L'UE face aux barricades tchèques

15 octobre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Seul contre tous, le président tchèque Vaclav Klaus bataille pour retarder l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, désormais ratifié par tous les États membres de l'Union européenne à l'exception de son pays. Les négociations en cours s'en trouvent d'autant plus délicates...

Après avoir franchi le barrage irlandais, le traité de Lisbonne se heurte aux barricades tchèques. Depuis le château de Prague, où il n'a jamais laissé flotter le drapeau bleu étoilé, le président Vaclav Klaus orchestre l'exaspération de ses homologues européens, réfugié derrière l'ultime recours déposé le 30 septembre par ses complices sénateurs : « Je ne peux rien signer avant la décision de la Cour constitutionnelle », a-t-il affirmé le 3 octobre (Euractiv, 05/10/2009). « Il est difficile de dire combien de temps cela prendra », proclame son conseiller politique Ladislav Jakl (La Croix, 06/10/2009). Peut-être plusieurs mois.

Klaus exige une dérogation

Le président Klaus s'est entretenu par téléphone le 8 octobre avec le Premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt, dont le pays assure actuellement la présidence de l'Union. Un pas en avant ? Depuis juillet dernier, il refusait tout contact avec les responsables européens (Coulisses de Bruxelles, 08/10/2009). Au cours de la conversation, selon le témoignage de son correspondant, il demanda « à ce qu'une note de bas de page de deux lignes soit ajoutée en lien avec la charte des droits fondamentaux » annexée au traité. Prudent, le Suédois répondit qu'il s'agissait « d'un mauvais message envoyé au mauvais moment pour l'UE ». C'est le moins que l'on puisse dire. Cette requête serait motivée par la crainte d'encourager les revendications des Allemands expulsés après la Seconde Guerre mondiale – une inquiétude que récuse le gouvernement tchèque. En échange de sa signature, M. Klaus exige une dérogation dont la concession supposerait la modification d'un traité négocié de longue date, signé le 13 décembre 2007 par les représentants de vingt-sept États, et ratifié depuis par vingt-six d'entre eux (le processus s'est achevé en Pologne samedi dernier).

Les Tchèques pourraient en être scandalisés : que vaut la parole d'un État dont le chef joue ainsi les trublions, au mépris de son gouvernement et de son propre parlement ? Jean-Louis Bourlanges fustige « une manifestation d'égocentrisme extrêmement immorale »... Bataillant seul contre tous, Vaclav Klaus s'attire pourtant moult sympathies dans son pays : il y serait « très populaire » selon Christian Lequesne, directeur du Centre d'études et de recherches internationales, « car il plaît pour sa capacité de résister. Il résiste sur le traité de Lisbonne, sur le débat mondial sur le changement climatique, il capitalise en interne son côté "Astérix". Mais paradoxalement, les gens qui approuvent sa politique ne sont pas contre l'Europe. » (Euractiv, 12/10/2009) En France, il est devenu la coqueluche des souverainistes. Alain Bournazel, secrétaire général du Rassemblement pour l'indépendance et la souveraineté de la France (RIF), a pris la tête d'un comité de soutien informel. Il faut tenir jusqu'aux élections britanniques de juin 2010 ! David Cameron, le chef de file des Tories, est pressenti pour succéder à Gordon Brown au 10 Downing Street. Le cas échéant, si le traité de Lisbonne n'était pas encore appliqué, il organiserait un référendum ; du moins l'a-t-il laissé entendre à ses électeurs potentiels.

Du bricolage

Le Premier ministre tchèque, Jan Fischer, se trouve dans l'embarras. Son gouvernement souhaiterait permettre l'entrée en vigueur du traité « d'ici la fin de l'année ». Lundi dernier, il a fait part de son intention de « négocier avec ses partenaires européens une solution possible ». Le Conseil européen réunira les chefs d'État ou de gouvernement des Vingt-Sept les 29 et 30 octobre. Peut-être s'accordera-t-il pour annexer au traité d'adhésion de la Croatie un nouveau protocole susceptible de satisfaire le président Klaus. Encore du bricolage institutionnel !

En attendant, ce climat d'incertitude complique les négociations en cours, portant sur  la répartition des postes, mais aussi, à travers elle, sur l'équilibre des institutions européennes. En filigrane se heurtent les intérêts divergents des États ; ainsi les pays les moins peuplés chercheront-ils vraisemblablement à privilégier la Commission, censée les protéger de l'influence de leurs partenaires les plus puissants.

