, 33 % s'y déclarant opposées ; restaient 19 % d'indécis. Ces derniers seront-ils tentés par un vote protestataire ? Le contexte s'y prêterait, alors que le gouvernement se révèle particulièrement impopulaire : composé du Fianna Fail (centriste), du Parti démocrate progressiste et des Verts, il a essuyé un revers lors des élections du 5 juin dernier ; le Fianna Fail n'est plus la première force politique du pays, fait inédit depuis 1932.

« La crise économique, qui a fortement affecté l'île, explique en grande partie cet échec électoral des partis au pouvoir », nous apprend Corinne Deloy (1). « En effet, Brian Cowen a fait voter durant les derniers mois deux plans de rigueur qui allient hausses d'impôt et baisses des aides sociales et des retraites. Les traitements des fonctionnaires ont diminué de 7 % en moyenne en 2008 et l'ensemble des salaires devraient reculer de 3 % en 2009 (et de 1,6 % en 2010). L'Irlande a redécouvert le chômage de masse. De 4 % en août 2007, son taux s'établit à 12,2 % (juillet 2009), soit le plus élevé depuis plus de quatorze ans, et devrait atteindre 17 % fin 2010. »

La situation pourrait néanmoins profiter au "oui" : « Beaucoup d'hommes politiques et de partisans du traité de Lisbonne espèrent que cette crise aura permis aux Irlandais de prendre conscience des bénéfices que leur rapportent leur appartenance à l'Union européenne, l'adoption de l'euro ayant certainement préservé l'île celtique d'une dévaluation et d'un scénario à l'islandaise. » Quoi qu'on pense de ce discours, force est de constater que l'opinion s'y montre apparemment réceptive.

Ce référendum sera le huitième organisé en Irlande sur des questions européennes. Les consultations populaires sont devenues coutumières en la matière. Pourtant, leur tenue n'est exigée « que dans l'hypothèse où une [...] disposition [...] modifie fondamentalement le champ d'intervention ou les objectifs de la Communauté ». Or, poursuit Laurent Pech (2), « le traité de Lisbonne ne paraît pas entrer dans ce cadre ». Une analyse évidemment récusée par les souverainistes. Quoi qu'il en soit, « la constitution irlandaise de 1937 n'autorise pas la saisine de la Cour suprême à titre préventif » ; aussi chaque gouvernement préfère-t-il « procéder ainsi systématiquement, plutôt [...]  que d'être accusé de faire fi de la souveraineté populaire ».

Précédents

Liée au Royaume-Uni par une union économique et monétaire, l'Eire adhéra à la Communauté économique européenne (CEE) en même temps que lui en 1973. Cela avec le soutien des deux principales formations politiques nationales, après une consultation plébiscitant ce processus à la faveur de 83 % des voix. Dans les décennies suivantes, le pays profita d'une croissance spectaculaire, mais l'enthousiasme des votants s'éroda au fur et à mesure qu'ils étaient appelés à approuver de nouveaux traités : le "oui" recueillit 70 % des suffrages pour l'Acte unique en 1987, 69 %  pour le traité de Maastricht en 1992, 62  % pour le traité d'Amsterdam en 1998, et seulement 44 % pour le traité de Nice en 2001.

Fallait-il interpréter ce rejet comme l'expression d'une défiance à l'égard de l'Union européenne ? L'histoire irlandaise se prête naturellement à de telles analyses. Mais la mobilisation de ce "peuple d'insoumis" apparut bien modeste, la participation stagnant à 35 %. L'année suivante, à l'occasion – déjà – d'un second référendum, le traité de Nice fut adopté par 63 % des voix. Auparavant, le gouvernement irlandais et le Conseil européen avaient veillé à formuler quelque garantie quant à la neutralité du pays.

