Qu'est-ce que l'européisme ?

17 octobre 2009

Constatant notre aversion pour le souverainisme, des esprits manichéens nous rattachent injustement au courant européiste. Voyons comment Hubert Védrine définit celui-ci. Extrait du Rapport sur la France et la mondialisation auquel nous souscrivons volontiers.

Le courant fédéraliste européen [...] se présente plutôt comme "intégrationniste". C'est à son propos qu'est de plus en plus souvent employé le terme "européiste", pour le distinguer d'un courant beaucoup plus large, pro-européen, mais qui veut aller moins loin dans l'intégration. Les européistes ont longtemps prétendu être les seuls vrais "européens", taxant d'anti-européens les non-intégrationnistes. Cette prétention n'a pas survécu aux référendums de 2005 et à leurs suites. Il y a plusieurs façons d'être "européen".

Des États-nations archaïques

Avec de bonnes raisons et de louables intentions, ce courant avait milité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour le dépassement des États-nations, par définition archaïques, égoïstes et dangereux, leur politique étrangère y compris, comme les deux guerres mondiales étaient censées l'avoir montré, et la construction d'une Europe très intégrée. Il a inspiré au moins deux générations d'élites, même s'il est toujours demeuré minoritaire dans le grand public.

Politiquement, le centre en a été longtemps l'incarnation. La droite française s'est ralliée à la construction européenne en espérant que naîtrait ainsi une "Europe puissance", sous leadership français. Désespéré sous De Gaulle, un peu plus à l'aise sous Pompidou, le courant intégrationniste a repris espoir sous Valéry Giscard d'Estaing (avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel, plus qu'avec l'institutionnalisation du Conseil européen). Et surtout sous Mitterrand avec la relance de la construction européenne au Conseil européen de 1984, la nomination de Jacques Delors à la tête de la Commission et jusqu'en 1995, avec cet extraordinaire leadership européen à trois, avec Helmut Kohl, qui a conçu Maastricht et a réussi à le faire ratifier. C'est dans ces années-là que la gauche, dans son immense majorité déjà pro-européenne par antinationalisme, s'est mise à son tour à croire à "l'Europe puissance" et plus encore à une improbable "Europe sociale", qui réconcilierait ses divers objectifs. En même temps, enhardi par ces avancées et la perspective d'une monnaie unique dont il attendait un choc politiquement fédérateur, le courant fédéraliste redevenait très ambitieux.

La fuite en avant institutionnelle des années qui ont suivi Maastricht - traité d'Amsterdam, traité de Nice, Convention, traité "constitutionnel" - est la résultante de deux forces. D'une part la volonté de presque tous les États membres, à commencer par l'Allemagne et la Grande Bretagne, d'élargir aussi vite que possible pour différentes raisons l'Union européenne aux anciens membres du pacte de Varsovie libérés par la fin de l'URSS, ce qui nécessitait un nouveau traité ; et d'autre part la volonté des forces fédéralistes (Commission, Parlement européen, médias proches de la Commission, journalistes français, allemands et italiens, think tanks spécialisés, milieux économiques) de donner à chaque fois aux nouvelles institutions un caractère plus intégré, y compris pour la politique étrangère, en attendant "la prochaine étape" carrément fédérale.

Pas d'échappatoire

Ce retour en arrière est indispensable pour comprendre pourquoi, pour les tenants de cette thèse, pendant cette quinzaine d'années, ce qui concernait la politique étrangère et de défense française, sa définition, sa conduite, son adaptation paraissait de moins en moins important. Puisque la diplomatie française était vouée à se fondre un jour dans une politique étrangère européenne commune (en oubliant au passage la distinction fondamentale entre "commune" et "unique"), puisque c'était souhaitable et inéluctable, pourquoi s'accrocher à des traditions ou zones d'influence dépassées (francophonie, Afrique, monde arabe, Nord-Sud) qui énervaient nos partenaires européens (supposés eux, des européens parfaitement désintéressés) et agaçaient les Américains [...] ? Pourquoi, si ce n'est par goût de la gloire, maintenir ces voyages des ministres ou du président français, ces missions, ces initiatives, ces sommets franco-quelque chose, le siège français au Conseil de sécurité, l'obsession de la francophonie, etc., alors que le sens de l'histoire imposerait d'"européaniser" lentement mais sûrement notre politique étrangère ?

Aucun parti, aucun leader (pas même Jacques Delors, plutôt réaliste, ou Valéry Giscard d'Estaing, parce qu'ancien président français) n'a complètement préconisé cette ligne. Mais elle a pesé très lourd sur le débat public de 1992 à 2005. Cette tendance qui taxait de frileux tout ce qui n'était pas elle, aurait mérité une interpellation critique. [...] Les autres pays européens renonçaient-ils ainsi à eux-mêmes (voir les zones d'influence de chaque État membre) ? Européaniser, n'est-ce pas en fait abandonner ? En quoi une Europe refuge de nations fatiguées d'elles-mêmes pourrait-elle être forte ?

Mais plus que ces interrogations légitimes, c'est plutôt le désaveu brutal en 2005 [...] qui a donné un coup d'arrêt à cette fuite en avant. Même si le traité simplifié est, comme c'est probable, ratifié, avec un haut commissaire pour les relations extérieures cumulant les fonctions actuelles de Javier Solana, M. PESC, et de Benita Ferrero-Waldner, commissaire européen pour les Relations extérieures - progrès bienvenu -, et que la France fait tout pour qu'il réussisse dans sa mission, il y aura demain, comme aujourd'hui, une politique étrangère française et britannique, et allemande, etc. Nous n'allons pas nous en remettre à "l'Europe", contrairement à ce que certains annonçaient ou préconisaient, ni mettre sac à terre.

Pas d'échappatoire possible. Nous allons devoir continuer à penser et à repenser notre politique étrangère, pour nous-mêmes, et aussi pour peser de tout notre poids dans l'élaboration de la partie européenne commune des politiques étrangères des Vingt-Sept, la Politique étrangère de sécurité et de défense commune, et dans son renforcement, auquel nous avons intérêt.

Laissez un commentaire