Tony Blair est-il disqualifié ?

Le mandat de la Commission arrive à son terme le 31 octobre. Si elle devait intervenir dès maintenant, sous l'égide du traité de Nice, la désignation d'un nouveau collège susciterait de vives discussions. « L'Allemagne a d'ores et déjà fait savoir que si le traité de Lisbonne ne pouvait être appliqué, elle plaiderait pour un exécutif européen restreint à quinze ou dix-huit commissaires », rapporte Euractiv (06/10/2009). On devine que les États batailleraient ferme pour retarder la perte de leur commissaire.

La semaine dernière, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, suivis par l'Autriche, sont partis en croisade contre Tony Blair. « Il a plus souvent divisé que rassemblé », déplore le chef de la diplomatie du Grand Duché, faisant allusion au soutien qu'il apporta aux velléités guerrières  de George W. Bush. Fort de l'appui de Paris, l'ancien Premier ministre britannique était pressenti pour assurer la présidence du Conseil européen pendant deux ans et demi. « L'idée d'une présidence stable était une proposition uniquement française qu'il a fallu, au début, défendre avec acharnement », raconte Jean-Pierre Jouyet. Toutes les réticences de nos partenaires n'ont pas été dissipées, et certains préféreraient sans doute confier ce poste à une personnalité dotée d'une moindre stature internationale ; pour la cantonner, éventuellement, à la préparation des réunions des chefs d'État ou de gouvernement.

Dix ans de travail

Quoi qu'il en soit, sous le régime de Lisbonne, le président du Conseil européen devrait compter avec le maintien d'une présidence tournante, les États membres continuant d'assurer tour à tour, pour une durée de six mois, la présidence des différentes formations du Conseil des ministres (à l'exception du Conseil des Affaires étrangères). Sur la scène internationale, il devrait se faire une place aux côtés du Haut Représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (HR), dont les pouvoirs seraient accrus par rapport à ceux dont dispose aujourd'hui Javier Solana (lui aussi maintenu à son poste pour le moment).

« Dans l'accomplissement de son mandat », précise le traité sur l'Union européenne, « le Haut Représentant s'appuie sur un service européen pour l'action extérieure. Ce service travaille en collaboration avec les services diplomatiques des États membres et est composé de fonctionnaires des services compétents du secrétariat général du Conseil et de la Commission ainsi que de personnel détaché des services diplomatiques nationaux. L'organisation et le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure sont fixées par une décision du Conseil. » Autrement dit, tout reste à construire. « C'est un nouveau travail de dix ans qui s'engage », commente Nicolas Gros-Verheyde (Bruxelles 2, 9/10/2009).

Concurrence des institutions

Afin d'en jeter les bases, les ambassadeurs du Coreper II (Comité des représentants permanents à Bruxelles) vont plancher sur le sujet au moins deux fois par semaine à l'approche du Conseil des Affaires étrangères du 26 octobre. S'appuyant sur des éléments issus des administrations existantes, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) leur fera inévitablement de l'ombre. Sa mise en place agace naturellement les Britanniques, les Français témoignant quant à eux du plus grand enthousiasme. « Le HR est un "objet" non encore identifié, assez hétéroclite : un peu commissaire, un peu ministre (puisqu'il préside le Conseil des Affaires étrangères), et toujours diplomate en chef de l'UE et chef de la défense de l'UE. » Se demandant où il logera, l'animateur du blog Bruxelles 2 soulève une question qui n'a rien d'anodine, en ce sens qu'elle illustre la proximité qu'il entretiendra soit avec les "nationalistes" du Conseil, soit avec les "apatrides" de la Commission...

On le voit, Vaclav Klaus est loin de tenir entre ses mains tout le destin du continent. S'il se résout à signer, l'Europe s'en trouvera-t-elle transfigurée ? Les européistes veulent croire qu'elle parlera enfin d'une seule voix grâce à Lisbonne. On mesurera leur manque de réalisme à la lumière des tractations accompagnant la mise en œuvre du traité... On se souvient de l'interpellation d'Henry Kissinger : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? » L'ironie de Jean-Louis Bourlanges nous semble de circonstance : tout au plus l'UE disposera-t-elle bientôt d'un « standard téléphonique ».

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