Les motivations des nonistes

L'histoire s'est répétée : le 12 juin 2008, le traité de Lisbonne fut rejeté par 53 % des votants. Le taux de participation atteignit cette fois 53 % ; « un chiffre raisonnable pour ce type de consultation en Irlande » selon Laurent Pech. On relativisera toutefois l'enthousiasme des souverainistes : si l'on en croit l'Eurobaromètre, en dépit de leur vote, 80 % des "nonistes" soutenaient l'appartenance de l'Irlande à l'UE. « 22 % de ceux qui ont voté non l'ont fait parce qu'ils manquaient d'informations sur le contenu du traité », rapporte Jean Quatremer (3) ; « 12 % pour protéger l'identité irlandaise ; 6 % pour défendre la neutralité irlandaise ; 6 % parce qu'ils n'ont pas con-fiance dans les politiciens ; 6 % pour garder "leur" commissaire à Bruxelles ; 6 % pour refuser l'harmonisation fiscale ; 5 % pour s'opposer à l'idée d'une Europe unie ; 4 % pour protester contre la politique du gouvernement ; 4 % pour éviter que l'Union parle d'une seule voix sur les problèmes mondiaux ; 4 % pour protester contre la domination des grands États membres ; 3 % pour maintenir l'influence des petits États ; 2 % pour éviter l'introduction du droit à l'avortement, du mariage gay et de l'euthanasie ».

Les dirigeants européens ont voulu dissiper la plupart des inquiétudes mises en lumière par ce sondage. Ils entendent exploiter une "faille juridique" du traité de Lisbonne pour maintenir un commissaire par État. En outre, des garanties sur le "droit à la vie", la famille et l'éducation, la fiscalité, la sécurité et la défense ont été formalisées à l'issue du Conseil européen des 18 et 19 juin derniers. Abusivement, on parle parfois de dérogations. Mais si ces "explications de texte" intègrent comme promis le droit communautaire, elles en éclaireront la teneur pour l'ensemble des États membres.

Le spectre du "non"

Pour l'heure, le spectre du "non" envahit les sphères officielles. Le 18 septembre, Silvio Berlusconi a prévenu qu'en cas d'échec du référendum, « nous devrons complètement revisiter le fonctionnement actuel de l'Europe pour créer un noyau d'États qui agissent au-delà de l'unanimité ». Le président du Conseil italien nous a habitués aux déclarations à l'emporte-pièce, hasardeuses et sans lendemain... Le secrétaire d'État suédois aux Affaires européennes – dont le pays préside actuellement le Conseil de l'Union – s'est montré plus réaliste : « Les dirigeants de l'UE s'éloignent de la thèse selon laquelle le traité de Lisbonne est nécessaire pour un fonctionnement efficace de l'UE élargie. Le nouveau message est que sans le traité de Lisbonne, l'UE peut être tout aussi capable d'agir que jusqu'ici. » Et Mme Maria Asenius d'ajouter : « Nous ne pouvons pas attendre éternellement une décision à ce sujet. Nous avons besoin d'une nouvelle Commission pour que les affaires européennes continuent. Avec ou sans le traité de Lisbonne. Nous  n'avons pas le choix. » (4) Le bon sens reprendrait-il ses droits ?

Refaire de la politique en Europe

Reléguant la Commission au second plan, la Crise a révélé, nous semble-t-il, le caractère relativement malléable des institutions européennes. Pierre Lellouche, le secrétaire d'État en charge des Affaires européennes, prétend d'ailleurs saisir cette « opportunité », qui « oblige l'Europe à regarder autre chose que ses institutions ». « Nous allons pouvoir, dans ce contexte, refaire de la politique en Europe », a-t-il déclaré jeudi dernier, en conclusion d'un colloque consacré à l'Europe de la défense. Et de reprendre une citation du général De Gaulle chère aux souverainistes : « Il ne suffit pas de dire "Europe, Europe" en sautant comme un cabri ! » Cela tranchait avec la proclamation assénée dans la matinée par son collègue Hervé Morin, ministre de la Défense, qui « espère qu'un jour l'Europe sera une construction fédérale ».... Pour Pierre Lellouche, « la question fondamentale [...] est celle de la volonté politique ». Laquelle émane de Paris ou Berlin, et non de Bruxelles.

(1) « Référendum sur la ratification du traité de Lisbonne, 2 octobre 2009 » ; Observatoire des élections en Europe, fondation Robert Schuman ; www.robert-schuman.org

(2) Dictionnaire critique de l'Union européenne ; Armand Collin, 39,50 euros.

(3) « Irlande : les raisons du non et du oui » ; bruxelles.blogs.liberation.fr

(4) Entretien accordé à Euractiv Allemagne, 15/09/2009 ; www.euractiv.de

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